Non, on n’a pas encore trouvé la cause de la dyslexie !


On a pu lire ces derniers jours dans la presse qu’on venait de trouver une cause anatomique de la dyslexie. Si l’observation faite par deux chercheurs français est digne d’intérêt, elle ne permet en aucune façon de « percer le mystère » de la dyslexie. C’est ce que nous disent Eddy Cavalli, Svetlana Pinet et Stéphanie Ducrot, trois spécialistes de ce trouble de l’apprentissage de la lecture.

« Des physiciens de Rennes 1 ont percé le mystère de la dyslexie » (Ouest-France), « La dyslexie nichée au fond des yeux » (Le Monde), « Comment une ‘lampe magique’ pourrait soigner la dyslexie » (Le Parisien). Le moins qu’on puisse dire est que la publication d’une étude de deux chercheurs français sur une cause potentielle de la dyslexie a suscité un certain emballement dans la presse grand public.

Les faits

Deux physiciens de l’université de Rennes 1, Albert Le Floch et Guy Ropars (notre photo), pensent avoir trouvé une cause anatomique de la dyslexie. Leur étude a été publiée mercredi 18 octobre 2017 dans la revue scientifique Proceedings of The Royal Society B. Les deux chercheurs se sont intéressés à de minuscules récepteurs des yeux appelés « centroïdes de la tache de Maxwell », situés dans la fovéa. Chez les personnes qui ne sont pas atteintes de dyslexie, ces récepteurs sont asymétriques d’un œil à l’autre, créant ainsi deux signaux visuels différents entre lesquels le cerveau choisit pour créer l’image finale. Albert Le Floch et Guy Ropars ont remarqué que, chez les personnes dyslexiques, cette zone de l’œil était symétrique. Cette symétrie pourrait constituer une source de confusion pour le cerveau en créant des « images-miroirs » entre lesquelles il serait incapable de choisir. C’est en tout cas la conclusion à laquelle ils sont parvenus après avoir comparé deux groupes de 30 étudiants, l’un composé de dyslexiques et l’autre de non-dyslexiques.

A la suite de ces résultats, les deux chercheurs ont développé un dispositif permettant de faciliter la lecture des personnes dyslexiques. Il s’agit d’une lampe stroboscopique à LED qui permet d’effacer l’image miroir qui les gêne.

La critique de l’étude

A la suite de cette annonce sensationnelle, nous avons demandé à trois spécialistes de la dyslexie de commenter ces résultats. Il s’agit d’Eddy Cavalli, enseignant-chercheur en psychologie et sciences cognitives à l’université Lyon 2 (Labex Cortex), Svetlana Pinet, chercheure en neurosciences cognitives à l’université Johns-Hopkins de Baltimore, et Stéphanie Ducrot, chercheure au CNRS, Université d’Aix-Marseille (Labex BLRI).

La dyslexie n’est pas un « mystère », comme l’écrit Ouest-France, ni une « maladie », comme la qualifie Le Monde. Elle constitue un handicap cognitif dont les causes sont multiples. La communauté scientifique la définit comme un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture qui se caractérise par un déficit dans la représentation mentale et/ou le traitement des sons de la parole (c’est-à-dire les traitements phonologiques), en l’absence de déficience intellectuelle, d’un trouble neurologique ou d’un trouble sensoriel non corrigé, et d’une carence éducative. Cette définition n’est pas arbitraire : elle est le résultat d’un nombre important de productions scientifiques dans ce domaine.

L’exemple choisi par les auteurs (et repris largement dans la presse) de la symétrie « en miroir » que sont les lettres « b » et « d », offre un potentiel de confusion visuelle qui paraît évident. Cependant, la dyslexie est un trouble qui ne s’exprime pas uniquement sur quelques lettres. En outre, il est présent dans des langues non-alphabétiques telles l’arabe ou le chinois. Il est possible que l’absence d’identification d’asymétrie au niveau de la fovéa de notre système visuel, telle que rapportée dans cette étude, soit impliquée dans la dyslexie, mais la validité de cette hypothèse doit être consolidée par des études complémentaires, sur des échantillons ciblés et représentatifs des lecteurs dyslexiques.

