La magnétoencéphalographie (MEG) permet d’observer l’activité magnétique du cerveau en temps réel mais sa faible résolution spatiale en limite l’usage. Des chercheurs de l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod montrent aujourd’hui comment lever cet obstacle. Une avancée qui permet d’envisager des pratiques expérimentales plus douces.
Immergé dans le brouhaha d’une salle de concert, pour exercer son métier, l’ingénieur du son doit être capable d’isoler chacun des instruments de musique composant l’orchestre jouant sur scène. De s’attacher à une seule signature sonore recouverte potentiellement par le bruit ambiant. En neurosciences, dans la pratique, nous sommes confrontés à une problématique assez similaire. En effet, notre cerveau produit en permanence des signaux électriques : comment identifier la source d’un signal particulier alors que celui-ci est noyé dans le bruit de fond ? Au sein de l’Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod (ISC-MJ) de Lyon, cette question est explorée par les chercheurs du DANClab. Ils ont développé récemment une méthode permettant de retrouver avec précision la signature neuronale de certains de nos mouvements. Voici comment.
Deux petits mots tout d’abord sur l’anatomie de notre cerveau. Sa surface, ou plutôt sa couche externe, pourrait être comparée à l’écorce d’un arbre. Cette fine couche de matière grise – mesurant à peine deux à quatre millimètres d’épaisseur – distincte du reste du cerveau, appelée « néocortex », est le centre de calculs de nos sens, de notre cognition et de nos actions. Le néocortex est lui-même constitué de six couches distinctes qui diffèrent dans leur rôle et les régions avec lesquelles elles sont reliées. Ainsi, les couches du milieu sont activées par les signaux neuronaux transportant les informations sensorielles nouvelles, tandis que les informations cognitives activent plutôt les couches profondes.
En localisant les altérations cérébrales, à l’échelle des couches corticales, on pourrait réaliser des chirurgies plus ciblées.
Comprendre comment les signaux électriques véhiculés par les neurones transitent d’une couche à l’autre du néocortex revêt un intérêt fondamental, mais pas seulement. Il est aussi médical. Ces différentes couches ne contribuent pas de la même manière à générer et propager les crises épileptiques par exemple. Ainsi, si l’on pouvait localiser précisément les altérations cérébrales, à l’échelle des couches corticales, on pourrait réaliser des chirurgies plus ciblées et mieux comprendre les circuits impliqués dans la formation de ces crises. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Avec ces enjeux à l’esprit, les membres de l’équipe DANClab pilotée par James Bonaiuto mènent des travaux de recherche qui visent à cartographier l’activité du cerveau tout en déterminant finement les sources qui en sont responsables. Pour cela, ils combinent deux techniques : la magnétoencéphalographie (MEG) de haute précision, ainsi que l’IRM (Imagerie par résonnance magnétique) anatomique, identique à l’IRM utilisée pour les examens médicaux.
Et c’est sur la première technique qu’ils focalisent leurs efforts. Non invasive, la magnétoencéphalographie repose sur la mesure des champs magnétiques générés par l’activité électrique des neurones quand ils communiquent entre eux. Lors de sa mise en œuvre, le participant présente sa tête dans le creux du magnétoencéphalographe – autrement dit l’appareil de mesure – qui s’apparente à un grand tube blanc. Non loin du crâne de la personne, et à l’intérieur de l’appareil, plus de 200 capteurs appelés “magnétomètres” détectent et enregistrent les champs magnétiques produits par les neurones de son cerveau. On obtient ainsi une multitude de signaux qu’il faut décrypter.

Ces signaux sont d’amplitude extrêmement faible, et c’est seulement quand plusieurs milliers de neurones s’activent ensemble (sur les 86 milliards contenus dans le cerveau) que le champ magnétique produit dépasse la valeur seuil de l’appareil, de quelques femtoteslas, et devient mesurable. A titre de comparaison, les magnets que l’on met sur la porte du frigo émettent des champs magnétiques mille milliards de fois plus puissants : de l’ordre de 100 milliteslas.
Pour un même signal, il y a une infinité de sources possibles.
Utilisée dans les laboratoires de recherche, la MEG a pour elle, comme atout majeur, sa très bonne résolution temporelle, de l’ordre de la milliseconde. Sa résolution spatiale avoisinant le centimètre est en revanche bien moins satisfaisante et limite l’emploi de la MEG en imagerie médicale : on lui préfère l’IRM.
L’objectif des scientifiques du DANClab ? S’affranchir des limites actuelles de la MEG et proposer une solution technique offrant une résolution spatiale de l’ordre du millimètre, ce qui permettrait de différencier l’activité de chacune des couches du cortex.
Situons le problème. De la même façon que l’on détermine la position d’une source sonore grâce à l’action conjointe de nos deux oreilles, les chercheurs localisent la partie active du cerveau en comparant l’intensité et le délai des signaux enregistrés par les différents magnétomètres. Mais le résultat obtenu s’apparente à un vrai casse-tête car trouver une source sonore uniquement à partir de la mesure de son signal, c’est un peu comme deviner la forme d’un instrument de musique à partir du son qu’il produit : pour un même signal observé, il y a une infinité de sources possibles.
