Valérie Castellani : elle a créé son équipe pour rester libre



Comme les neurones dont elle étudie le développement, Valérie Castellani dit d’elle qu’elle a exploré plusieurs voies avant de trouver son chemin vers la recherche. Cela ne l’a pas empêchée de mener une magnifique aventure scientifique, embarquant avec elle une équipe de chercheurs aussi motivés qu’elle. Portrait d’une passionnée, animée depuis toujours par la curiosité et le goût de l’exploration (photo : Antoine Ligier/Viseea).

Enfant, je m’imaginais archéologue ou explorateur, j’avais envie de rêves et de grands espaces. » Valérie Castellani sera finalement chercheuse. Les rêves et les grands espaces seront au rendez-vous, même s’ils vont prendre une forme un peu différente de celle qu’elle imaginait alors. Les rêves ? Ceux de tout chercheur dont les travaux contribuent à la mise au point de traitement contre des maladies incurables – pour elle, les cancers pédiatriques. Quant aux grands espaces, ce sont ceux de la connaissance qui ne connaît pas de frontières et associe des chercheurs de toutes nationalités.

Vive et menue, Valérie Castellani dégage une énergie communicative. Quand elle parle de son métier, son visage, encadré de longues boucles brunes, s’anime : la passion est là comme aux premiers jours. Pourtant, rien n’était écrit d’avance. Née au Nigéria, Valérie Castellani passe son enfance en Afrique, habitant au Ghana puis au Gabon, au gré des affectations de son père, cadre dans une compagnie de transport international. La famille rentre en France quand elle a 9 ans. On la retrouve quelques années plus tard à l’université de Bordeaux, suivant un DEA de biologie végétale, qui l’amène à s’intéresser aux pathologies touchant les arbres fruitiers. Doutant de son orientation, l’étudiante fait ensuite un master d’administration des entreprises à Lyon… qui ne la convainc pas davantage. Elle décide alors de retourner en Afrique. La jeune diplômée part travailler durant un an au Cameroun pour le Cirad, organisme français de recherche agronomique et de coopération pour le développement des régions tropicales et méditerranéennes. A son retour, après quelques expériences professionnelles décevantes, elle décide de se tourner vers la recherche. Pourquoi les neurosciences ? « Sans doute pour le mystère, le côté exploratoire », répond-elle aujourd’hui. Restait à trouver un laboratoire qui veuille bien d’elle. « Avec mon profil et mon âge, ce n’était pas gagné ! »

« Dès ma première année de thèse, je me suis retrouvée à parler devant 400 scientifiques pour un meeting qui se tenait à San Diego. Quel stress ! »

C’est là qu’elle rencontre Jurgen Bolz, scientifique allemand non-conformiste, qui va devenir son mentor. Fraîchement recruté comme directeur de recherche au sein de l’Institut Cerveau et Vision, dirigé par Henry Kennedy, il est en train de constituer son équipe. « Mon parcours atypique – j’avais déjà un enfant – ne l’a pas rebuté. » Il accepte de devenir son directeur de thèse. Son sujet portera sur le développement des connexions dans le cortex. « Je dois beaucoup à Jurgen Bolz, confie Valérie Castellani. Il échangeait tout le temps avec ses étudiants. Il nous a immergés tout de suite dans la recherche internationale. Dès ma première année de thèse, je me suis retrouvée à parler devant 400 scientifiques pour un meeting qui se tenait à San Diego. Quel stress ! » Une attitude qui pousse les étudiants à se dépasser. « Il nous a appris à prendre des risques et à suivre nos intuitions. » 

Après son doctorat, la jeune chercheuse poursuit ses travaux sur le développement du système nerveux en tant que post-doc à l’Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy, dans l’équipe de Geneviève Rougon. « C’était super, on m’a tout de suite donné les moyens de mener un beau projet. » Durant deux ans, elle travaille sur des mutations d’un gène qui provoquent de graves défauts du développement du système nerveux chez les enfants qui en sont atteints. Bien qu’adossés à une pathologie, ses travaux restent cependant dans la sphère fondamentale. « A l’époque, j’avais peu d’intérêt pour la recherche appliquée, reconnaît-elle. Ce n’était pas encore le moment pour moi. »

« Mon rôle, c’est de tracer la ligne conductrice du labo, ce qui fait que l’équipe est une équipe et non une collection de projets indépendants. »

