Nobel de médecine : la chronobiologie à l’honneur



Le prix Nobel de médecine a été décerné lundi 2 octobre aux chercheurs américains Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young pour leurs découvertes des mécanismes moléculaires qui règlent le rythme circadien. Ouria Dkhissi-Benyahya, chercheuse au Stem Cell and Brain Research Institute (SBRI), nous explique l’importance de leur découverte et présente les travaux de son équipe dans le domaine de la chronobiologie.

En quoi la découverte faite par Hall, Rosbash et Young est-elle importante ?
On sait depuis l’Antiquité que tous les organismes vivants sont soumis à des rythmes. Rythme du jour et de la nuit, rythme des saisons, rythme de la lune, etc. Le plus déterminant est le rythme dit circadien, d’environ 24 heures, qui correspond à la durée d’une journée terrestre. La première avancée dans la compréhension de ce phénomène date du XVIIIe siècle. On la doit à un mathématicien et astronome français du nom de Jean-Jacques d’Ortous de Mairan. Le savant s’est livré à une expérience avec du mimosa, arbuste dont les feuilles se ferment à la tombée du jour. Il a placé des plants dans l’obscurité pendant plusieurs jours et constaté que les feuilles continuaient à s’ouvrir et se fermer. Il en a déduit l’existence d’une « horloge » interne qui réglait le mouvement des feuilles. Quelques siècles plus tard, dans les années 1970, le biologiste américain Seymour Benzer et son étudiant Ronald Konopka ont démontré qu’une mutation génétique perturbait le rythme circadien chez la mouche du vinaigre, la fameuse drosophile. Ils ont appelé ce gène period. Le mérite des trois prix Nobel de médecine est d’avoir identifié ce gène en 1984. Hall et Rosbash ont par la suite expliqué son fonctionnement : le gène period déclenche la production d’une protéine dénommée PER, laquelle s’accumule pendant la nuit et se dégrade pendant la journée, suivant un rythme circadien. En 1994, Young a découvert un deuxième gène de l’horloge interne, qu’il a appelé timeless. La protéine codée par ce gène, TIM, se lie à la protéine PER, et pénètre dans le noyau de la cellule afin de bloquer l’activité du gène period pendant la journée. C’est ce qu’on appelle une boucle de régulation. Depuis, d’autres « gènes horloge » ont été découverts. On en dénombre une dizaine aujourd’hui. Chez les mammifères, ils réguleraient entre 15 et 20% du génome.

Comment la lumière agit-elle sur cette horloge interne ?
C’est justement l’un des axes de notre équipe de recherche. On sait depuis les années 2000 que la rétine de l’œil recèle des cellules particulières, les cellules ganglionnaires à mélanopsine. Ces cellules sont connectées à deux petites structures du cerveau, appelées noyaux supra-chiasmatiques. C’est là que se niche l’horloge centrale. Les informations qu’elle reçoit via les cellules ganglionnaires à mélanopsine lui permettent de se « synchroniser » avec le cycle environnemental. En effet, sa période étant de plus ou moins 24 heures, l’horloge centrale a tendance à se décaler spontanément. Les informations lumineuses permettent justement de la régler précisément sur 24 heures une fois par jour. Cette synchronisation est essentielle car l’horloge centrale commande un grand nombre de nos fonctions : sommeil, température corporelle, pression artérielle, rythme cardiaque, production hormonale, appétit, humeur, système immunitaire…

Quels sont vos autres axes de recherche ?
Nous savons que la perturbation du cycle circadien, qu’il soit d’origine génétique ou comportemental, entraîne toutes sortes d’anomalies qui augmentent le risque de maladies métaboliques et cardiovasculaires, de troubles de l’humeur, de cancers, etc. Notre équipe travaille sur la dépression. Nous essayons de comprendre l’effet antidépresseur de la lumière, utilisée en luminothérapie pour lutter contre différentes formes de dépression. Nous sommes encore au début de la recherche, mais les premiers résultats sont prometteurs.

Chercheur(s)

Ouria Dkhissi-Benyahya

Chargée de recherche Inserm, membre de l’équipe Chronobiologie et désordres affectifs au sein du Stem Cell and Brain Research Institute (SBRI), à Lyon, Thématique de recherche : rôle des photorécepteurs dans la perception de la lumière circadienne et conséquences de leur suppression sur le fonctionnement de l'oscillateur rétinien, de l'horloge endogène centrale et des horloges périphériques.

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Ouria Dkhissi-Benyahya

Laboratoire

Institut de recherche cellule souche et cerveau (SBRI)

Le SBRI cherche à définir les caractéristiques du cortex humain, de son développement à l’organisation des réseaux neuronaux qui le composent et rendent possible les fonctions cognitives supérieures. Pour cela, il fait appel à de nombreuses disciplines : biologie cellulaire et moléculaire, neuroanatomie, neurophysiologie, psychophysique, comportement, psychologie expérimentale, neurocomputation, modélisation et robotique. Le SBRI est dirigé par Colette Dehay et Henry Kennedy.

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