L’intelligence artificielle pourrait-elle un jour égaler l’intelligence humaine ?


Avec les progrès fulgurants de l’IA, cette question suscite fantasmes et craintes. Des chercheurs lyonnais ont tenté d’y répondre à l’occasion de la Semaine du cerveau 2021. Spoiler : on a de la marge…

Elle est présente dans notre quotidien sans que nous en ayons forcément conscience. Elle est à l’origine des systèmes de recommandation qu’on retrouve dans des applications comme Netflix, TikTok ou Instagram. Elle nous permet de calculer des itinéraires en temps réel sur Waze, de déverrouiller notre smartphone grâce à la reconnaissance faciale ou de demander la météo à une enceinte connectée. Elle est aussi utilisée dans des domaines majeurs comme la médecine pour détecter des anomalies sur une imagerie ou prédire l’évolution des maladies neurodégénératives. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle, ou IA, est partout. Mais qu’a-t-elle à voir avec notre intelligence ? Pourrait-elle un jour égaler l’intelligence biologique, voire la dépasser ? Et, surtout, que voulons-nous en faire ? C’est à ces questions que des chercheurs lyonnais, spécialistes de l’IA, ont tenté de répondre à l’occasion de la Semaine du cerveau 2021. 

Brève histoire de l’intelligence artificielle

Brève histoire de l'IAOn ne peut résumer l’intelligence artificielle (IA) aux découvertes des vingt dernières années. On retrouve en effet des références à l’IA dans la mythologie grecque (Héphaïstos, Pygmalion). Historiquement, son émergence a été le fruit de l’évolution de trois concepts : la volonté de créer des automates, la notion de « pensée » (Aristote, Descartes) et l’avènement de l’informatique avec l’apparition des ordinateurs. C’est en 1956, lors de la conférence de Dartmouth, que le terme précis « intelligence artificielle » voit le jour. Suivront des phases d’accélération et d’hibernation jusqu’à la mise au point d’ordinateurs puissants à la fin des années 1990 qui permettront des avancées majeures. Deux visions s’opposent sur l’IA : le courant de pensée symbolique (ou logique) et le courant de pensée connexionniste.
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Autant le dire d’emblée, malgré des avancées fulgurantes ces dernières années, l’IA est encore loin d’égaler l’intelligence humaine. Pour Amélie Cordier, docteure en intelligence artificielle et présidente de Lyon-iS-Ai, association fédérant l’écosystème de l’IA à Lyon, l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle sont deux concepts techniquement très distants : « Bien que l’intelligence humaine serve d’inspiration à l’intelligence artificielle, on ne cherche pas à imiter les propriétés humaines. » Pour Jérémy Mattout, chercheur au CRNL, ce qui différencie le plus l’IA de l’intelligence biologique, c’est la prise en compte de la dimension temporelle du processus. « Dans le fonctionnement du cerveau, le temps a une importance primordiale, et cela à différentes échelles : synchronisation des neurones, qui se déchargent en même temps ; des aires cérébrales, qui interagissent pour assurer une tâche ; des individus au sein d’un groupe, quand ils communiquent, dansent, etc. » Autre différence notable, l’efficacité du système. Si l’on compare des paramètres tels que la taille, la puissance de calcul ou la consommation d’énergie, « le cerveau reste bien supérieur à la machine », souligne Emmanuelle Reynaud, chercheuse au laboratoire EMC. Elle observe aussi que « pour le moment, l’IA reste fortement supervisée, c’est-à-dire soumise à la qualité des modèles qu’on va lui donner ». Cela la met à la portée de divers biais (de genre ou raciaux, par exemple) comme l’a montré, en 2016, l’expérience catastrophique du « chatbot » Tay développé par Microsoft. Ce robot censé discuter avec des adolescents sur Twitter s’est fait manipuler par des internautes qui l’ont abreuvé de propos « inappropriés ». Résultat, en quelques heures seulement, il a fini par répondre des horreurs, au point que Microsoft a dû le désactiver.