Bientôt recrutée par le CNRS, elle décide de créer sa propre équipe, « pour être libre de mener les recherches qui me plaisent ». Elle postule alors pour le programme ATIP-Avenir, sorte de concours organisé par le CNRS et l’Inserm. Bingo ! Son dossier est retenu. Retour à Lyon. Elle est accueillie par le Centre de génétique et de physiologie moléculaire et cellulaire (CGPhiMC), depuis intégré à l’Institut NeuroMyoGène (INMG). L’équipe se constitue peu à peu. Début 2007, ils sont huit chercheurs. « Une époque bénie : j’étais très présente dans les sujets, on avait moins besoin d’argent. » Aujourd’hui, Valérie Castellani dirige une quinzaine de personnes. Une responsabilité qui n’est pas de tout repos. « Il faut penser à mille choses en même temps. Chaque matin, je me demande par quoi je vais commencer et comment je vais respecter toutes les échéances ! » Diriger une équipe de recherche, c’est en effet avoir le souci que les projets avancent, ce qui implique d’être présent auprès des étudiants et des chercheurs. « Mon rôle, c’est de tracer la ligne conductrice du labo, ce qui fait que l’équipe est une équipe et non une collection de projets indépendants. » C’est aussi assurer réunions et tâches administratives : suivi des dépenses, élaboration des budgets, préparation des congrès… C’est encore chercher des financements pour ses travaux, une mission ingrate mais essentielle pour assurer la sécurité de l’équipe. C’est enfin assurer des expertises externes : participer à des jurys ou des conseils scientifiques, évaluer des articles, animer des structures et des associations… Valérie Castellani a ainsi fait partie du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche médicale pendant quatre ans. « Une belle expérience : on participe au financement de la recherche par le grand public. » Autant de tâches qui pourraient la détourner de son métier. « Mais je reste une chercheuse avant tout, assure-t-elle. Je fais attention à garder du temps pour mes propres travaux afin que les projets d’équipe restent convergents. »

« Soyons libres et audacieux. Et si on se trompe, tant pis ! Il faut prendre ce risque, sinon on ne donnera jamais sa mesure. »

Les travaux de son équipe sur le développement du système nerveux et de la moelle épinière lui ont valu de nombreuses récompenses : lauréate d’une bourse ERC Consolidator en 2010, Coup d’élan de la fondation Bettencourt-Schueller en 2017, pour n’en citer que deux. « Cela permet d’arrêter pendant un temps la chasse aux financements pour se consacrer entièrement à la recherche. » Aujourd’hui, la médaille de l’innovation du CNRS vient récompenser sa fibre entrepreneuriale (lire son interview). Valérie Castellani espère que cela encouragera les chercheurs qui, comme elle, osent s’écarter des chemins battus. « En France, il y a peu de place pour la prise de risque, regrette-t-elle. Les demandes de financement doivent être blindées… » Une attitude qui bride selon elle le potentiel créatif des chercheurs. « Soyons libres et audacieux, lance-t-elle comme un défi. Et si on se trompe, tant pis ! Il faut prendre ce risque, sinon on ne donnera jamais sa mesure. »

Bio express

1998 Doctorat de neurosciences, Université Claude-Bernard Lyon 1.
2000 Chercheuse CNRS au sein de l’Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy.
2003 Lauréate d’une ATIP Avenir, création de l’équipe Neuro-développement et signalisation.
2010 Lauréate d’une ERC consolidator.
2015 Brevet du modèle général de tumorigenèse dans l’embryon aviaire.
2016 Création de la start-up Oncofactory.

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Lire son interview

Chercheur(s)

Valérie Castellani

Directrice de recherche CNRS. Dirige l'équipe Neuro-développement, cancer et signalisation à l'Institut NeuroMyoGène de Lyon. Spécialiste de la biologie du développement, s'intéresse aux communications moléculaires entre les cellules et leur microenvironnement au cours des processus de prolifération et de migration.

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Valérie Castellani

Laboratoire

Institut NeuroMyoGène (INMG)

Centre de recherche fondamentale et translationnelle focalisé sur le système neuromusculaire. Son but est d’élucider des aspects fondamentaux de la biologie cellulaire du muscle et du système nerveux en condition normale ou pathologique depuis le développement embryonnaire jusqu’au vieillissement. Les équipes de l’INMG développent une recherche multidisciplinaire intégrée, allant des gènes aux fonctions physiologiques, dans des modèles cellulaires, invertébrés et vertébrés.

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