Vance Bergeron : de la physique à la neuro-rééducation



Spécialiste des propriétés physico-chimiques de la matière molle et passionné de vélo, ce chercheur franco-américain s’est retrouvé tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation. Aujourd’hui, il a réorienté ses travaux dans le domaine de la neuro-rééducation et a lancé un programme de recherche qui fédère chercheurs, médecins et personnes concernées par le handicap.


Lorsqu’il me reçoit dans son bureau, Vance Bergeron, en short et tee-shirt, est en train de s’entraîner sur un vélo stationnaire un peu spécial. Des électrodes posées sur ses cuisses sont reliées à un encodeur. Le courant qui les traverse permet à ses muscles de se contracter en cadence et d’actionner le pédalier au rythme souhaité. Du coin de l’œil, le chercheur surveille le tableau de bord où s’affichent ses paramètres physiologiques. Dans quelques jours, il participera à Zürich au Cybathlon, la première compétition pour athlètes handicapés bénéficiant d’une assistance (regarder la vidéo de France2 ci-dessous). « Je commence à transpirer, c’est bon signe ! », lance-t-il avec un large sourire. En effet, l’absence de transpiration est une des conséquences d’une lésion médullaire. Transpirer à nouveau est donc un signe d’amélioration de sa condition.

Sept longs mois de rééducation

Vance revient de loin. Ce chercheur franco-américain du laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure de Lyon a vu sa vie basculer un matin de février 2013. Alors qu’il se rend au travail en vélo, il est percuté par une voiture. Le choc est terrible. Il en réchappe mais la moelle épinière est touchée. Diagnostic : tétraplégie incomplète. Il a perdu l’usage de ses jambes, et ses bras ne répondent que partiellement. Un choc pour ce cycliste accompli qui passe ses vacances à enchaîner les cols de première catégorie. S’en suivent sept longs mois de soins et de rééducation à l’hôpital Henry-Gabrielle, à Saint-Genis-Laval, dans la banlieue sud de Lyon. Dans sa chambre, Vance se demande ce qu’il va devenir ? « J’ai tout de suite réagi en chercheur, raconte-t-il. J’ai commencé par faire l’inventaire des solutions disponibles pour la rééducation des tétraplégiques. J’ai constaté qu’il existait des machines très perfectionnées, mais primo elles n’étaient pas disponibles en France et secundo elles coûtaient très cher. Et en plus, on ne pouvait même pas les tester avant de les acheter ! »

Vance Bergeron sur son vélo d'entraînement. © Amélie BenoistVance Bergeron s’entraine sur un vélo qui lui permet de mobiliser ses jambes en actionnant un pédalier à main. Sur l’écran, une route virtuelle pour entretenir la motivation.

Alors, que faire ? Partir aux Etats-Unis pour bénéficier des meilleurs programmes de réhabilitation ? Pas réaliste… Avec l’indemnité que lui verse l’assurance, Vance s’achète un vélo stationnaire équipé d’un système d’électro-stimulation qu’il fait venir des Etats-Unis. Entre deux séances de rééducation, il s’entraîne, d’abord à l’hôpital puis chez lui. Son but est de reconquérir un maximum d’autonomie en améliorant sa condition physique. « Rapidement, je me suis dit que c’était idiot de ne pas faire profiter les copains du centre de rééducation de mon expérience : c’est comme ça que tout a commencé. »

Fête de la Science : venez rencontrer Vance Bergeron et son équipe

Flyer de la conférence Vance BergeronDans le cadre de la Fête de la Science, le LabEx CORTEX organise une rencontre exceptionnelle avec Vance Bergeron le vendredi 14 octobre. Le chercheur racontera comment le handicap l’a conduit à réorienter ses recherches et à investir le champ des neurosciences. Entouré de deux de ses proches collaborateurs, Sébastien Mateo et Amine Metani, il nous fera découvrir les dernières innovations dans le domaine des interfaces cerveau-machine et de l’électrostimulation musculaire.
Vendredi 14 octobre à 18h30 – amphithéâtre Charles-Mérieux, ENS de Lyon
> Plus d’informations sur la rencontre

«Un chercheur n’est pas enfermé dans son champ de recherche»

Confronté aux difficultés de tout tétraplégique pour mener une vie normale, Vance Bergeron décide alors de laisser de côté ses recherches sur les propriétés physico-chimiques de la matière molle et de mettre ses compétences au service de la rééducation des personnes handicapées. Mais comment changer aussi radicalement de champ de recherche ? Ce n’est pas si compliqué que cela, assure Vance. « Contrairement à ce qu’on croit, un chercheur n’est pas enfermé dans son domaine de recherche, assure-t-il. Faire une thèse, c’est avant tout une mise à l’épreuve pour voir si vous êtes capable de chercher par vous-même. La démarche est donc transposable. » Aujourd’hui, avec les ressources disponibles en ligne, « un chercheur peut acquérir en quelques mois 80% des connaissances disponibles », estime Vance. « Les 20% restant, c’est autre chose : ils peuvent occuper toute une vie ! »

