Comment le cerveau régule notre appétit


L’appétit est sous l’influence de nos sens et de notre système hormonal, mais aussi de notre volonté. Comprendre les mécanismes sensoriels et cognitifs à l’œuvre dans sa régulation peut faire progresser le traitement de l’obésité et de certains troubles alimentaires. Pour y parvenir, des chercheurs ont mis en place un protocole inédit impliquant des stimuli olfactifs et visuels.

Même à la fin d’un festin, il reste toujours une petite place pour le dessert ! Lorsque le cerveau nous signifie par la sensation de satiété que nous n’avons plus besoin de manger, nous avons le choix de  laisser ou non la gourmandise prendre le dessus. À l’inverse, si nous suivons un régime, nous pouvons nous forcer à ne rien avaler alors que notre ventre crie famine. La volonté a donc un certain pouvoir sur l’alimentation, sans pour autant que nous soyons maîtres de notre appétit. Ce dernier relève donc d’une mécanique complexe, dont le dérèglement peut avoir de graves conséquences sur la santé : boulimie, anorexie, hyperphagie… À l’heure où les troubles alimentaires explosent avec la pandémie, décrypter les rouages de l’appétit est plus que jamais un enjeu de santé publique. Parmi la myriade d’hormones impliquées dans sa régulation, les scientifiques en étudient en particulier deux : la ghréline, qui servirait à le stimuler, et la leptine, qui jouerait un rôle dans la sensation de satiété. En outre, des expériences utilisant l’imagerie cérébrale ont montré l’implication probable de certains réseaux cérébraux au niveau du cortex préfrontal avec la régulation de l’appétit. Ces résultats ont été obtenus sur la base de réactions de participants à des images de nourriture. Or la vue n’est pas le seul stimulus de l’appétit : une simple odeur de croissant suffit à attirer le passant vers la boulangerie la plus proche. Ces protocoles de laboratoires manquent donc un aspect essentiel de l’appétit : l’olfaction.

C’est cette lacune que Rémi Janet a cherché à combler lors de son doctorat à l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod (ISCMJ), aidé d’une équipe pluridisciplinaire réunissant l’ISCMJ et le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). « On a voulu voir ce qu’il se passe quand on rajoute l’odeur, explique-t-il. Y a-t-il, en particulier, une régulation des paramètres respiratoires si on exerce un contrôle de l’appétit ? » Autrement dit : humons-nous différemment selon qu’on souhaite se faire plaisir ou refréner sa faim ?

Délivrer une odeur tout en mesurant les paramètres olfactifs dans une IRM est une opération assez compliquée.

Pour le savoir, les chercheurs ont fait appel à 25 participants. Ceux-ci ont été placés dans un scanner, où ils étaient amenés à voir des photos et sentir des odeurs de desserts appétissants – après avoir respecté un jeûne préalable de 12 heures pour s’assurer qu’ils aient faim ! Afin de graduer leur désir alimentaire, les participants devaient donner le prix maximal qu’ils étaient prêts à payer pour acheter le dessert en question. Mais avec trois consignes différentes. Dans la condition « retenue »,  il fallait juguler son appétit : penser par exemple aux effets néfastes d’une pâtisserie très calorique sur la santé. Dans la condition « plaisir », il fallait au contraire se mettre en appétit, imaginer le plaisir de manger ce dessert. Enfin, dans la condition contrôle, la consigne était de laisser libre cours à ses pensées. Durant cet exercice, les scientifiques ont mesuré l’activité du cerveau ainsi que les réactions olfactives des volontaires grâce à un protocole complexe et inédit : « Délivrer une odeur tout en mesurant les paramètres olfactifs dans une IRM est une opération assez compliquée, raconte Rémi Janet. D’une part, tout appareil en métal doit être exclu du dispositif. D’autre part, l’installation des participants et des réseaux de tubes demande une grande minutie dans l’espace exigu d’un scanner. » En plus de ces observations, les chercheurs ont mesuré les taux sanguins de ghréline et de leptine à la fin de la tâche.

