Neuromythe #1 : les styles d’apprentissage


Nous aurions chacun un style d’apprentissage privilégié qui nous permettrait de mieux comprendre et mémoriser les connaissances : visuel pour les uns, auditif ou kinesthésique pour les autres. En réalité, on n’a jamais pu faire la preuve de la supériorité d’un enseignement qui adapterait sa pédagogie aux profils des individus.

Quel est votre style d’apprentissage ? Lorsqu’on tape cette question dans le plus célèbre des moteurs de recherche, on n’obtient pas moins de 26,5 millions de résultats ! Preuve de la notoriété d’un concept reposant sur un postulat séduisant : nous aurions chacun une modalité d’apprentissage préférée. Les sujets «visuels» apprendraient plus facilement par le biais de schémas et d’illustration ; les «auditifs» mémoriseraient mieux en lisant leurs cours à voix haute ; quant aux «kinesthésiques», ils auraient besoin d’expérimenter pour bien intégrer les connaissances. Si ce concept était fondé, il conviendrait alors d’adapter l’enseignement au profil des élèves afin de maximiser leurs chances de réussite. Mais peut-on se fier aux théories des styles d’apprentissage ? Qu’en disent les neurosciences ?

Pour comprendre d’où vient ce concept, il faut remonter aux travaux du neurologue Raymond Lafontaine qui présente, en 1975, un modèle théorique selon lequel les individus se répartiraient selon deux profils « neurosensoriels » distincts reposant sur la façon de recevoir une information et de la traiter. Il y aurait ainsi des profils «visuels» et des profils «auditifs». Cette modalité dominante pourrait être caractérisée dès les premiers mois de vie d’un nourrisson. Ce modèle, qui a rencontré un vif succès, est à l’origine des méthodes pédagogiques différenciées prenant en compte le profil cognitif des individus. Depuis Lafontaine, on a défini de nombreux autres profils d’apprentissage. Cofield et al. (2004) en a dénombré plus de 70 ! [1] Néanmoins, les plus courants restent les profils visuel, auditif et kinesthésique (souvent désignés par l’acronyme VAK). Cela tient au fait que la vue, l’ouïe et le toucher sont les principaux sens participant à la mise en mémoire de nouvelles informations et à la représentation des informations à apprendre.

Ces thèses sont particulièrement bien implantées dans le monde de l’éducation.  Selon Rousseau et al., neuf enseignants sur dix y adhéreraient [2]. Comment expliquer une telle popularité ? D’abord, par un motif noble : l’intérêt que les professeurs portent à la réussite de leurs élèves. L’idée selon laquelle l’utilisation de méthodes pédagogiques prenant en compte les spécificités des élèves améliorerait la qualité des apprentissages, donc la réussite, est assurément séduisante. Elle est en outre renforcée par des observations subjectives tirées de la pratique qui semblent aller dans ce sens. Toutefois, même si elles sont respectables, ces expériences personnelles n’ont pas valeur de preuves. Elles sont soumises à un certain nombre de biais bien connus (lire l’encadré). 

Ces biais qui faussent notre jugement

Biais cognitifs (©Shutterstock/VectorMine)

Nous le savons, notre appréciation d’une situation n’est jamais « neutre ». Elle est conditionnée par notre culture, notre expérience, nos croyances, etc. Mais aussi par le fonctionnement de notre psychisme. C’est ce qu’on appelle les biais cognitifs. Le biais de confirmation, par exemple, nous fait privilégier les informations qui confirment nos croyances plutôt que celles qui les contredisent. Ainsi, un enseignant adepte des profils d’apprentissage donnera plus de poids à l’observation d’un élève qui mémorise mieux par l’audition qu’à l’observation de plusieurs élèves qui mémorisent aussi bien quelle que soit la méthode utilisée. A ce biais cognitif viennent souvent s’en ajouter d’autres. Tel l’heuristique de disponibilité, qui privilégie les souvenirs les plus mémorables, ceux qui possèdent la plus grande charge émotive, au détriment de faits nouveaux. Ou l’heuristique de familiarité, qui incite à faire confiance et à juger plus crédibles des souvenirs familiers. Ou encore l’amnésie de source, qui fait d’oublier si l’origine d’un souvenir est fiable ou non. Sans oublier l’effet retour de flammes, qui se caractérise par un renforcement des croyances lorsque la personne est confrontée à des faits qui les contredisent.

Que disent les neurosciences de ces catégories ? De nombreuses études ont été menées pour tester la validité de la théorie des profils VAK [3]. Mais aucune à ce jour n’a pu prouver que la qualité de l’apprentissage était supérieure quand l’enseignement était adapté au profil de l’élève [4] (hypothèse «d’appariement»). 

Faire passer l’apprentissage par une seule modalité sensorielle va à l’encontre des travaux sur l’organisation fonctionnelle du cerveau humain.

En réalité, faire passer l’apprentissage par une seule modalité sensorielle va à l’encontre des travaux sur l’organisation fonctionnelle du cerveau humain. On sait en effet désormais que les fonctions cognitives sont sous-tendues par de réseaux de neurones complexes, impliquant des régions distinctes du cerveau. Comment sont traités les messages sensoriels ? L’information est d’abord envoyée à des aires dites primaires où s’effectuent les premiers traitements puis à des aires secondaires, responsables des traitements de plus haut niveau. Les informations provenant des différents systèmes sensoriels sont enfin compilées dans les aires associatives qui les combinent afin de permettre une perception globale de notre environnement. Ce schéma ne dépend pas des individus, il est valable pour tous les cerveaux ! 

De nombreuses études [5] ont montré au contraire que l’intégration multisensorielle était susceptible d’améliorer la capacité de percevoir et de traiter les informations. Bref, si un sujet peut avoir une préférence d’apprentissage, il est erroné d’affirmer qu’il possède une région sensorielle “dominante” qu’il faudrait stimuler davantage pour optimiser son apprentissage. Les enseignants qui veulent rendre les apprentissages de leurs élèves plus efficaces auront donc intérêt à utiliser des méthodes pédagogiques sollicitant tous les sens.

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

En finir avec les neuromythes

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série

Bibliographie

1. Coffield, F., Moseley, D., Hall, E. et Ecclestone, K. (2004a). Learning styles and pedagogy in post-16 learning: A systematic and critical review. London, UK: Learning and Skills Research Centre.

2. Rousseau, L., & Brabant-Beaulieu, J. Le neuromythe des «styles d’apprentissage» VAK (visuel, auditif, kinesthésique): une tentative de démystification auprès d’apprentis enseignants franco-ontariens.

3. Husmann, P.R. & O’Loughlin, V.D. (2018). Another nail in the coffin for learning styles? Dispararities among undergraduate anatomy students’ study strategies, class performance, and reported VARK learning styles. Anatomical Sciences Education.

4. Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning Styles: Concepts and Evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9(3), 105–119

5. Wallace, M. T., Meredith, M. A., & Stein, B. E. (1998). Multisensory integration in the superior colliculus of the alert cat. Journal of neurophysiology, 80(2), 1006-1010.

Pour aller plus loin

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

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Clara Saleri

Yves Rossetti

Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.

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Yves Rossetti

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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