Pas question de partir seul dans cette nouvelle aventure. Il enrôle bientôt deux jeunes chercheurs de son entourage. Le premier s’appelle Amine Metani. Diplômé de l’Ecole centrale de Lyon, cet ingénieur a rédigé sa thèse de physique (sur la biodécontamination de l’air) sous la direction de Vance Bergeron. Fils de médecins, il entend faire quelque chose d’utile de sa vie : « Ce qui me motive ce n’est pas ce que je fais techniquement, déclare-t-il, c’est la finalité de mon travail. » Le projet de Vance rejoint ses aspirations. Mais c’est aussi la personnalité de son directeur de thèse qui l’a séduit : « Vance a une capacité à simplifier les problèmes complexes qui me bluffe, raconte-t-il. Je me souviens, par exemple, de son explication des forces de van der Waals [NDLR : interactions électriques de faible intensité entre les molécules] : c’était lumineux ! »

Vance entraîne son cerveau à diriger un avatar. © Amélie BenoistVance et Amine s’entrainent pour l’épreuve utilisant une interface cerveau-machine pour diriger un avatar. Vance est équipé d’un casque à électrodes qui permet de suivre en direct son activité neuronale.

Une association pour améliorer la rééducation des tétraplégiques

Autre membre clé de l’équipe, Sébastien Mateo. Spécialisé dans les traumas médullaires, ce jeune masseur-kinésithérapeute exerce à l’hôpital Henry-Gabrielle. C’est là que Vance l’a rencontré. Ce docteur en neurosciences a montré l’intérêt d’utiliser l’imagerie motrice (le fait d’imaginer un mouvement) lors de la rééducation de la préhension après une tétraplégie. « La lésion médullaire cervicale entrainant une tétraplégie réduit dramatiquement les possibilités de préhension de ces patients, alors que la récupération de cette fonction est primordiale pour l’autonomie quotidienne, explique-t-il. L’améliorer constitue donc un enjeu essentiel. » Avec Vance, les échanges scientifiques débutés lors de la rééducation se sont concrétisés avec un post-doctorat à l’ENS portant sur l’étude de l’imagerie motrice et de la stimulation électrique fonctionnelle utilisées en neuro-rééducation.

Sébastien aide Julien, paraplégique et membre de l’équipe de l’ENS pour le Cybathlon, à positionner les électrodes et à régler l'intensité de l'entrainement.Sébastien aide Julien, tétraplégique et membre de l’équipe de l’ENS Lyon pour le Cybathlon, à positionner les électrodes et à régler l’intensité de l’entrainement.

Avec Amine et Sébastien, Vance Bergeron crée l’association ANTS (Advanced Neurorehabilitation Therapies, acronyme signifiant aussi… fourmi en anglais) avec le soutien du CNRS, de l’ENS de Lyon et des Hospices civils de Lyon (HCL). C’est ce qu’on appelle un projet de recherche translationnel, autrement dit un projet transdiciplinaire orienté par un objectif thérapeutique. En l’occurrence, dans le cas d’ANTS, développer des programmes neuro-rééducatifs novateurs permettant aux personnes tétraplégiques de retrouver la vie la plus normale possible (lire l’encadré).

En France, l’électro-stimulation n’a pas bonne réputation

Mais il y a un obstacle – et de taille : convaincre l’hôpital de la pertinence de la stimulation électro-fonctionnelle (SEF). En effet, cette technique de rééducation n’a pas bonne réputation en France. On met en avant ses effets indésirables, comme les spasmes. « Bullshit ! lance Vance Bergeron. Correctement utilisée, la SEF permet d’entretenir les muscles et d’éviter les maladies secondaires de la paralysie : diabète, escarres, ostéoporose, maladies cardiovasculaires… Je ne comprends pas ces réticences, cela me met vraiment en colère ! » Heureusement, le professeur Gilles Rode, qui enseigne la médecine physique et la réadaptation tout en exerçant à l’hôpital Henry-Gabrielle, se laisse rapidement convaincre et leur apporte sa caution clinique.


Les objectifs de l’association ANTS

  • ANTS : Thérapies neuro-rééducatives avancéesDonner aux patients une indépendance maximale en atteignant leur plein potentiel fonctionnel.
  • Réduire les lésions secondaires dues au mode de vie sédentaire.
  • Promouvoir des évènements sportifs dédiés.
  • Financer la R&D de pointe dans le domaine des thérapies neuro-rééducatives.
    www.ants-asso.com

Rien n’aurait été possible non plus sans le soutien du CNRS et de l’ENS de Lyon. Convaincues par le projet de Vance Bergeron, les deux tutelles lui accordent trois ans de post-doc pour lancer une nouvelle activité, contrats dont bénéficient aujourd’hui Amine et Sébastien. Jean-François Pinton, le président de l’ENS de Lyon, lui donne carte blanche : « Tout de suite, il m’a dit “OK pour t’aider sur un programme de recherche transversal” ! » Et puis il y a la rencontre avec Henry Kennedy, directeur de recherche à l’Inserm et responsable scientifique et technique du LabEx CORTEX. « Un coup de foudre scientifique ! précise Vance : il finissait mes phrases et je terminais les siennes… » Ce spécialiste de l’architecture corticale est notamment intéressé par les rétroactions du programme d’électrostimulation sur le cerveau.

