Pourquoi les enfants dyspraxiques ont du mal en mathématiques


Les enfants présentant un trouble du développement de la coordination motrice ont souvent aussi des difficultés en mathématiques. Deux chercheuses ont montré comment la dyspraxie impactait deux capacités indispensables à la mise en place du dénombrement.

Ils ont du mal à attacher leurs lacets, se heurtent souvent à leurs camarades, ont des difficultés pour manipuler correctement des objets : ces enfants maladroits sont probablement atteints de dyspraxie, un trouble de coordination motrice qui a des répercussions majeures sur leur quotidien. Très souvent, ils rencontrent aussi des difficultés en mathématiques (88%, selon Vaivre-Douret et collègues, 2011). En CP, CE1 et CE2, les calculs posés qui nécessitent l’alignement des chiffres, et donc de bonnes compétences visuo-spatiales, sont pour eux particulièrement compliqués à réaliser. Enseignante-chercheuse à l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod et l’INSPE-Lyon, Alice Gomez nous présente ses derniers travaux sur les difficultés en mathématiques des enfants dyspraxiques qui ont fait l’objet d’une publication dans la revue Research and Developmental Disabilities.

La dyspraxie, un trouble peu étudié

La dyspraxie, ou trouble du développement de la coordination motrice, est un déficit qui affecte l’acquisition et l’exécution des mouvements du corps. Bien qu’il soit assez fréquent (environ 5% de la population), il suscite peu d’intérêt de recherche par rapport à d’autres troubles (dyslexie, trouble du spectre autistique, etc.). Selon Alice Gomez, cela peut s’expliquer par l’absence de terminologie commune et de définition claire. La dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux regroupe désormais les troubles de la coordination sous le terme de « trouble développemental de la coordination » (developmental coordination disorders, en anglais).

Dans l’étude qu’elle a publiée avec Caroline Huron, chercheuse au Laboratoire de neuro-imagerie cognitive (NeuroSpin), Alice Gomez montre pour la première fois que certaines capacités mathématiques sont impactées chez les enfants dyspraxiques. Les chercheuses se sont intéressées à deux capacités indispensables pour construire les compétences sur lesquelles s’appuie l’apprentissage formel des mathématiques : la subitisation et le dénombrement. De quoi s’agit-il ? La subitisation est la capacité à quantifier de manière rapide et précise un groupe d’objets sans avoir à les dénombrer un par un. « Les adultes sont capables de subitiser jusqu’à quatre éléments, précise la chercheuse. Même si cela reste controversé, la subitisation serait essentielle pour construire les capacités mathématiques élémentaires. »  

Même en prenant plus de temps, les enfants dyspraxiques font plus d’erreurs de dénombrement que les enfants contrôles.

Comment ces capacités sont-elles impactées chez les enfants dyspraxiques ? Pour le savoir, les chercheuses ont recruté 20 enfants dyspraxiques (âgés de 7 à 10 ans) et 20 enfants contrôles. Elles leur ont proposé de réaliser deux tâches. La première consistait à regarder des ensembles de points (de 1 à 9 par ensemble) et les dénombrer sans limite de temps. Un exercice simple pour des enfants de cette tranche d’âge. Sauf s’ils souffrent de dyspraxie. Dans ce cas, au-delà de quatre points, ils font significativement plus d’erreurs : ils surcomptent ou oublient les points, et les erreurs augmentent avec le nombre de points. On note que, même en prenant plus de temps, les enfants dyspraxiques font plus d’erreurs que les enfants contrôles.

La deuxième tâche est une tâche de subitisation. Elle repose sur le même dispositif mais avec une durée d’exposition limitée de 250 millisecondes, ce qui empêche l’enfant de compter. L’objectif de l’exercice est de tester la limite de subitisation dans les deux groupes d’enfants. Qu’ont observé les chercheuses ? Les enfants contrôles ont pu subitiser jusqu’à quatre éléments alors que les dyspraxiques perdaient en précision à partir de trois éléments. Comment expliquer cet écart ? « Il est possible que cela soit lié à des capacités de mémoire de travail », suggère Alice Gomez.

Les chercheuses ont procédé en même temps à l’analyse des mouvements des yeux en utilisant un oculomètre. Les enregistrements ont montré que les enfants dyspraxiques faisaient plus de fixations que les enfants contrôles lorsqu’ils dénombraient les points. Selon Alice Gomez, deux interprétations sont possibles : « Soit leurs mouvements des yeux sont eux-mêmes imprécis, soit ils rencontrent des difficultés dans les processus cognitifs qui se traduisent par des fixations plus nombreuses. » Quoi qu’il en soit, ces résultats pointent les difficultés des enfants dyspraxiques à se représenter des quantités d’objets et plaident pour un accompagnement spécifique. 

L’élève dyspraxique a besoin d’un accompagnement ou de l’appui d’un outil numérique pour réaliser correctement un exercice de dénombrement.

Quelles leçons peut-on tirer de ces résultats en matière de pratiques éducatives et cliniques ? Pour les enseignants, il conviendra de ne pas laisser seul un élève dyspraxique pour réaliser un exercice de dénombrement (activité classique en maternelle). Celui-ci pourrait lui être plus néfaste que bénéfique, l’enfant risquant alors de construire une représentation inexacte. On lui proposera plutôt un accompagnement par un enseignant ou un élève-tuteur, ou l’appui d’un outil numérique. 

Pour les cliniciens, ces travaux pourraient être utiles dans le cadre de la rééducation logico-mathématiques, notamment lors de l’identification des causes potentielles des difficultés observées (déficit de mémoire de travail…). Si un enfant n’arrive pas à faire des calculs posés, il est important d’en connaitre la cause. Celle-ci peut ainsi être liée à un défaut de procédure de pointage et de mouvements des yeux, ce qui devra être pris en compte dans la remédiation. 

Ces conclusions sont applicables aux autres troubles développementaux. Pour la dyslexie, par exemple, la théorie dominante sur l’origine du trouble a longtemps porté sur l’aspect linguistique, en particulier les difficultés phonologiques. Or des études ont révélé que d’autres facteurs entraient en jeu : d’ordre sensoriels et attentionnels mais aussi visuo-attentionnels. Autant d’éléments utiles aux praticiens et aux éducateurs dans leur approche de détection des troubles d’apprentissage.  

Comment aider les enfants dyspraxiques (©Shutterstock/ Leszek Glasner)Qui contacter quand on est concerné ?

Ressources

  • Le Cartable fantastique. Association associant des enseignants et des chercheurs en sciences cognitives, Le Cartable fantastique élabore des outils numériques et des formations inspirés des travaux de recherches et les met à disposition des enseignants et des parents.

Pour aller plus loin 

Chercheur(s)

Alice Gomez

Enseignante-chercheuse au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL, équipe Eduwell) et formatrice à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) de Lyon. Domaines de recherche : développement cognitif, trouble de la coordination motrice (dyspraxie), cognition spatiale, mémoire épisodique, cognition numérique…

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Alice Gomez

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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