MEG portable : une innovation pour rendre la magnétoencéphalographie plus accessible


La magnétoencéphalographie (MEG) permet d’observer l’activité magnétique du cerveau en temps réel. Jusqu’ici cette technique utilisait des capteurs fonctionnant à très basse température, la rendant lourde et coûteuse. Grâce à une nouvelle génération de capteurs, la MEG devient portable, ce qui permet d’envisager de nouvelles applications.

Avec ses longs câbles entrelacés tels des serpents, la coiffe de l’homme assis devant nous évoque la chevelure de la mythique gorgone. La scène en est presque effrayante. Mains croisées sur le ventre, le sujet apparaît pourtant calme et serein. Installé dans l’une des salles du Centre d’étude et de recherche multimodal et pluridisciplinaire (Cermep) en d’imagerie du vivant de Lyon, il s’apprête à participer à une expérience de magnétoencéphalographie (MEG), une technique de mesure des champs magnétiques induits par l’activité électrique des neurones du cerveau. Mais le dispositif utilisé ici n’a rien à voir avec l’imposant tube blanc situé en arrière-plan qui sert habituellement d’outil d’observation. « C’est notre deuxième prototype de MEG portable, commente Denis Schwarz, ingénieur de recherche et responsable du département de magnétoencéphalographie du Cermep. Avec sa cinquantaine de capteurs répartis uniformément, il permet de reconstruire l’intégralité de l’activité cérébrale d’un sujet et présente déjà 80% des propriétés d’une MEG classique : c’est très encourageant. » L’innovation dite de rupture vient de faire l’objet d’une matinée spéciale lors du congrès CuttingGarden, dédié aux méthodologies de pointe pour la recherche en neurophysiologie, qui s’est tenu en ligne du 16 au 20 octobre 2023.

La MEG permet d’enregistrer les minuscules champs magnétiques générés par les neurones.

Sur quel principe physique repose la magnétoencéphalographie ? A la base du fonctionnement de notre cerveau, les cellules nerveuses, ou neurones, utilisent des signaux électriques pour communiquer entre elles des informations. Cette activité forme l’influx nerveux qui se propage le long des fibres nerveuses. Nous avons environ 100 milliards de neurones dans notre cerveau, chacun connecté en moyenne à 10 000 autres cellules nerveuses. Ces phénomènes électriques sont à l’origine de la formation de minuscules champs magnétiques, les neurones se comportant comme de petits aimants. C’est cela justement que la magnétoencéphalographie permet d’enregistrer depuis la surface de la tête. Toutefois, le champ magnétique créé par un seul neurone est beaucoup trop petit pour qu’on puisse l’enregistrer à distance. Il faut donc qu’un grand nombre de neurones, de l’ordre du million, fonctionnent ensemble de manière synchronisée pour que l’activité magnétique soit enregistrable. 

La valeur du champ magnétique mesuré approche classiquement la centaine de femtoTesla, une valeur extrêmement faible puisqu’elle représente un millième de milliardième de la valeur du champ magnétique terrestre. La précision spatiale des images obtenues s’en trouve limitée. « Très complémentaire de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), la MEG apporte la précision temporelle que cette autre technique n’a pas, ajoute Denis Schwarz. Elle est capable de produire des images de l’activité cérébrale en temps réel, soit une image toutes les millisecondes. »

Personne assise dans fauteuil. Au-dessus de sa tête, le tube de l'appareil de magnétoencéphalographie (MEG) ©Cermep

Stimulation du cerveau avec une tâche visuelle lors d’une expérimentation en MEG classique.

Les capteurs « squid » baignent dans de l’hélium liquide à -269°C qui doit être renouvelé régulièrement.

Utilisée depuis une trentaine d’années, la MEG classique a fait ses preuves. Largement maîtrisée, elle comporte cependant quelques inconvénients. Les systèmes de magnétoencéphalographie standards utilisent des capteurs « squid » qui fonctionnent à très basse température (-269°C). Pour ce faire, ils baignent dans de l’hélium liquide qui doit être renouvelé régulièrement, ce qui impacte lourdement les coûts de fonctionnement de l’appareil et explique la faible diffusion de la technique. En France, seuls cinq centres de recherche en sont pourvus, pour une centaine dans le monde. En outre, le casque préformé et intégré au dispositif n’a qu’une seule taille, celle d’un adulte standard : il n’est donc pas forcément adapté à tout le monde, notamment aux enfants. « C’est pour s’affranchir de ces deux limites que nous nous sommes rapprochés de la start-up MAG4Heath il y a trois ans, explique le spécialiste en imagerie. Notre idée : tester la faisabilité d’une MEG portable dans le cadre d’une première expérimentation utilisant leurs tout nouveaux capteurs. » S’il est piloté par le Cermep, l’effort de développement de ces capteurs associent étroitement le Centre national de recherche en neurosciences (CRNL), les Hospices civils de Lyon (HCL) et l’Institut des sciences cognitives (ISC).

Issue du CEA, la société MAG4Healthet basée à Grenoble développe depuis vingt ans des capteurs de mesure de champ magnétique dans le domaine spatial. L’objectif est aujourd’hui de transposer cette technologie au domaine médical. Particulièrement novateurs, ses capteurs, appelés magnétomètres à pompage optique (ou OPM) fonctionnent à température ambiante. Ils comportent chacun une petite cellule en verre, d’un centimètre cube de volume, remplie d’hélium gazeux. La cellule est traversée par un rayon laser, présent dans l’appareillage, dont l’intensité varie en fonction du champ magnétique : voilà pour le principe de la mesure. L’électronique et l’informatique associées au dispositif se chargent ensuite de déterminer pour chaque capteur la valeur du champ magnétique local perturbant le faisceau laser.