La relation de causalité entre le trouble visuel 
et le trouble de lecture n’a pas été démontrée

A cet égard, l’étude manque notamment de détails importants quant à la caractérisation des participants (diagnostic du trouble dyslexique). De plus, il est primordial de distinguer la co-occurrence d’un trouble (ici visuel et de la lecture) d’une relation de causalité avérée (le trouble visuel cause le trouble de la lecture chez les individus dyslexiques), avant d’affirmer que l’origine de la dyslexie est une malformation oculaire.

Sans minimiser l’importance de la découverte effectuée par les auteurs de l’étude, il convient ici de rappeler que des chercheurs travaillent depuis les années 90 sur la corrélation des troubles visuels et visio-moteurs et de la dyslexie. Sans qu’aucun n’ait pu à ce jour établir un lien de causalité entre les deux phénomènes.

En réalité, pour valider une cause de la dyslexie, il faudrait démontrer qu’elle permet d’expliquer l’ensemble des symptômes, qu’elle répond à la variabilité des profils, et ce quel que soit le système orthographique de la langue (alphabétique ou non). Nous en sommes encore loin aujourd’hui !

Il est indéniable que toute découverte comporte une part d’excitation, et engendre un désir de partage avec le monde. Tout scientifique espère « percer le mystère » de son objet de recherche et, pour en informer la communauté, le canal privilégié de communication reste la publication d’articles scientifiques. Ces publications assurent la validité des recherches et permettent d’interpréter les résultats reportés dans leur contexte. Les découvertes les plus impressionnantes qui ont changé notre vision du monde sont toutes le fruit de décennies de recherche et de réplications avant d’être partagées avec la communauté.

Un résultat dont la conclusion a manqué de prudence 
et qui a été amplifié par les médias

Ce point, pourtant souligné lors de la remise de prix prestigieux comme le prix Nobel, est souvent ignoré par les articles de presse et médias qui s’empressent de projeter le résultat scientifique comme le « dernier mystère résolu » en ignorant la prudence pourtant de mise relative à l’interprétation d’un nouveau résultat, et de fait, cette rigueur scientifique que défendait déjà Descartes.

Malgré les réserves que nous exprimons ici, ce nouveau résultat vient s’ajouter à la longue liste de recherches sur la dyslexie qui, espérons-le, nous mènera un jour à la clé de ce trouble et nous permettra de proposer des solutions de prise en charge adaptées. En attendant, il convient de s’informer des nouveaux résultats de la recherche avec intérêt mais prudence, comme l’a rappelé la présidente de l’Anapedys (Association nationale des associations de parents d’enfants dyslexiques). Et comme chacun de nous, scientifique ou non, devrait toujours le faire.


Sur le même sujet

Mieux accompagner les étudiants dyslexiques

Chercheur(s)

Svetlana Pinet

Chercheure en neurosciences cognitives à l’université Johns-Hopkins de Baltimore (Etats-Unis), spécialiste du langage écrit.

Voir sa page

Svetlana Pinet

Eddy Cavalli

Enseignant-chercheur en psychologie et sciences cognitives à l'université Lyon 2, membre de l'équipe Apprentissage, développement et troubles du langage au sein du laboratoire d'Etude des mécanismes cognitifs (Labex CORTEX), spécialiste de la dyslexie. Thèmes de recherche : étude des mécanismes d'adaptation et de compensation dans la dyslexie développementale, développement d'outils de dépistage et de diagnostic de la dyslexie, modélisation de la compréhension de l'écrit chez des lecteurs au développement typique et pathologique.

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Eddy Cavalli

Stéphanie Ducrot

Chercheure au CNRS, Université d'Aix-Marseille, membre du Labex BLRI, spécialiste de la vision et de la dyslexie.

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Stéphanie Ducrot

Laboratoire

Laboratoire Etude des mécanismes cognitifs (EMC)

Le Laboratoire EMC rassemble des spécialistes de l'étude de la cognition humaine sur la question des représentations mentales (symboliques ou non-symboliques) et des substrats neuronaux impliqués dans les émotions, l'attention, le langage, la mémoire et l'action. Les recherches fondamentales et appliquées sont menées auprès de populations normales (enfants, jeunes adultes, adultes âgés), déficitaires (dyslexiques, dysphasiques, sourds) et souffrant de pathologies spécifiques (patients Alzheimer, cérébrolésés, psychiatriques).

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