Quels ont été les résultats de l’expérience ? Sans surprise, l’analyse statistique montre que le prix que les participants sont prêts à payer pour le dessert est plus élevé s’ils veulent se faire plaisir que s’ils doivent se refreiner : « Cela avait déjà était démontré en neuroéconomie », remarque Rémi Janet. La vraie découverte concerne l’odorat : les participants reniflent – consciemment ou inconsciemment – moins intensément et moins longtemps dans la condition « retenue » que dans la condition « plaisir ». Une hypothèse pour expliquer ce résultat : la recherche sur les animaux montre que renifler plus fort permet de chercher de la nourriture, ce qui fait penser à une origine évolutive de ce comportement chez l’homme. Si l’environnement actuel ne nécessite pas que nous nous servions de notre odorat pour survivre, cela n’a pas toujours été le cas, et il ne serait pas étonnant qu’il reste dans nos comportements un héritage de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs…

La régulation à la baisse semble plus complexe que la régulation à la hausse.

Que révèle l’imagerie cérébrale ? L’expérience montre que les aires impliquées dans la régulation de l’appétit sont en partie distinctes selon que cette régulation se fait à la hausse ou à la baisse. Ainsi, la condition « plaisir » active le cortex préfrontal dorso-médian, alors que la condition « retenue » active le cortex préfrontal dorso-latéral. Pourquoi cette différence ? « Probablement parce les stratégies de régulation sont différentes selon la condition, répond Rémi Janet. Par exemple, l’évaluation visuelle de la quantité de sucre dans un aliment est une fonction assez primaire, comme reconnaître un fruit mûr dans la nature. Mais la condition “retenue“ peut faire appel au long terme, en évaluant les conséquences de l’alimentation sur la santé. C’est sans doute une fonction cognitive de plus haut niveau. »

Que se passe-t-il enfin du côté hormonal ? La régulation à la baisse semble aussi être plus complexe que la régulation à la hausse. L’expérience montre en effet une corrélation entre le taux de ghréline et l’activité du cortex préfrontal dorso-médian dans la condition « plaisir », ce qui était attendu. Mais pour la régulation à la baisse, le taux de leptine n’est étonnamment pas corrélé à l’activité du cortex préfrontal dorso-latéral. « Chez l’animal le rôle de la leptine dans l’arrêt de la prise alimentaire est bien connu, mais son rôle chez l’homme, bien que similaire, est moins évident, souligne Rémi Janet. Il est possible que d’autres hormones, comme l’insuline, jouent aussi un rôle dans la régulation à la baisse. » En outre, l’expérience pourrait ne pas être optimale pour mesurer le taux de leptine : les participants étant affamés, cette hormone était naturellement peu présente. Il faudrait donc de nouvelles études pour mieux cerner le mécanisme hormonal qui freine l’appétit. 

Même si les neurosciences ne savent pas tout de la régulation de l’appétit, des thérapies comportementales sont déjà utilisées en complément des traitements pharmacologiques, et elles montrent de bons résultats. Le principe est d’apprendre aux patients à réévaluer les stimuli alimentaires pour que ceux-ci aient moins d’impact sur leur comportement. Les recherches incluant l’olfaction pourront, selon Rémi Janet, permettre d’améliorer ces thérapies : « En multipliant les sens, on ne pourra qu’améliorer le contrôle que les individus exercent sur leurs propres besoins. »

Lire l’étude

R. Janet, A. Fournel, M. Fouillen, E Derrington, B. Corgnet, M Bensafi, JC. Dreher, Cognitive and hormonal regulation of appetite for food presented in the olfactory and visual modalities, NeuroImage, Volume 230, 2021.

Chercheur(s)

Rémi Janet

Diplômé d'un doctorat en neuroscience cognitive effectué à l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod (ISCMJ), ses recherches portent sur la base neurobiologique des choix alimentaires et sociaux, et visent à identifier l'origine des différences individuelles.

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Rémi Janet

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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