L’IA reste une intelligence faible, c’est-à-dire qu’elle est spécialisée pour une fonction, alors que le cerveau est une intelligence générale, capable de tout apprendre. 

Cela nous amène à la question du réalisme d’un système intelligent. « Si le réalisme fonctionnel est présent, pouvons-nous nous passer du réalisme structurel ou biologique ? », s’interroge ainsi Emmanuelle Reynaud. Pour tendre vers cet idéal, certains ingénieurs développent des IA non supervisées ou auto-supervisées. D’autres investissent le champ de l’informatique neuromorphique, dont le fonctionnement se rapproche de celui du cerveau, par exemple en créant des circuits intégrés mimant les neurones ou des réseaux de neurones, qui reproduisent la hiérarchie de traitement des informations de l’intelligence biologique (lire l’encadré). D’autres encore cherchent à atteindre un réalisme biologique poussé en reproduisant des bouts de cerveaux humains ou animaux (projet Blue Brain). Deux problèmes majeurs subsistent, estime toutefois Emmanuelle Reynaud : « L’IA est une intelligence faible, c’est-à-dire qu’elle est spécialisée pour une fonction, alors que le cerveau est une intelligence générale, capable de tout apprendre. En outre, il lui manque des fonctions cognitives importantes telles que le sens commun ou le raisonnement. »

IA et réseaux de neurones

Un réseau de neurones est une forme de modélisation, organisant des neurones (ou l’équivalent en fonction mathématique) sous forme de couches. On fait ensuite passer des données à travers chacune des couches. Le Deep Learning, très utilisé dans l’IA depuis les années 2000, utilise des réseaux de neurones artificiels à couches, dans lesquels on reproduit la hiérarchie de traitement présente dans les systèmes biologiques (tel que le système visuel). On commence par des caractéristiques assez simples et on traverse les couches pour aller vers des caractéristiques de plus en plus complexes.
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Une intelligence artificielle, soit, mais pour quoi faire ? Plusieurs courants de pensée s’opposent sur le but ultime de l’IA. Certain veulent la domestiquer pour résoudre des problèmes concrets de notre époque, comme détecter des tumeurs sur des images IRM ou assister des chirurgiens pour des interventions nécessitant une grande précision. D’autres, la voient comme un moyen de reproduire l’intelligence humaine afin de mieux comprendre cette dernière et remédier à certains dysfonctionnements. D’autres enfin espèrent que l’IA permettra d’augmenter les capacités cognitives de l’espèce humaine. C’est l’utopie transhumaniste, à laquelle adhère notamment l’entrepreneur Elon Musk. Le fondateur de Tesla (automobile) et SpaceX (vols spatiaux) a aussi créé l’entreprise Neuralink dont l’objectif à terme est de parvenir à une « intelligence augmentée » grâce à des implants intracérébraux. On en est encore loin, même si les premiers implants présentent des avancées intéressantes. 

Alors, faut-il craindre l’intelligence artificielle ? Non si l’on en croit Amélie Cordier, pour qui « l’IA est toujours au stade d’outil, donc rattachée à la décision humaine. » En revanche, la chercheuse souhaite qu’une vaste réflexion s’engage au sein de la société pour savoir ce qu’on veut en faire. L’intégration de l’IA dans l’économie et dans nos modes de vie aura des conséquences sociétales importantes. C’est le cas dans le secteur du travail, par exemple, où des emplois sont détruits dans certains secteurs alors que d’autres sont créés ailleurs. Il y a donc un vrai sujet de société autour de cette « transition des métiers » et de son accompagnement. 


Les conférences de la Semaine du cerveau 2021

Semaine du cerveau 2021 à Lyon : conférence "Cerveau biologique et intelligence artificielle : quels rapports ?", avec Jérémie Mattout (CRNL) et Emmanuelle Reynaud (LEMC).

Chercheur(s)

Jérémie Mattout

Chercheur au sein de l’équipe Dynamique cérébrale et cognition du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), spécialiste des interfaces cerveau-machine.

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Jérémie Mattout

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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