Alors comment s’en sortir ? L’idée poursuivie par les scientifiques est d’utiliser des informations contextuelles. Ce contexte, ce sont nos connaissances sur l’anatomie du cerveau, l’orientation possible des neurones et les lois physiques conditionnant la propagation d’un signal magnétique.
Les informations IRM permettent de créer un modèle mathématique représentant le cerveau dans ses moindres plis.
Historiquement, par manque de moyens techniques, l’exploitation des enregistrements MEG reposait sur deux hypothèses simplificatrices : on supposait qu’une seule source de neurones était active au moment de la mesure (ou un nombre très restreint) d’une part, et on assimilait la forme du cerveau à une sphère d’autre part. Or, on le sait : il y a toujours plusieurs groupes de neurones qui s’activent en même temps et notre cerveau est fait de plis et de bosses propres, en grande partie, à chacun d’entre nous. Ces approximations limitent la précision des mesures.
Grâce aux dernières avancées technologiques, on tient compte aujourd’hui de ces spécificités. James Bonaiuto et son équipe ont poussé cette approche plus loin : ils estiment désormais l’activité neuronale à différents niveaux de profondeur au sein des couches corticales.
Comment font-ils ? Tout d’abord, en utilisant l’IRM, on réalise au laboratoire une image du cerveau du participant pour en cartographier finement l’anatomie unique. Ces informations nous permettent de créer un modèle mathématique représentant le cerveau de la personne dans ses moindres plis puis de simuler l’enregistrement qui pourrait être obtenu par magnétoencéphalographie en activant différentes sources neuronales positionnées arbitrairement.
Schéma illustrant le principe de la mesure

(1) Grâce à l’IRM anatomique, la structure du cortex du participant (fine couche entre les limites bleues et fuchia) est caractérisée.
(2) Lors de l’enregistrement MEG, le participant porte un casque personnalisé qui garantit le maintien de la position de sa tête par rapport aux capteurs lors de la répétition de la tâche. Les neurones du cortex sont à l’origine de la majeure partie du signal enregistré.
(3) Magnétoencéphalogramme obtenu : les fluctuations des champs magnétiques, produits par l’activité neuronale, sont enregistrées par chaque capteur au cours du temps.
(4) Coupe verticale du cortex et de ses 6 couches. Contrairement aux méthodes standard de localisation des sources, l’approche laminaire développée au laboratoire permet de différencier les sources situées au sein des couches du cortex.
Dans un second temps, on procède à un enregistrement MEG de l’activité globale réelle du cerveau du participant pendant qu’il réalise un mouvement stéréotypé : cette tâche simple fait intervenir les mêmes circuits et groupes de neurones. L’enregistrement est répété plusieurs fois afin d’augmenter la sensibilité du signal.
Pour s’assurer de la bonne reproductibilité de nos mesures, les volontaires sont équipés d’un casque fabriqué à l’aide d’une imprimante 3D qui épouse parfaitement la morphologie de leur crâne : grâce à ce dernier, la tête est immobilisée à la même position à chacune des mesures. Le recours à la MEG portable, développée par MEG4Health et testée par le Cermep à Lyon, devrait permettre de shunter cette étape prochainement.
Enfin, on compare l’enregistrement MEG réel avec celui simulé par ordinateur : lorsque les deux coïncident, nous obtenons les positions probables des sources neuronales à l’origine de l’activité cérébrale mesurée. En procédant de la sorte, nous sommes capables dorénavant de déterminer la position de ces sources avec une précision inférieure au millimètre.
Les chercheurs du DANClab ont pu tester ce modèle chez l’animal, de façon non invasive.
Cette approche expérimentale a livré de premiers résultats intéressants. Lorsqu’ils sont planifiés, nos mouvements engendrent une activité cérébrale stéréotypée, d’environ 200 millisecondes, qu’on désigne sous le terme de « beta bursts ». On suppose que cette activité marqueur du mouvement vient de circuits neuronaux localisés dans des couches distinctes du néocortex et qui ont été identifiés il y a quelque temps.
Jusqu’à présent, cette théorie n’avait pu être vérifiée que de façon invasive, c’est-à-dire en insérant des électrodes au contact du cerveau d’animaux. Grâce à leurs travaux innovants sur la MEG de haute précision, les chercheurs du DANClab ont pu tester ce modèle théorique chez l’animal, de façon non invasive cette fois-ci, et le renforcer. Un pas encourageant, et à multiplier, pour des pratiques expérimentales plus douces.
Références
Bonaiuto, J. J., Little, S., Neymotin, S. A., Jones, S. R., Barnes, G. R., & Bestmann, S. (2021). Laminar dynamics of high amplitude beta bursts in human motor cortex. NeuroImage, 242, 118479.
Hillebrand, A., & Barnes, G. R. (2005). Beamformer analysis of MEG data. International review of neurobiology, 68, 149-171.