L’ocytocine, parfait philtre d’amour ?


Pour la Saint-Valentin, si l’on parlait un peu de l’ocytocine, parfois appelée « hormone de l’amour » ? Est-ce à tort ou à raison ? En quoi inspire-t-elle le comportement des amoureux ? Voici ce qu’en dit la science.

L’amour peut-il être un objet d’étude scientifique ? La question mérite d’être posée. Comment peut-on évaluer, mesurer, manipuler ce sentiment qui nous occupe de l’enfance au crépuscule de notre vie ? Qui se décline en de multiples composantes : affective, érotique, oblative ou possessive ? Suscite du plaisir, du stress, de l’attachement et parfois de la douleur ? Depuis longtemps déjà, les chercheurs étudient les émotions amoureuses, ou plutôt les conséquences physiologiques et chimiques qu’elles déclenchent. De là à dire que nos coups de foudre sont commandés par nos hormones, il y a un pas qu’ils ne franchissent pas.

Dans notre laboratoire, nous étudions justement l’ocytocine, une hormone du cerveau qui joue un rôle essentiel dans l’attachement, que ce soit entre une mère et son enfant ou entre deux partenaires amoureux (lire l’encadré). On l’appelle aussi parfois « l’hormone de l’amour » en raison de son lien avec ce sentiment. Comment agit-elle ? Serait-elle une sorte de philtre d’amour comme il en existe dans les contes de fée ?

Ocytocine (©Shutterstock/toyotoyo)L’ocytocine, une hormone qui agit dans le cerveau et dans le corps

L’ocytocine est une hormone produite dans le cerveau. Elle est acheminée vers certaines structures cérébrales et certains organes, comme l’utérus lors de l’accouchement ou les glandes mammaires pendant l’allaitement. Lors d’interactions sociales positives, elle agit sur le système de récompense, générant ainsi du plaisir. L’ocytocine permet aussi la formation et le maintien des liens affectifs entre deux personnes, ce qu’on appelle communément l’attachement.

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En réalité, l’attachement affectif provoque un cocktail de substances telles que la dopamine (plaisir), la sérotonine (bien-être), l’opioïde (antidouleur), la vasopressine (attachement) et, bien sûr, notre ocytocine. Ensemble, elles agissent harmonieusement sur le système de la récompense. Résultat, le plaisir que génère ce sentiment incite les gens qui s’aiment à se rapprocher et à se manifester de la tendresse.

Pour étudier comment l’ocytocine agit dans le cerveau des amoureux, des scientifiques ont procédé à l’expérience suivante. Ils ont constitué deux groupes d’hommes en couple. Aux uns, ils ont injecté de l’ocytocine par inhalation (spray nasal) et observé l’effet de la pulvérisation sur leur comportement après leur avoir présenté une photo soit de leur bien-aimée soit d’une femme inconnue. Aux autres, le groupe contrôle, ils ont injecté une simple solution saline. Qu’ont-ils observé ? Les hommes ayant reçu une injection d’ocytocine étaient plus attirés que les autres par leur partenaire que par l’inconnue. Cela s’est traduit par une augmentation de l’activité du noyau accumbens, une zone du cerveau qui traite les stimuli de récompense (Scheele et al., 2013).

L’ocytocine renforce l’attachement envers son partenaire et son effet s’accentue avec le temps.

Dans une autre étude, des chercheurs ont montré que, chez des personnes qui se sont récemment mises en couple (moins de 4 mois), la concentration de l’ocytocine était plus élevée que chez les célibataires. Mieux, elle augmentait chez les couples qui étaient toujours ensemble six mois plus tard (Schneiderman, Zagoory-Sharon, Leckman, & Feldman, 2012). Ainsi, l’ocytocine renforce l’attachement envers son partenaire et son effet s’accentue avec le temps.

Ces effets ont été constatés aussi dans le règne animal. Chez les marmousets, une espèce de petits singes monogames, l’ocytocine est présente sous une forme spécifique, différente de celle des autres mammifères. Lorsqu’on injecte cette forme spécifique, on observe une diminution des comportements socio-sexuels des marmousets vis-à-vis des individus inconnus de sexe opposé, alors que le traitement avec l’ocytocine « standard » ne conduit à aucun effet (Cavanaugh, Mustoe, Taylor, & French, 2014). Autre exemple : le campagnol des prairies, espèce monogame également. Si on donne aux mâles le choix entre deux possibilités : rejoindre la femelle avec laquelle ils ont cohabité pendant 24 heures ou une femelle inconnue, ils préfèrent aller vers leur partenaire. Mais si on leur injecte une substance qui bloque l’action de l’ocytocine, le lien d’attachement n’est pas créé (Johnson et al., 2016).

On le voit, l’ocytocine agit plus comme un philtre de fidélité que comme un philtre d’amour. Si elle est présente aux premiers émois amoureux et participe bel et bien à la création du lien d’attachement, sa concentration augmente avec le temps, renforçant ainsi les liens affectifs. D’un point de vue évolutif, la monogamie est coûteuse car elle réduit la probabilité de succès de la reproduction. D’une certaine manière, l’ocytocine, en renforçant l’attachement, vient compenser ce handicap. Elle sécurise le lien entre les partenaires qui s’occuperont ainsi mieux de leur progéniture, moins nombreuse mais aussi moins exposée au danger…

Références

Chercheur(s)

Marie Habart et Antoine Ameloot

Doctorants à l'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod, ils travaillent sur l'anatomie et le fonction du système ocytocinergique dans les équipes d'Angela Sirigu (Marie) et Jean-René Duhamel (Antoine).

Voir sa page

Marie Habart et Antoine Ameloot

Linh Nguyen

Doctorante à l'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod, sous la direction d'Angela Sirigu et Alice Gomez. Son sujet de thèse porte sur les processus visuo-attentionnels dans l'apprentissage de la lecture chez les enfants de CP avec l'utilisation d'un outil biomimétique (DigiTrack).

Linh Nguyen

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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