Chirurgie de l’épilepsie : une solution pour les patients résistants aux médicaments


Un tiers des personnes souffrant d’épilepsie sont pharmacorésistantes. Pour les soulager, il est possible d’envisager une intervention chirurgicale visant à enlever le foyer épileptique. Encore faut-il le délimiter avec précision pour ne pas léser de zones fonctionnelles. C’est ce que permet le plateau spécialisé de l’hôpital neurologique de Lyon.

Face à l’épilepsie, la réponse thérapeutique est aujourd’hui largement médicamenteuse. On dispose à ce jour d’une vingtaine de molécules qui permettent de contrôler les crises pour un nombre important de syndromes épileptiques. Pour 60 à 70% des malades, ces médicaments se révèlent efficaces et leur permettent de mener une vie quasi normale. Pour les patients dits pharmacorésistants, il est possible d’envisager une intervention chirurgicale visant à enlever le foyer épileptogène. Mais cette solution n’est réalisable qu’à condition que la zone concernée soit unique et située à distance des régions hautement fonctionnelles (liées au langage, à la motricité, à la perception…). C’est là que l’expertise de l’équipe de Julien Jung intervient.

Une solution proposée aux patients pharmacorésistants lourdement handicapés par la maladie.

L’hôpital neurologique de Lyon dispose d’un plateau spécialisé permettant d’accueillir des patients pharmacorésistants lourdement handicapés par la maladie. Ils y sont reçus pour des périodes assez longues (une semaine en moyenne) permettant de réaliser un bilan complet. A côté des examens classiques, on pratique la pose d’électrodes directement dans le cerveau. Implantées perpendiculairement au cortex, ces électrodes permettent d’enregistrer l’activité neuronale des zones superficielles jusqu’aux zones profondes du cerveau. On parle dans ce cas de stéréo-encéphalographie (SEEG). Dans le même temps, les malades implantés sont filmés en permanence, ce qui rend possible une synchronisation entre l’image et le signal neuronal pendant les crises comme entre les crises. Ce dispositif permet une exploration fine dans l’espace et le temps du déclenchement des crises.

Les trois niveaux d’enregistrement de l’activité neuronale

  1. SEEG sur patient épileptique implanté (photo : CNRS)Electroencéphalogramme de surface : un casque équipé de plusieurs dizaines d’électrodes permet d’enregistrer l’activité cérébrale superficielle (aspect, fréquence, topographie).
  2. Electroencéphalogramme intracrânien (photo ci-contre) : une dizaine d’électrodes disposant chacune de 8 à 10 contacts enregistrent l’activité d’une population de neurones sur quelques millimètres cubes autour de chaque électrode.
  3. Enregistrement de neurones unitaires : encore expérimentale, cette technique consiste à ajouter de fines électrodes au bout des électrodes intracrâniennes. Elle permet de réaliser des enregistrements extrêmement fins.

« La localisation des foyers épileptiques avec la SEEG, c’est toujours un pari, rappelle le Dr Julien Jung. On n’est jamais certain d’avoir mis la loupe au bon endroit. » L’enjeu est donc de réduire la marge d’erreur. Sachant qu’aucun marqueur n’est fiable à 100% pour déterminer la zone épileptogène, les chercheurs utilisent des « faisceaux d’arguments » : marqueurs électriques, cliniques, métaboliques, d’imagerie… « Chaque marqueur a sa sensibilité », précise le neurologue. En croisant les données ainsi recueillies (SEEG, IRM, PET Scan, MEG…), on parvient à délimiter avec précision la zone épileptogène et à affiner le geste opératoire, quand celui-ci est possible. « Mais il n’y a pas d’opération standard, prévient-il : chaque patient est un cas particulier. »

Avec la Brain TV, ont peut voir ce qui se passe dans une minuscule zone du cerveau quand le sujet effectue une tâche mentale.

