Le cerveau du bébé : une formidable machine à apprendre



On imagine souvent le bébé comme une argile, progressivement modelée par son environnement. Et son cerveau, comme un organe qui se structurerait peu à peu en fonction des stimulations qu’il perçoit. Il n’en est rien, nous explique Ghislaine Dehaene-Lambertz, pédiatre et directrice de recherche au CNRS. L’imagerie cérébrale montre au contraire que les grands réseaux fonctionnels (visuel, auditif, sensori-moteur, exécutif…) sont déjà en place dès avant la naissance. C’est d’ailleurs pour cela, entre autres, que les bébés sont capables de maîtriser le langage aussi rapidement.





Naissance d’un cerveau (vidéo, 5’30). Dessin et animation : Martin ; réalisation : Renaud Chabrier réalisé par universcience

Le cerveau du bébé a longtemps été une boîte noire. Chez l’adulte, les connaissances ont rapidement progressé en reliant les symptômes que les patients présentaient aux lésions cérébrales découvertes à l’autopsie. Rien de tel pour les enfants, qui sont généralement en bonne santé. Pendant longtemps, pour savoir ce qu’un bébé était capable de percevoir et de comprendre, il a fallu se contenter de méthodes fondées sur l’observation du comportement. Jusqu’à l’arrivée de l’imagerie non invasive, qui a permis d’explorer le cerveau et de le voir fonctionner sans l’endommager. A la différence des radiographies qui utilisent des rayons X, l’électroencéphalographie (EEG), la magnétoencéphalographie (MEG) ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être utilisées sans risque dès le plus jeune âge. Grâce à ces technologies, on en sait désormais un peu plus sur le développement du cerveau. On s’est notamment rendu compte que le bébé n’était pas passif face à son environnement. Au contraire, dès la naissance, il se montre très actif dans ses apprentissages, comme s’il était programmé pour cela.

Le « câblage » du cerveau, un processus qui commence dès la fin de la grossesse

Quelles sont les grandes étapes du développement du cerveau ? La croissance cérébrale est particulièrement intense pendant les dernières semaines de la grossesse et les premiers mois postnataux. Le périmètre crânien croit ainsi en moyenne de 14 cm pendant les deux premières années, alors qu’il ne gagnera que 7 cm durant les seize années suivantes. Cette croissance s’accompagne d’un plissement de la surface du cerveau (à partir du sixième mois de grossesse). Ces changements sont la manifestation de phénomènes microscopiques complexes.

Etapes du développement du cerveau

Illustration extraite du livre C3RV34U (cliquer pour agrandir).

Les neurones se forment au centre du cerveau à la fin du premier trimestre de grossesse. Ils migrent ensuite progressivement vers la périphérie pour former six couches durant le dernier trimestre. Une fois en place, ils se connectent entre eux — localement grâce aux dendrites et à longue distance grâce à leur long axone. Ces axones se regroupent en faisceaux, lesquels constituent la substance blanche.

Progressivement, le réseau initial est remodelé en fonction de l’expérience. Avant le terme, l’élimination concerne essentiellement les neurones, puis après la naissance à terme le remodelage est affiné avec une surproduction de contact entre neurones et une élimination sélective des points de contact les moins utilisés. Ce processus est un des moyens essentiels d’apprentissage du cerveau. Il est spécialement intense pendant l’enfance et l’adolescence.

Dans le même temps, les cellules gliales se chargent de la myélinisation des axones dans la substance blanche, processus qui permet une meilleure transmission de l’influx nerveux entre les aires cérébrales. On s’est ainsi rendu compte qu’il fallait 280 ms chez le nouveau-né pour qu’un stimulus visuel atteigne le cortex visuel, alors qu’il ne fallait plus que 120 ms chez le bébé de 4 mois (comme chez l’adulte).

Tous ces changements ne se déroulent pas au même moment dans tout le cerveau, certaines régions étant déjà matures alors que d’autres sont encore très immatures, créant un fonctionnement cérébral qui évolue tout au long de l’enfance et de l’adolescence.

Pourquoi le nouveau-né reconnaît la voix et l’odeur de sa mère à la naissance

On imagine souvent le cerveau du bébé comme peu organisé et se structurant progressivement en fonction des stimulations qu’il reçoit de son environnement. Certes, sa plasticité est bien supérieure à celle d’un cerveau adulte, mais il possède très tôt une organisation fonctionnelle complexe. Ainsi, dès le sixième mois de grossesse, alors que la migration neuronale et la phase de connexion ne sont pas achevées, les grands réseaux (visuel, auditif, sensori-moteur, exécutif…) sont déjà observables. On peut donc légitimement se demander si c’est le monde extérieur qui modèle le cerveau ou si ce n’est pas plutôt son organisation précoce qui lui permet de tirer parti de son environnement. Cela expliquerait pourquoi le nouveau-né est capable de reconnaître la voix et l’odeur de sa mère à la naissance ou bien une mélodie que celle-ci écoutait régulièrement pendant les derniers mois de la grossesse.

