Valérie Castellani : « On a transféré notre expertise de recherche fondamentale vers la cancérologie »


Chercheuse en neurobiologie du développement à l’Institut NeuroMyoGène de Lyon, Valérie Castellani vient de recevoir la médaille de l’innovation du CNRS. Cette distinction récompense le développement d’une technologie permettant de répliquer dans des embryons de poulet l’évolution de cellules tumorales. Un procédé au potentiel énorme, désormais exploité par la startup Oncofactory qu’elle a créée avec son associée (photo : Frédérique Plas/INMG/ Photothèque CNRS).

Pour quelqu’un qui n’était pas destinée à la recherche (lire son portrait), c’est une belle récompense ! La médaille de l’innovation du CNRS honore en effet des chercheurs « dont les recherches exceptionnelles ont conduit à une innovation marquante sur le plan technologique, thérapeutique ou social ». Chercheuse en biologie du développement à l’Institut NeuroMyoGène (CNRS/Inserm/Université Claude-Bernard 1), Valérie Castellani étudie les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent la génération des neurones dans l’embryon, leur migration et la mise en place de leurs connexions nerveuses via le guidage axonal. Ces recherches ont permis de développer diverses approches expérimentales qu’elle transfère à la problématique des cancers pédiatriques. Elle a mis au point avec sa collaboratrice Céline Delloye-Bourgeois un modèle qui permet la reproduction dans un embryon de poulet de l’évolution de cellules tumorales prélevées chez des patients. Cette innovation, qui représente un progrès crucial pour la médecine personnalisée, est désormais exploitée par la start-up Oncofactory, qu’elle a créée avec Céline Delloye-Bourgeois.

Quel est le lien entre le développement des cellules nerveuses et la prolifération des cellules cancéreuses ?
Dans mon équipe, nous cherchons à comprendre comment les cellules nerveuses se repèrent dans l’espace à différentes étapes de la construction du cerveau et de la moelle épinière. Les cellules migrent et orientent leur prolongement axonal grâce à des signaux moléculaires présents dans leur environnement. Très tôt, dès 2004, je me suis demandé si la dissémination des cellules cancéreuses n’était pas guidée, elle aussi, par des molécules de développement qui s’exprimeraient dans certains tissus. C’est ce qui m’a conduit à m’intéresser au neuroblastome, une forme de cancer qui se développe à partir du système nerveux sympathique chez les jeunes enfants. Un cancer redoutable, car deux fois sur trois il est découvert au stade métastatique. Avec mon équipe, et en parallèle de nos travaux en neurosciences, nous avons donc transféré notre expertise du développement du système nerveux vers l’étude du neuroblastome.

“En seulement 48 heures, on peut ainsi voir les cellules tumorales migrer et coloniser les territoires dans lesquels se forment les tumeurs primaires chez l’enfant.”

Pouvez-vous nous présenter le modèle que vous avez développé pour reproduire l’évolution de cellules tumorales ?
En 2012, j’ai confié à Céline Delloye-Bourgeois, spécialiste de la biologie des cellules cancéreuses, arrivée dans mon équipe pour réaliser son stage post-doctoral, le projet de développer un modèle tumoral innovant consistant à placer des cellules de neuroblastome dans un embryon de poulet – modèle classiquement utilisé en biologie du développement. L’objectif était de confronter les cellules cancéreuses à des signaux environnementaux propres aux organismes immatures, comme c’est le cas des enfants. Céline a pris le projet à bras-le-corps et ses efforts ont été couronnés de succès. Le principe de ce modèle est le suivant. Les cellules sont greffées dans leur site d’origine – la crête neurale – ce qui permet de rejouer l’histoire du neuroblastome, de créer une sorte de réplique miniaturisée. En seulement 48 heures, on peut ainsi voir les cellules tumorales migrer et coloniser les territoires dans lesquels se forment les tumeurs primaires chez l’enfant. Et, dans les jours qui suivent, on peut observer la mise en place du programme de dissémination métastatique. C’est un progrès considérable par rapport aux modèles animaux classiques, qui demandent plusieurs semaines pour obtenir une tumeur primaire et n’offrent aucune possibilité de récapituler le programme métastatique. Ce nouveau modèle tumoral est aussi le résultat d’un savoir-faire développé et partagé par tous dans l’équipe, en micromanipulations expérimentales dans l’embryon comme en microscopie.

Vous avez créé une startup pour exploiter cette innovation technologique. Pourquoi ce choix ?
Céline Delloye-Bourgeois et moi avons été poussées par notre goût de l’innovation. Nous nous sommes dit que la technologie que nous avions développée avait un potentiel énorme et qu’elle pourrait profiter à d’autres champs de recherche. Nous avons créé Oncofactory en 2016. Nous avons bénéficié pour cela d’un accompagnement précoce de la part de Pulsalys, la société d’accélération du transfert de technologies de l’Université de Lyon-Saint-Etienne, et du CNRS. Oncofactory a été lauréate du concours mondial d’innovation, ce qui nous a permis d’adapter notre modèle à d’autres cancers. Notre objectif, c’est d’utiliser la technologie issue du laboratoire de recherche fondamentale à des fins de médecine personnalisée et d’analyses précliniques. Il s’agit, par exemple, de développer des biomarqueurs prédictifs de la réponse à un traitement anticancéreux ou d’aider les laboratoires pharmaceutiques à développer de nouveaux médicaments.

Une équipe affiliée à deux LabEx

L’équipe de Valérie Castellani a été sollicitée par deux laboratoires d’excellences (LabEx) : CORTEX, pour l’étude des mécanismes de migration et de formation des connexions nerveuses, et DEVweCAN, pour l’étude des signaux de guidage axonal dans la dissémination métastatique.

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Valérie Castellani et son équipe de recherche - Institut NeuroMyoGène de Lyon (photo : ViseeA)Elle a créé son équipe pour rester libre : portrait de Valérie Castellani, chercheuse passionnée et audacieuse.
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Chercheur(s)

Valérie Castellani

Directrice de recherche CNRS. Dirige l'équipe Neuro-développement, cancer et signalisation à l'Institut NeuroMyoGène de Lyon. Spécialiste de la biologie du développement, s'intéresse aux communications moléculaires entre les cellules et leur microenvironnement au cours des processus de prolifération et de migration.

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Valérie Castellani

Laboratoire

Institut NeuroMyoGène (INMG)

Centre de recherche fondamentale et translationnelle focalisé sur le système neuromusculaire. Son but est d’élucider des aspects fondamentaux de la biologie cellulaire du muscle et du système nerveux en condition normale ou pathologique depuis le développement embryonnaire jusqu’au vieillissement. Les équipes de l’INMG développent une recherche multidisciplinaire intégrée, allant des gènes aux fonctions physiologiques, dans des modèles cellulaires, invertébrés et vertébrés.

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