Quand le cancer se propage par les nerfs


Connue sous le nom d’invasion périneurale, la dissémination des cellules cancéreuses via les nerfs est une forme sournoise de développement du cancer. Ses mécanismes sont encore mal compris, et les possibilités de traitement à ce jour inexistantes. Mais des pistes venant de la recherche fondamentale se font jour.

Le cancer, on le sait, est un processus dynamique. Issues d’un foyer primaire, les cellules cancéreuses ont tendance à se disséminer et à coloniser d’autres organes, où elles forment de nouveaux foyers : on les appelle des métastases. Classiquement, ces cellules cancéreuses métastatiques empruntent le sang ou la lymphe pour se propager dans l’organisme, les tumeurs étant généralement richement irriguées par les vaisseaux sanguins et lymphatiques. Mais il existe une troisième voie, moins connue, de dissémination des cellules cancéreuses : les nerfs. On parle alors d’invasion périneurale.

Les chercheurs définissent le mécanisme de l’invasion périneurale comme une « interaction active, spécifique et réciproque entre les nerfs périphériques et les cellules malignes ». En quoi consiste cette interaction ? Au cours du développement et de la vie de l’organisme, divers processus permettent aux neurones de grandir, se multiplier et se maintenir en vie. Dans l’invasion périneurale, les cellules cancéreuses détournent ces processus à leur avantage. Elles attirent ainsi les neurones et favorisent leur croissance avant de migrer le long de ces derniers (voir l’image ci-dessous).

Timelapse montrant la migration de deux cellules cancéreuses le long d'un nerf. [1]L’analyse des images révèlent la migration de 2 cellules MiaPaCa2 (les cellules cancéreuses donc, ici ce sont des cellules d’adénocarcinomes du pancréas) le long des nerfs en 14 heures de temps. Les astérisques rouge et verte indiquent respectivement la première et la deuxième cellule migrante (échelle = 25µm). []

L’invasion périneurale se traduit par la présence de cellules cancéreuses le long des nerfs, et même à l’intérieur de ces derniers. Leur observation étant difficile à réaliser, la pertinence clinique de l’invasion périneurale a tendance à être sous-estimée. Elle est pourtant fréquente dans les cancers de la tête et du cou, du colorectum et de l’estomac, et [2]elle est même observée dans 80% des cancers de la vessie et de la prostate et au moins 90% des cancers du pancréas. []

Invasion périneurale (Figure) [3]Tumeur enveloppant un nerf périphérique en coupe transversale révélant la propagation des cellules tumorales. Les molécules exprimées par les tumeurs interagissent avec le stroma environnant ainsi qu’avec les récepteurs associés aux nerfs périphériques. []

La détection d’une invasion périneurale n’est jamais une bonne nouvelle. Elle s’accompagne généralement d’un pronostic vital plus engagé : en effet, comme il est difficile de se débarrasser par la chirurgie des cellules cancéreuses ayant envahi les nerfs, la probabilité de rechute est très forte. En outre, elle pourrait expliquer en partie les douleurs intenses des patients en stade avancé, puisque les nerfs eux-mêmes sont touchés.

Bien que sa première observation remonte à plus de cent cinquante ans, les mécanismes de l’invasion périneurale sont encore mal compris et les possibilités de traitement à l’heure actuelle sont inexistantes. Toutefois, des pistes venant de la recherche fondamentale (lire l’encadré ci-dessous) permettent de faire peu à peu la lumière sur ce phénomène complexe.

Mieux comprendre le guidage axonal pour lutter contre le cancer

Dans le cadre de l’invasion périneurale, les études ont montrés l’implication de nombreuses protéines : protéines de guidage, protéines d’adhésion cellulaire, etc. Toutes ces familles de protéines sont étudiées extensivement dans le cadre du neurodéveloppement et notamment du guidage l’axonal. Le guidage axonal, c’est l’étude des mécanismes permettant aux neurones, au cours du développement, de s’orienter correctement dans l’organisme pour atteindre leurs cibles. Il repose en grande partie sur ces différentes familles de protéines qui permettent de « signaler » au neurone s’il envoie ou non son axone dans la bonne direction.