A Zurich, des contacts avec des scientifiques du monde entier

Reste la question cruciale du budget. Vance Bergeron est nouveau dans le domaine de l’électrostimulation. Difficile à ce stade de trouver des financements par les circuits classiques. Il essaie donc de s’entourer des meilleurs spécialistes. Parmi eux, le serbe Dejan Popovic, le « pape de l’électrostimulation ». Pour le convaincre de rejoindre son projet, Vance se rend à Belgrade avec Amine et Sébastien. Aujourd’hui, les deux équipes collaborent étroitement. « Dès que les projets de valorisation seront plus avancés, Dejan envisage même de venir s’installer en France ! » confie Vance.

Quels sont justement les projets de valorisation de recherche portés par l’association ANTS ? Le premier est d’améliorer les techniques d’électrostimulation de façon, notamment, à limiter les problèmes de fatigue musculaire. Un deuxième objectif est de développer des prototypes de vélos équipés d’un dispositif d’électrostimulation : des modèles statiques mais aussi des vélos mobiles permettant aux tétraplégiques de se déplacer tout en faisant du sport. Pour cela, Vance cherche des partenaires financiers et industriels pour créer une startup. Un autre projet vise à ouvrir à Lyon un centre de rééducation équipé d’un nombre suffisant d’équipements. Enfin, ANTS souhaite organiser des sorties et des événements sportifs permettant aux tétraplégiques de vivre ensemble des expériences stimulantes.

Rencontre avec un autre fou du vélo

Cybathlon 2016, Team ENS Lyon

Pour ce dernier projet, Vance peut compter sur Michel Sorine (premier rang, troisième en partant de la gauche). Cet homme de communication est surtout connu comme l’organisateur de la mythique SaintéLyon, course à pied nocturne entre Saint-Etienne et Lyon (72 km). A la suite d’un accident de VTT en avril 2014, ce fou de vélo (il parcourait 14 000 km par an !) se retrouve tétraplégique. « Vis ta tétraplégie comme une nouvelle aventure », lui conseille Vance lors d’une séance de rééducation. C’est ce que Michel fait en reprenant le boulot « bille en tête » et en rejoignant l’association ANTS : « Vance n’est pas le genre de personnes à qui on dit non », lâche-t-il en souriant. Aujourd’hui, il vient s’entraîner trois fois par semaine au laboratoire. Car il fait partie de l’équipe qui représentera l’ENS de Lyon au Cybathlon.

L’ENS de Lyon participe au premier Cybathlon

L’ENS de Lyon a engagé deux équipes au premier Cybathlon, qui s’est tenu le 8 octobre 2016 à Zurich : l’une dans l’épreuve de vélo avec électro-stimulation fonctionnelle, l’autre dans l’épreuve de course d’avatars mus par des interfaces cerveau-machine.

Organisé par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, le premier Cybathlon a réuni 75 athlètes handicapés bénéficiant d’une assistance originaires de 25 pays. Ils se sont affrontés dans différentes épreuves montrant à cette occasion comment la robotique peut faciliter le quotidien des personnes avec un handicap.

> Le classement et les vidéos des épreuves.

Pour l’équipe, au-delà de la performance sportive, ce rendez-vous représente une opportunité de rencontrer les meilleurs experts mondiaux de la neuro-rééducation et de faire connaître leur projet au grand public. Les Lyonnais auront la chance de pouvoir les rencontrer à leur retour de Zurich : Vance et son équipe viendront partager leur expérience lors d’une soirée organisée dans le cadre de la Fête de la Science (lire l’encadré). On a hâte de les entendre !

Reportage photo : Amélie Benoist

Chercheur(s)

Amine Metani

Post doctorant, docteur en biophysique et ingénieur, supervise la réalisation des prototypes développés dans l'équipe de Vance Bergeron. Thèmes de recherche : neuro-rééducation, interfaces cerveau machine, stimulation électrique fonctionnelle.

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Amine Metani

Vance Bergeron

Directeur de recherche au CNRS, dirige l’équipe Matière et complexité au sein du laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Thème de recherche : propriétés physico-chimiques de la matière molle. Depuis 2014, neuro-rééducation, interfaces cerveau machine, stimulation électrique fonctionnelle, dans un cadre translationnel.

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Vance Bergeron

Sébastien Mateo

Post-doctorant, docteur en neurosciences et masseur-kinésithérapeute à l’hôpital Henry-Gabrielle (HCL), partage la moitié de son temps entre la rééducation à l’hôpital et la recherche. Il collabore aussi au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). Thèmes de recherche : imagerie motrice et rééducation neurologique, plasticité cérébrale et interfaces cerveau machine, contrôle moteur et stimulation électrique fonctionnelle.

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Sébastien Mateo

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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