Neuromythe #12 : les HPI sont-il vraiment plus intelligents que la moyenne ?


Certes, ils ont un QI supérieur à 130, sont plus efficients que le commun des mortels dans leur domaine de prédilection et possèdent un cerveau spécialement bien connecté. Mais ils ont surtout une façon différente de traiter l’information et de raisonner.

Depuis que TF1 en a fait une série à succès, tout le monde sait ce qu’est un HPI. Rappel de l’intrigue : Morgane Alvaro (Audrey Fleurot), femme de ménage à la Direction centrale de la police judiciaire de Lille, parvient à se faire engager comme consultante au côté du placide inspecteur Karadec (Mehdi Nebbou). Dotée d’un QI de 160, elle est ce qu’on appelle un « haut potentiel intellectuel ». Si ce don ne l’aide guère à gérer sa vie personnelle, bien au contraire, il lui permet de détecter des indices que les autres ne voient pas et de résoudre ainsi les affaires les plus tordues. Qu’on les qualifie de précoces, de surdoués, de HPI, de zèbres ou de philo-cognitifs, les personnes dotées de capacités cognitives exceptionnelles nous intriguent. Qu’ont-ils de plus que nous ? Seraient-ils plus intelligents que la moyenne ? Pensent-ils différemment de nous ? Voici ce que les neurosciences nous en disent.

Les philo-cognitifs : Ils n’aiment que penser et penser autrement…, de Fanny Nusbaum, Olivier Revol, Dominic Sappey-Marinier (Odile Jacob)Comment bien nommer les intelligences atypiques ?

Il y eut d’abord les enfants « précoces », les « surdoués », les « petits génies » ; puis sont arrivés les « haut potentiel intellectuel » (HPI) et les « zèbres », terme introduit par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin pour désigner des personnalités difficilement apprivoisables, se fondant dans le décor tout en s’y distinguant par des caractères propres, telles les rayures de l’équidé de la savane. Le problème est qu’aucun de ces termes ne décrit parfaitement les caractéristiques de ces personnalités neuro-atypiques. Plus récemment, trois spécialistes lyonnais du développement de l’enfant, Fanny Nusbaum, Olivier Revol et Dominic Sappey-Marinier, ont forgé le terme de « philo-cognitifs », pour désigner des personnes ne cessant jamais de penser et d’une manière différente de la nôtre (2). Mais, là encore, le terme est loin de faire l’unanimité.

Pour être diagnostiqué haut potentiel intellectuel, il faut obtenir un score de QI supérieur ou égal à 130 [1,2,3]. C’est ce qui donne cet a priori de très haute intelligence. Or, comme nous l’avons illustré dans un précédent neuromythe [4], l’intelligence n’est pas définie par le QI, et le QI est encore moins le reflet de l’intelligence. On sait aujourd’hui qu’il convient d’interpréter ces résultats avec prudence car ils peuvent varier en fonction de différents facteurs tels que la motivation, par exemple. Le QI total n’a donc que peu d’intérêt. En revanche, l’analyse de ses quatre composantes peut permettre de détecter les points forts et les points faibles de ces personnes atypiques, qu’elles soient des enfants ou des adultes. En effet, le QI mesure les compétences logico-mathématiques et verbo-linguistiques, plutôt représentatives de ce qui est demandé à l’école. Il mesure ainsi une certaine logique et la capacité à traiter des informations (1). Avec ce diagnostic, ces personnes ne seraient donc pas plus intelligentes mais plus efficaces pour distinguer et traiter les informations pertinentes. 

Chez les HPI, le transfert d’informations entre les hémisphères serait plus efficient.

C’est ce que des études de neuroimagerie ont tenté de montrer en faisant le lien entre score de QI et structures cérébrales. Elles montrent que le QI est associé à un certain nombre de régions cérébrales, telles que les connexions fronto-pariétales [5], le cortex postérieur cingulaire et d’autres structures sous-corticales [6]. Des chercheurs ont trouvé aussi une association entre certains facteurs d’imagerie et la substance blanche, plus particulièrement le corps calleux [7, 8], ce qui signifierait que, chez ces personnes, le transfert d’informations entre les hémisphères serait plus efficient. Plus récemment, en 2020, une équipe de chercheurs comprenant Fanny Nusbaum, Olivier Revol et Dominic Sappey-Marinier a continué ces investigations en essayant de caractériser la structure de la substance blanche ainsi que celle des réseaux neuronaux chez des enfants diagnostiqués HPI, c’est-à-dire avec un QI supérieur à 130 [9]. Comme on pouvait s’y attendre, ils ont trouvé une forte corrélation entre le QI et certains réseaux neuronaux, en particulier des réseaux de fibres blanches denses et homogènes. 