Accueillant de 30 à 50 patients par an, le service spécialisé dans l’épilepsie de l’hôpital neurologique de Lyon a développé des méthodes d’analyse du signal de l’activité des neurones particulièrement efficaces. Il bénéficie pour cela d’une plateforme technique qui permet d’enregistrer directement l’activité intracérébrale et de l’afficher sur un écran. Avec cette « Brain TV », comme l’appelle le neuroscientifique Jean-Philippe Lachaux, il est possible de voir ce qui se passe une minuscule zone du cerveau, au niveau d’une population de neurones, lorsque le sujet effectue une tâche mentale, qu’elle soit liée à la perception visuelle, au langage, à la lecture ou à la motricité.

Comment la Brain TV aide le chirurgien

Utilisée dans le cadre du diagnostic préchirurgical pour les patients épileptiques pharmacorésistants, la Brain TV permet de localiser avec précision la zone épileptogène et de s’assurer qu’elle ne se trouve pas à proximité immédiate d’une zone fonctionnelle. Pour cela, on utilise une batterie de tâches standardisées faisant travailler l’attention, la mémoire, la lecture, le calcul, etc. Chacune de ces tâches génère une activité cérébrale, enregistrée par les contacts situés à la surface des différentes électrodes.

« L’intérêt de cette technique, c’est qu’on obtient la structure dynamique de l’activité cognitive. »

Mais comment extraire du signal le marqueur correspondant aux neurones impliqués dans cette tâche ? C’est à cette question que Jean-Philippe Lachaux et son équipe ont apporté une réponse. « Les neurones génèrent une activité électrique particulière, dans une bande de fréquence comprise entre 50-150 Hz, explique le chercheur. Cette composante du signal est caractéristique d’une activité cognitive, une sorte de signature. En l’isolant, on peut savoir quels contacts ont été impliqués. » De cette manière, il devient possible de caractériser chacune des zones situées à proximité des contacts et de l’associer à telle ou telle activité cognitive.

« L’intérêt de cette technique, c’est qu’on obtient la structure dynamique de l’activité cognitive, poursuit Jean-Philippe Lachaux. On sait qui a passé l’info à qui, qui a travaillé avec qui. Et le tout avec une précision temporelle de l’ordre de la milliseconde ! » Le bénéfice par rapport aux méthodes classiques comme l’IRM fonctionnelle est évident. Pour le figurer, le chercheur utilise l’image d’un orchestre : « L’IRM fonctionnelle nous permet d’identifier les instruments qui composent l’orchestre ; avec l’électroencéphalogramme intracrânien, j’ai accès à la partition, autrement dit à la manière dont chaque instrument va jouer sa partie ! »

L’équipe Dycog essaie aussi de modéliser la manière dont les populations de neurones se synchronisent lors des crises. Pour cela, elle s’est associée à l’Institut des systèmes complexes hébergé par l’École normale supérieure de Lyon, structure spécialisée dans l’établissement de graphes dynamiques. Elle collabore également avec Créatis, un laboratoire d’imagerie dépendant de l’Institut nationale des sciences appliquées de Lyon (Insa). Ensemble, ils développent un programme d’analyse automatique des images pour détecter des lésions pouvant être à l’origine de syndromes épileptiques.

Sur le même sujet

Chercheur(s)

Julien Jung

Neurologue, spécialisé dans l’exploration fonctionnelle neurologique à l’Hôpital neurologique de Lyon. Exerce en même temps une activité de recherche au sein du l'équipe Dynamique cérébrale et cognition (Dycog) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). Cette équipe a acquis une expertise dans le traitement de signaux cérébraux. Elle cherche notamment à établir des passerelles entre les aspects cliniques, l’imagerie cérébrale et le traitement des signaux appliqués à l’épilepsie.

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Julien Jung

Jean-Philippe Lachaux

Directeur de recherche au sein de l’équipe Eduwell (Neurosciences de l’expérience subjective et entraînement mental) du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), Jean-Philippe Lachaux cherche à « apprivoiser l’attention ». Son objectif est de déduire des neurosciences des pratiques d’entraînement permettant à chacun d’atteindre un état attentionnel optimal. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet chez l'éditeur Odile Jacob.

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Jean-Philippe Lachaux

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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