La réalité virtuelle ne concerne pas seulement l’univers des jeux vidéo. Elle ouvre aussi de nouveaux champs d’expérimentation pour les neuropsychologues, qui peuvent créer des dispositifs plus subtils que ceux qu’ils utilisaient jusqu’ici. Un atout pour détecter des symptômes précurseurs de la maladie l’Alzheimer.
Si la réalité virtuelle est encore loin d’avoir conquis les consommateurs, elle intéresse depuis plusieurs années le monde des professionnels. L’aéronautique l’utilise ainsi pour former des élèves au pilotage ou des techniciens à la maintenance de nouveaux appareils ; la médecine, pour former des obstétriciennes à l’accouchement ou des chirurgiens à de nouvelles techniques d’opération. L’intérêt de pouvoir immerger un sujet dans un univers virtuel n’a pas non plus échappé aux chercheurs. C’est le cas de ceux qui mènent des travaux en neuropsychologie. La réalité virtuelle leur a permis de mettre en œuvre de nouveaux paradigmes expérimentaux, notamment dans le cadre de l’étude de la mémoire épisodique.
Qu’est-ce que la mémoire épisodique ?
La mémoire est un mécanisme complexe. Il ne s’agit pas d’un mécanisme unifié, mais plutôt de systèmes différents qui interagissent. Pour l’appréhender, on a l’habitude de distinguer plusieurs types de mémoires (voir notre infographie). La mémoire épisodique, aussi appelée autobiographique, englobe les souvenirs personnels conscients reliés à un contexte spatio-temporel donné (le jour de mon mariage, par exemple). Elle se décline en trois composantes : que s’est-il passé ? (what?), où ? (when?), quand ? (when?).
Jusqu’alors, pour tester la mémoire épisodique d’un sujet, les chercheurs lui présentaient des listes de mots et lui soumettaient ensuite oralement des mots en demandant s’ils faisaient partie de la liste initiale. Avantage, les résultats sont sans ambiguïté : le participant se souvient ou non. Inconvénient, ils ne permettent pas une analyse fine des différentes composantes de la mémoire épisodique.
La mémoire virtuelle permet d’effectuer des tests dans des situations à la fois contrôlées et proches de la réalité.
Dans ce contexte, la réalité virtuelle est venue apporter une réponse inédite aux questions liées au contrôle de l’environnement d’expérimentation. Elle offre en effet un compromis entre expérimentation en laboratoire (cadrée mais éloignée d’un contexte familier) et expérimentation en contexte écologique (risque de faux souvenir). Elle permet ainsi d’effectuer des tests dans des situations à la fois contrôlées et proches de la réalité. Par exemple, effectuer un cheminement dans un univers urbain au cours duquel surviennent divers événements. Un tel dispositif, beaucoup plus riche que les classiques listes de mots, donne ainsi l’accès aux différentes dimensions de la mémoire épisodique, notamment la dimension spatio-temporelle. Les possibilités offertes par cette nouvelle technologie ont permis aux neuropsychologues de bâtir des tests d’une plus grande finesse que par le passé. Un progrès particulièrement utile dans le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer.
En effet, les premiers symptômes de cette maladie se traduisent par un déficit de la mémoire épisodique, spécialement la mémoire spatiale. Cette dernière possède deux dimensions : une composante égocentrique (la place des objets par rapport à nous) et une composante allocentrique (la place des objets par rapport à d’autres objets). Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présentent souvent un déficit de la mémoire allocentrique (elles oublient, par exemple, où elles ont garé leur voiture). Cette première atteinte de la mémoire correspond à la dégénérescence de la structure hippocampique du cerveau, responsable du passage de faits nouveaux de la mémoire à court terme à la mémoire long terme. Les malades ne sont donc plus capables d’« imprimer » de nouveaux souvenirs. Ainsi, en mettant en évidence, grâce à des tests utilisant la réalité virtuelle, une défaillance de la mémoire allocentrique, on peut espérer une détection précoce de la maladie d’Alzheimer, et donc une meilleure prise en charge.
Certains chercheurs vont encore plus loin en catégorisant les sujets selon leur probabilité de développer la maladie d’Alzheimer en se basant sur les déficits cognitifs légers (ou Mild Cognitive Impairment) qu’ils présentent. Une classification contestée, car le risque d’inclure dans cette catégorie des personnes sans pathologie de la mémorisation mais souffrant simplement du vieillissement normal de la mémoire n’est pas négligeable.
Des études montrent l’importance de l’immersion et le fait d’être actif dans les processus de mémorisation.
La réalité virtuelle n’est pas seulement utile à l’amélioration du diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Des études montrent l’importance de l’immersion et le fait d’être actif dans les processus de mémorisation. La réalité virtuelle pourrait donc présenter un réel atout dans certains cas pathologiques. On peut ainsi envisager des stratégies de remédiation personnalisées pour améliorer le quotidien des personnes souffrant de troubles mnésiques en leur offrant la possibilité de travailler sur des aspects précis de leur mémoire.
Mais on en n’est pas encore là. De nombreux obstacles subsistent. Les contraintes techniques et financières constituent une véritable barrière au développement des environnements d’expérimentation. A ce jour, peu de chercheurs en cognition sont formés pour coder des milieux virtuels, ce qui oblige à faire appel à des experts extérieurs, un coût qui s’ajoute à celui de l’achat du matériel nécessaire à la mise en place de tels protocoles de recherche.
Enfin, il ne faut pas négliger les limites théoriques et conceptuelles qui entourent la réalité virtuelle. Quelle est la qualité du transfert des apprentissages entre le monde virtuel et le monde réel ? Difficile de répondre avec certitude à cette question… De quoi alimenter de nouvelles études.
Références
Plancher, G., & Piolino, P. (2017). Virtual reality for assessment of episodic memory in normal and pathological aging. In T. Parsons & R. Kane (Eds.). The Role of Technology in Clinical Neuropsychology. Oxford University Press.
Plancher, G., Tirard, A., Gyselinck, V., Nicolas, S., & Piolino, P. (2012). Using virtual reality to characterize episodic memory profiles in amnestic mild cognitive impairment and Alzheimer’s disease : influence of active/passive encoding. Neuropsychologia, 50, 592-602.
Plancher, G., Gyselinck, V., Nicolas, S., & Piolino, P. (2010). Age effect on components of episodic memory and feature binding : A virtual reality study. Neuropsychology, 24, 379-390.