Corps calleux et substance blanche © Jen Christiansen, Derek Jones/Cardiff UniversitySubstance blanche et corps calleux

La substance blanche du cerveau est la substance constituée d’axones des neurones, c’est-à-dire la partie qui permet de transmettre les messages le plus rapidement possible.

Le corps calleux est une commissure, une sorte de pont de fibres blanches entre les deux hémisphères, qui permet leur communication.

> Pour en savoir plus : « A quoi sert la substance blanche », par Douglas Fiels, Pour la Science.

Ce résultat corrobore ce qui ressort de toutes les études : le haut potentiel, ou du moins un haut score de QI, est lié à la connectivité structurelle du cerveau qui transmet les messages plus ou moins rapidement entre aires cérébrales et entre hémisphères. Les plus grandes corrélations ont été trouvées entre les lobes pariétaux et temporaux, associés aux grandes habiletés verbales et de mémoire ainsi qu’au traitement visuospatial et aux opérations de logique [9]. Bref, ces personnes auraient une substance blanche plus dense et plus grande mais aussi répartie de manière plus optimale, c’est-à-dire de façon plus homogène entre les réseaux cérébraux.

L’hyperlatence, plus connue sous le nom de pensée en arborescence, se déclenche dès que l’esprit se met à vagabonder.

Les philo-cognitifs ou HPI ont donc bien un cerveau différent d’un cerveau neurotypique. En quoi cela change-t-il leur vie de tous les jours ? Les chercheurs Fanny Nusbaum, Olivier Revol et Dominic Sappey-Marinier (lire plus haut) ont distingué trois caractéristiques principales reflétant ce fonctionnement cérébral [2,9]. D’abord, l’hyperspéculation, définie comme un besoin avide de penser, de s’interroger constamment et de tout remettre en question. Ensuite, l’hyperacuité, caractérisée par un seuil de haut niveau dans les perceptions sensorielles, la motricité et l’émotion. Ce qui peut se révéler comme une force pour détecter et analyser les données internes et externes (mieux percevoir les bruits, les odeurs et les émotions…) mais aussi une faiblesse en créant une espèce de saturation. Enfin, l’hyperlatence, plus connue sous le nom de pensée en arborescence, qui se déclenche dès que l’esprit se met à vagabonder. Elle peut conduire à une meilleure réponse – le fameux Eurêka ! – mais peut aussi conduire à une espèce de rumination mentale. En résumé, un philo-cognitif est donc une personne dotée d’une très grande réceptivité qui lui permet de détecter et de collecter tout stimulus pertinent plus rapidement et/ou plus intensément pour l’intégrer à son système de raisonnement.

Ce fonctionnement cérébral particulier, caractérisé par des différences structurelles et physiologiques par rapport à un cerveau neurotypique, fait que les HPI sont très efficients dans leur domaine de prédilection. Mais cette particularité peut avoir ses mauvais côtés et se révéler handicapant sur le plan psychologique et social. Les HPI font donc moins preuve d’une intelligence supérieure que d’un système de traitement de l’information et de raisonnement différent. 

En finir avec les neuromythes

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Découvrez notre série

Références

1 – Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué, de Jeanne Siaud-Facchin (Odile Jacob).

2 – Les philo-cognitifs : Ils n’aiment que penser et penser autrement…, de Fanny Nusbaum, Olivier Revol, Dominic Sappey-Marinier (Odile Jacob).

3 – 100 idées pour accompagner les enfants à haut potentiel, d’Olivier Revol, Roberta Poulin et Doris Perrodin (Tom Pousse).

4 – Neuromythe 2 : La théorie des intelligences multiples

5 –  Jung, R. E. & Haier, R. J. The Parieto-Frontal Integration Theory (P-FIT) of intelligence: converging neuroimaging evidence. Behav.Brain Sci. 30, 135–154 (2007).

6 – Basten, U., Hilger, K. & Fiebach, C. J. Where smart brains are different: a quantitative meta-analysis of functional and structural brain imaging studies on intelligence. Intelligence (2015).

7 – Schmithorst, V. J. J. et al. Cognitive functions correlate with white matter architecture in a normal pediatric population: a diffusion tensor MRI study. Hum. Brain Mapp. 26, 139–147 (2005).

8 -Navas-Sánchez, F. J. et al. White matter microstructure correlates of mathematical giftedness and intelligence quotient. Hum. BrainMapp. 35, 2619–2631 (2014).

9 – Suprano I. et al. White matter microarchitecture and structural network integrity correlate with children intelligence quotient. Sci Rep. 26;10(1):20722 (2020).

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

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Clara Saleri

Yves Rossetti

Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.

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Yves Rossetti

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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