Maigrir en trompant son cerveau



Pourquoi est-il aussi difficile de perdre du poids ? Le régime miracle existe-t-il ? Michel Desmurget, neuroscientifique qui fut lui-même en surpoids, a voulu répondre à ces questions. Il s’est plongé dans la littérature scientifique et a trouvé la recette pour maigrir sainement et durablement. Il a raconté son expérience dans un livre et donnera une conférence à Lyon dans le cadre de la Semaine du cerveau 2016.


Pourquoi les régimes ne marchent-ils pas ? Pourquoi reprend-on généralement du poids après en avoir perdu ?
Au-delà du baratin d’usage, les régimes miracles sont tous brutalement hypocaloriques et déséquilibrés. Or notre organisme est génétiquement programmé pour préserver ses réserves de graisse et lutter contre les carences nutritives. Après quelques semaines de régime, lorsqu’il détecte un manque (vitamines, acides gras essentiels, minéraux, etc.) et/ou un amaigrissement soudain, le corps réagit avec une impitoyable détermination. Pour lui régime et famine, c’est la même chose. Il met alors tout en place, au niveau hormonal, cérébral et périphérique, pour comprimer les dépenses énergétiques, exacerber la faim et offrir une saillance quasi pathologique au moindre stimulus alimentaire. Aucune volonté ne peut résister à cette déferlante.

Ces méthodes sont aussi dangereuses, dites-vous. En quoi menacent-elles notre santé ?
Qu’ils soient hyper ou hypo protéinés, lipidiques ou glucidiques, ces régimes sont avant tout déséquilibrés. Ils ont d’importants effets secondaires à court terme : fatigue, douleurs articulaires, constipation, nausées, infarctus. A long terme ils font dangereusement exploser le risque de certains cancers, de diabète, d’atteintes cardiovasculaires, etc.

Pourquoi est-ce si compliqué d’ajuster notre consommation alimentaire à nos besoins ?
D’abord parce que nous ne sommes pas des êtres rationnels agissant au mieux de nos intérêts ! Bien souvent, nos actions sont le fruit de processus mentaux compulsifs et/ou automatiques. C’est particulièrement vrai dans le domaine alimentaire. L’action de manger peut être déclenchée non par la faim mais par la simple vue d’un aliment, son emballage, son abondance ou encore par le contexte : ambiance conviviale, musique, etc. Et pour ne rien arranger, notre organisme n’est pas équipé pour évaluer la charge énergétique du bol alimentaire. Pour décider de la fin de notre repas, nos capteurs de satiété se fient principalement au volume de nourriture absorbée. Or, depuis trente ans, sous l’effet des packagings industriels et du développement des fast-food, notre mesure de ce qu’est une portion « normale » s’est fortement accrue. Dans le même temps, notre nourriture est devenue de plus en plus dense en énergie. A l’arrivée, l’obésité explose.

L'anti-régime, Michel Desmurget (Belin)Un livre pour dénoncer les dangers des régimes miracles et proposer de vraies solutions

« Un jour, j’en ai eu assez des régimes de bazar. J’en ai eu assez de perdre à chaque fois 10 kilos pour en reprendre 12… » Les régimes, Michel Desmurget connaît. Confronté lui-même à un problème d’obésité majeure, il a testé tous les régimes qui font la une des magazines… sans résultat. Jusqu’au jour où il s’est plongé dans la littérature scientifique pour comprendre pourquoi ça ne marchait pas. De ce voyage, il a ramené une certitude : ce n’est pas en brutalisant son organisme qu’on peut perdre du poids, mais plutôt en rusant avec son cerveau. Cette approche lui a permis de perdre 50 kilos et de retrouver un poids normal. De ses recherches, il a tiré un livre dans lequel il dénonce, en tant que scientifique, les dangers des régimes miracles et explique comment réussir à maigrir durablement.
L’anti-régime, Maigrir pour de bon (Belin).

Alors, comment faut-il s’y prendre pour perdre durablement du poids ?
Le seul moyen de maigrir sainement et durablement consiste à mettre en place un déficit énergétique suffisamment restreint pour demeurer « aveugle » (c’est-à-dire pour ne pas solliciter les défenses organiques). Pour cela, l’idéal est de diminuer un peu les entrées (-10%) et d’augmenter un peu les sorties (+10%).

Et concrètement, on fait comment ?
Dites-vous bien qu’il n’est pas nécessaire d’être brutal pour être efficace. Si, quotidiennement, vous renoncez à l’équivalent d’une canette de soda et acceptez 45 minutes de marche, vous perdrez une vingtaine de kilos en trois ans (dont 10 après un an et 16 après deux). Cela peut paraitre long, mais la patience est malheureusement une nécessité physiologique absolue pour qui veut réussir. Pour ceux qui trouveraient l’idée frustrante, je peux affirmer, moi qui ai bien souvent échoué avant de réussir, qu’il vaut mieux aboutir en trois ans que de se planter en un. Une fois intégrée cette évidence, la clé du succès se trouve dans le retournement des automatismes comportementaux évoqués plus haut. En modifiant notre environnement et certains de nos comportements particulièrement obésogènes, il est possible de faire travailler la machine non plus contre mais pour nous. Un exemple parmi d’autres : manger en faisant autre chose (en regardant la télé ou en travaillant devant l’ordinateur) retarde massivement l’engagement des mécanismes de satiété et conduit à consommer entre 20 et 30% de nourriture supplémentaire. C’est énorme. En prenant conscience de ce genre de « biais » on peut aboutir à des résultats considérables. Je pesais 130 kg. Je suis désormais stabilisé autour de 75.

Michel Desmurget à la Semaine du cerveau

Michel Desmurget donnera une conférence sur le thème « Maigrir en trompant son cerveau » dans le cadre de la Semaine du cerveau à Lyon. Cette conférence sera accessible au public sourd et malentendant (traduction simultanée en langue des signes française).
Mercredi 16 mars de 18h30 à 20h – Grand amphithéâtre de l’Université de Lyon – 90, avenue Pasteur, Lyon 7e. Entrée libre.

Chercheur(s)

Michel Desmurget

Directeur de recherche au Centre de neurosciences cognitives (CNC), à Lyon. Dirige l’équipe Organisation neuronale et computationnelle de l’action. Travaille en particulier sur la plasticité neuronale et la réorganisation des réseaux après des lésions cérébrales.

Voir sa page

Michel Desmurget

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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