Fin du confinement rime avec risque de recrudescence des contaminations au Covid-19. L’enjeu est de maintenir le contrôle de l’épidémie et de devancer une remontée des nouveaux cas. Peut-on faire mieux qu’à la sortie de la première vague ? Oui, grâce notamment à la surveillance des troubles olfactifs, suggère une étude.
Avec l’assouplissement des règles de confinement, surveiller les chiffres-clés de l’épidémie est crucial pour anticiper une éventuelle reprise. À la sortie du premier confinement, le gouvernement s’était basé sur trois critères pour classer les départements en rouge ou en vert : le taux de nouveaux cas, la tension hospitalière et le niveau de préparation local du système de test. Comme les tests virologiques n’étaient pas encore mis en place, le taux de nouveaux cas était estimé par la part de consultations aux urgences pour suspicion de Covid-19. Or cet indicateur a généralement du retard par rapport à la véritable circulation du virus : souvent, les malades ne vont à l’hôpital que lorsque surviennent des complications graves. Peut-on faire mieux ? Bien que le gouvernement dispose maintenant d’indicateurs provenant des tests, l’information reste partielle, puisqu’une partie seulement de la population est testée. Certains, par exemple, pistent le virus dans les eaux usées. Une étude du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), parue dans Nature Communications, suggère d’ajouter un nouvel indicateur permettant de prévoir la surcharge des services de réanimation : la perte d’odorat.
Un indicateur précoce qui survient en moyenne dans les trois premiers jours qui suivent la contamination.
En quoi ce symptôme est un bon indicateur ? D’abord, il survient en moyenne dans les trois premiers jours qui suivent la contamination. Ensuite, il est plus spécifique au Covid-19 que d’autres symptômes, comme la toux et la fièvre. Restait à démontrer sa pertinence pour anticiper une future vague épidémique. C’est ce sur quoi se sont penchés les auteurs de la publication : « Après la première vague, on a regardé la dynamique temporelle et spatiale des troubles olfactifs, en la reliant à l’engorgement des hôpitaux », explique Camille Ferdenzi, co-autrice et chercheuse au Centre national de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dans l’équipe Neurobiologie et plasticité de la perception olfactive (Neuropop). L’étude s’appuie sur un questionnaire en ligne international porté par un consortium mondial de 600 scientifiques, qui a permis de récolter plus de 5 000 réponses en France. Les personnes qui avaient connu des troubles respiratoires étaient invités à évaluer et décrire leur perte d’odorat et de goût, et à en donner les dates de début et de fin.
En croisant les données du questionnaire avec les statistiques de Santé Publique France, l’équipe a montré que le pic de perte d’odorat est survenu le 21 mars, soit dix jours avant le pic d’admissions en service de réanimation. Le pic de troubles olfactifs est donc arrivé une semaine plus tôt que le pic de consultations aux urgences pour le Covid-19. Ce résultat a été confirmé par les chercheurs, grâce un autre questionnaire en ligne réalisé sur la population française, incluant cette fois les personnes qui ne présentaient pas de symptômes respiratoires. Pour prouver que le lien entre la prévalence des troubles olfactifs et le nombre d’admissions en service de réanimation n’est pas une coïncidence, l’étude montre l’existence d’une corrélation entre ces deux mesures. C’est logique : selon différentes études, la perte d’odorat touche la majorité des malades, entre 50 et 86%. « Si la fourchette est aussi large, c’est que les résultats dépendent de la population observée, notamment de leur âge, et de la méthode utilisée, précise Camille Ferdenzi. Un questionnaire donne une incidence plus faible qu’un test olfactif, parce qu’une partie des personnes qui ont des troubles olfactifs ne s’en rend pas compte ».
Une méthode simple et rapide : suivre sur les moteurs de recherche les tendances d’utilisation des mots clés liés à l’anosmie et au Covid-19.
Après avoir confirmé que la perte d’odorat pourrait jouer le rôle d’indicateur précoce, les chercheurs se sont demandé comment l’ajouter aux indicateurs actuels, à l’échelle nationale. Mesurer les troubles olfactifs en temps réel serait théoriquement facile à mettre en œuvre, via un questionnaire en ligne. « Cela pourrait par exemple être ajouté à l’application Tous Anti Covid », suggère Camille Ferdenzi. Mais l’auto-déclaration a aussi ses limites : les souvenirs des troubles olfactifs peuvent être imprécis. Par ailleurs, la chercheuse s’est heurtée à des difficultés lors d’un test grandeur nature à Lyon : « On a voulu faire du suivi dans le temps, donc on ne pouvait pas lancer un questionnaire anonyme, précise-t-elle. Il y a donc au préalable un tas de démarches éthiques et administratives. » Pour aller au plus vite, une autre méthode existe, certes moins rigoureuse mais qui nécessite seulement un ordinateur et une connexion internet : examiner sur les moteurs de recherche les tendances d’utilisation des mots clés liés à l’anosmie et au Covid-19. Les chercheurs ont ainsi constaté que le pic de recherches pour « perte odorat » coïncide avec le pic donné par leur analyse. « Le gouvernement pourrait tout simplement observer les tendances de recherches sur Google », conclut Camille Ferdenzi.
Hantés par des odeurs fantômes
Retrouver l’odorat peut-être un long chemin, parfois semé d’hallucinations olfactives. Un tiers des patients se sont plaints de ces « odeurs fantômes » : ils perçoivent des odeurs de brûlé ou de grillé alors qu’aucune source d’odeur n’est présente dans leur environnement. Si c’est votre cas, pas de panique : « C’est certainement lié à la récupération nerveuse, indique Camille Ferdenzi. Ce serait plutôt bon signe, mais cela donne des phénomènes un peu curieux. » Si les troubles olfactifs persistent, une rééducation est possible. Il s’agit de sentir matin et soir différents flacons d’huiles essentielles, en notant les progrès quotidiens de la perception des odeurs : l’association Anosmie a publié un protocole basé sur des recherches scientifiques récentes. Toutefois, d’après le sondage de l’équipe Neuropop, les médecins et patients connaissent peu cette possibilité : « Seulement 4% des consultations pour une perte d’odorat débouchent sur ce conseil », affirme Camille Ferdenzi. Mais la demande existe : « Certains patients n’ont toujours pas récupéré depuis la première vague. La rééducation est donc au cœur de nos activités en ce moment : nous sommes en train de valider un protocole basé sur sept odeurs à sentir quotidiennement, et nous allons mettre à disposition un protocole avec des produits odorants domestiques prochainement. »
Pour aller plus loin
- Lien vers le questionnaire GCCR en français (destiné aux personnes qui ont une maladie respiratoire (COVID-19, grippe, rhume…)
- Lien vers le questionnaire Olfaction et Qualité de Vie (destiné aux personnes qui ont une perte olfactive, qu’elle soit liée ou non à la COVID-19)
- Lien vers l’étude : Pierron, D., Pereda-Loth, V., Mantel, M. et al. Smell and taste changes are early indicators of the COVID-19 pandemic and political decision effectiveness. Nat Commun 11, 5152 (2020).
Pour les lecteurs désireux d’en savoir plus sur les troubles de l’odorat, le livre de Catherine Rouby et Moustafa Bensafi : Cerveau et odorat : Comment (ré)éduquer son nez – EDP Sciences. Septembre 2020, 136 pages.