Les mesures issues de la MEG portable sont comparables à celles obtenues avec une MEG classique.

En novembre 2020, une série de quatre expériences de magnétoencéphalographie a été effectuée auprès de 18 volontaires sains équipés de casques, qui ne comportaient à l’époque que cinq capteurs OPM. Lors de ces expérimentations, différentes stimulations dont on connait bien le « pattern » cérébral ont été appliquées : il s’agissait d’un petit choc électrique sur le nerf médian (nerf passant entre deux tendons situés à la base du poignet et rendant possible la flexion de la main), d’un exercice visuel, d’une tâche motrice à effectuer avec une manette de jeu et enfin d’une sollicitation auditive. Les signaux observés grâce à la MEG portable ont ensuite été confrontés à ceux obtenus avec la MEG classique. Résultat : les enregistrements étaient comparables. Même conclusion lors de mesures réalisées auprès d’une population de personnes épileptiques : les signaux anormaux caractéristiques de l’épilepsie obtenues par MEG portable étaient superposables à ceux de la MEG classique. Cet ensemble d’observations valut preuve de concept. L’étape suivante a consisté à optimiser le dispositif de magnétoencéphalographie, notamment en augmentant le nombre de capteurs OPM. Le dispositif en cours de test en contient 48 exactement. 

Affichage de l'écran : zones actives du cerveau (à gauche), stimulus visuel (visage) et signaux MEG en fonction du temps. ©Cermep

Signaux de MEG observés lors d’une stimulation du cerveau.

Fonctionnement à température ambiante, très faible quantité d’hélium, peu énergivore : de premiers avantages pour la MEG portable. En outre, placés sur le casque, les capteurs OPM sont au contact direct de la peau du patient – ici le crâne – contrairement à la MEG classique. La réception des signaux émis par le cerveau s’en trouve augmentée. « Adaptable, le dispositif sera très pratique dans le cadre des prochains essais que nous ferons chez les enfants, ponctue Denis Schwarz. De façon générale, la MEG portable permet de multiplier les usages de la magnétoencéphalographie, inenvisageables jusqu’à présent. Comme celui d’acquérir les signaux cérébraux d’un patient en mouvement. « Utile dans le cas d’un patient parkinsonien dont on enregistrerait, en parallèle, des images de la marche grâce à des caméras placés dans son périmètre d’action », illustre l’ingénieur de recherche. Une équipe de neuroscientifiques, basés à Amiens, envisage quant à elle d’équiper de futures mamans avec les capteurs OPM pour enregistrer l’activité cérébrale du fœtus en développement et suivre l’évolution de son fonctionnement. Une expérimentation inédite. Autre avantage qu’amènerait la MEG portable : sortir de l’application cérébrale et explorer d’autres parties du corps ou du système nerveux comme la moelle épinière, les nerfs, le couple nerf-muscle, le cœur etc. 

La MEG portable va être testée pour étudier le cerveaux de rugbymen ayant subi des traumatismes crâniens.

Les applications de la MEG portable sont nombreuses. Mais il faut continuer à améliorer le système actuel. La deuxième version du prototype lyonnais de MEG portable sera d’abord testée, comme la première, sur des sujets sains et des sujets épileptiques. Outre les enfants, elle sera encore appliquée à des personnes ayant subi des traumatismes crâniens légers, en l’occurrence une population de rugbymen. Ses performances lui permettront-elles d’observer si et comment le cerveau de ces sujets récupèrent ? Il s’agira ensuite de multiplier par deux le nombre de capteurs pour augmenter la sensibilité de la technique et refaire les tests. 

« Enfin, il faudra miniaturiser le tout – capteurs et électronique – pour rendre le système vraiment portable, souligne Denis Schwarz. Le casque n’est pas très lourd, moins de deux kilogrammes. C’est supportable quand on est assis mais il faut quand même faire plus léger. » Pour le moment, la magnétoencéphalographie est un outil dédié exclusivement au monde de la recherche pour étudier le cerveau et les pathologies qui l’affectent. En développant la MEG portable, à travers ce partenariat avec les centres de recherche nationaux équipés, l’objectif visé par MAG4Health est de proposer à terme une alternative à la MEG conventionnelle actuelle avec, à performances égales, un coût total d’achat et de maintenance trois fois moindre (le dispositif de MEG conventionnel coûte 2 millions d’euros). A la clef ? Diffuser la technologie d’imagerie au sein des hôpitaux et des cliniques, et la rendre accessible aux patients qui en ont besoin et à leurs médecins. Une question de temps.

Référence

Gutteling T.P.; Bonnefond M.; Clausner T.; Daligault S.; Romain R.; Mitryukovskiy S.; Fourcault W.; Josselin V.; Le Prado M.; Palacios-Laloy A.; et al. A New Generation of OPM for High Dynamic and Large Bandwidth MEG: The 4He OPMs—First Applications in Healthy Volunteers. Sensors 2023, 23, 2801.

Chercheur(s)

Denis Schwartz

Ingénieur de recherche Inserm et responsable du département de magnétoencéphalographie du Cermep à Lyon.

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Denis Schwartz

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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