Cependant, bien qu’il soit organisé de façon précoce, le cerveau du bébé n’est pas un cerveau adulte en miniature. On observe en effet que les aires cérébrales ne fonctionnent pas toutes à la même vitesse. Cela tient au fait que les différentes aires cérébrales deviennent matures à des rythmes différents (la maturation cérébrale s’étale sur 25 ans). Les régions «primaires», dédiées aux fonctions sensorielles et motrices, murissent ainsi plus rapidement que les régions «associatives», impliquées dans les fonctions cognitives «de haut niveau» (planification, décision, réflexion…).

Dès le plus jeune âge, les régions frontales s’activent

Est-ce à dire que les régions associatives ne sont pas ou sont peu utilisées chez le nourrisson ? L’imagerie cérébrale montre que ce n’est pas le cas. Ces régions interviennent très tôt, mais sont beaucoup plus lentes que chez l’adulte. Il faut par exemple trois fois plus de temps à un bébé de 12 mois pour prendre conscience d’un stimulus du monde extérieur. Mais avec la maturation cérébrale, ces réseaux fonctionnels vont réagir de plus en plus rapidement.

En montrant que les régions frontales étaient activées dès le plus jeune âge, les études d’imagerie cérébrale ont remis en cause la vision, très hiérarchique, qu’on se faisait de l’apprentissage chez l’enfant (les régions de haut niveau ne commenceraient à apprendre que lorsque les régions de bas niveau atteignent une certaine maturité). Ces études suggèrent au contraire que les régions de haut niveau sont essentielles à l’apprentissage en le guidant vers les informations pertinentes.

N’est-ce pas ce qu’on peut observer avec l’apprentissage du langage par l’enfant ? Comment expliquer qu’en à peine trois ans un enfant puisse maîtriser sa langue maternelle sinon par une organisation particulière du cerveau humain ? Là encore, l’imagerie cérébrale apporte des réponses. Chez l’adulte, les régions impliquées dans le traitement de la parole se trouvent dans les régions périsylviennes (autour de l’oreille) temporales et frontales. On observe à peu près la même chose avec le nourrisson de deux mois écoutant sa langue maternelle. On retrouve notamment l’asymétrie en faveur du côté gauche, caractéristique du traitement linguistique adulte. Ce résultat souligne l’origine génétique du traitement du langage dans l’espèce humaine. C’est donc bien l’existence initiale de réseaux fonctionnels élaborés qui permet aux bébés d’acquérir le langage, et non l’inverse.

Une expo et un livre qui présentent les dernières découvertes sur le cerveau

C3RV34U, l'exposition neurologique, Cité des sciences, Paris.
Comprendre comment pensées, perceptions, sentiments et actions émergent de l’activité de notre cerveau, tel est l’objet des neurosciences cognitives. C’est aussi celui de l’exposition permanente C3RV34U, l’expo neuroludique proposée depuis septembre 2014 par la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. Elaborée sous la direction de Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, elle présente de manière vive et ludique les dernières avancées scientifiques dans le domaine des neurosciences. Elle est en cours de remise en état après les dégâts occasionnés par un incendie accidentel. En attendant qu’elle ouvre à nouveau, vous pouvez consulter l’excellent site de l’exposition, qui propose notamment de nombreuses vidéos.
> Le site de l’exposition

Catalogue de l'exposition permanente sur le cerveau à la Cité des sciences.Cet article est largement inspiré du chapitre « Au tout départ : le cerveau du bébé » rédigé par Ghislaine Dehaene-Lambertz et Jessica Dubois pour le catalogue de l’exposition. > Le catalogue de l’exposition

Chercheur(s)

Ghislaine Dehaene-Lambertz

Pédiatre et directrice de recherche au CNRS, Ghislaine Dehaene-Lambertz dirige l’équipe de neuro-imagerie du développement dans l’unité Inserm-U992. Ses buts de recherche : étudier les bases cérébrales des grandes fonctions cognitives (langage, nombre, attention…) chez l’enfant ; comprendre comment maturation cérébrale et environnement agissent pour permettre le développement de ces fonctions ; évaluer les conséquences de pathologie précoce sur ce développement.

Voir sa page

Ghislaine Dehaene-Lambertz

Laboratoire

Unité de neuro-imagerie cognitive (Unicog)

L’unité Inserm/CEA de neuro-imagerie cognitive (Unicog), dirigée par Stanislas Dehaene, cherche à comprendre comment fonctionne le cerveau humain. Les équipes travaillent sur les compétences de l’adulte dans le domaine du langage, du nombre, de la conscience, etc. ainsi que sur le développement de ces compétences chez le nourrisson et l’enfant. Installée à NeuroSpin, la plateforme du CEA dédiée à la recherche en imagerie cérébrale, Unicog utilise les technologies les plus récentes comme l'imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) ou les potentiels évoqués (PE).

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