[4] [5]Toutes les études sur le guidage axonal, []bien qu’en surface plus fondamentales que celles sur le cancer, permettent en réalité de faire la lumière sur une multitude de voies de signalisation et de mécanismes qui sont réutilisés et détournés par les cellules cancéreuses. Identifier un nouveau mécanisme impliqué dans le guidage axonal aujourd’hui, c’est mieux comprendre le cancer demain et peut-être le soigner après-demain.

Parmi les différentes études s’intéressant à l’invasion périneurale, certaines ont permis de mettre en évidence des moyens de freiner, voire d’empêcher la migration des cellules cancéreuses le long des neurones in vitro et in vivo. [3]Des travaux ont ainsi montré que les neurones de DRG (ganglion dorso-rachidien) cultivés in vitro en présence de cellules tumorales pancréatiques sécrètent du GDNF, une protéine cruciale dans le développement du système nerveux et de la survie neuronale. [] En réponse au GDNF, les cellules tumorales migrent le long des neurones de DRG. Ces travaux ont aussi montré qu’il était possible de réduire fortement l’invasion périneurale en utilisant un inhibiteur du GDNF in vitro et in vivo.

Ces études nourrissent l’espoir de développer un jour des traitements efficaces contre cette forme particulièrement sournoise de dissémination des métastases, améliorant ainsi le pronostic vital des patients touchés. Il reste cependant beaucoup de travail à effectuer avant d’être capable d’inhiber spécifiquement les interactions entre cellules cancéreuses et nerfs.   


Publications

  • 1. Z. Gil, O. Cavel, K. Kelly, P. Brader, A. Rein, S.P. Gao, D.L. Carlson, J.P. Shah, Y. Fong, R.J. Wong, Paracrine regulation of pancreatic cancer cell invasion by peripheral nerves., J. Natl. Cancer Inst. 102 (2010) 107–18. doi:10.1093/jnci/djp456.
  • 2. F. Marchesi, L. Piemonti, A. Mantovani, P. Allavena, Molecular mechanisms of perineural invasion, a forgotten pathway of dissemination and metastasis, Cytokine Growth Factor Rev. 21 (2010) 77–82. doi:10.1016/j.cytogfr.2009.11.001
  • 3. C. Liebig, G. Ayala, J. a. Wilks, D.H. Berger, D. Albo, Perineural invasion in cancer: A review of the literature, Cancer. 115 (2009) 3379–3391. doi:10.1002/cncr.24396.
  • 4. H. Nawabi, A. Briançon-Marjollet, C. Clark, I. Sanyas, H. Takamatsu, T. Okuno, A. Kumanogoh, M. Bozon, K. Takeshima, Y. Yoshida, F. Moret, K. Abouzid, V. Castellani, A midline switch of receptor processing regulates commissural axon guidance in vertebrates, Genes Dev. 24 (2010) 396–410. doi:10.1101/gad.542510.
  • 5. C. Delloye-bourgeois, A. Jacquier, C. Charoy, F. Reynaud, H. Nawabi, K. Thoinet, K. Kindbeiter, Y. Yoshida, Y. Zagar, Y. Kong, Y.E. Jones, J. Falk, A. Chédotal, V. Castellani, PlexinA1 is a new Slit receptor and mediates axon guidance function of Slit C-terminal fragments, Nat. Publ. Gr. 18 (2014) 36–45. doi:10.1038/nn.3893.
  • Chercheur(s)

    Hugo Ducuing

    Doctorant en 2e année à l’Institut NeuroMyoGène (INMG), membre de l’équipe neurodéveloppement, cancer et signalisation dirigée par Valérie Castellani, s’intéresse à la navigation des neurones commissuraux de la moelle épinière au cours du développement embryonnaire.

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    Hugo Ducuing

    Laboratoire

    Institut NeuroMyoGène (INMG)

    Centre de recherche fondamentale et translationnelle focalisé sur le système neuromusculaire. Son but est d’élucider des aspects fondamentaux de la biologie cellulaire du muscle et du système nerveux en condition normale ou pathologique depuis le développement embryonnaire jusqu’au vieillissement. Les équipes de l’INMG développent une recherche multidisciplinaire intégrée, allant des gènes aux fonctions physiologiques, dans des modèles cellulaires, invertébrés et vertébrés.

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