Docteur en psychologie cognitive et entrepreneur, Geoffrey Duran met au point une application d’entraînement cognitif destinée à développer son intelligence sociale et à détecter le mensonge. Sa cible : les forces de l’ordre, mais aussi les soignants, les juristes et bientôt les étudiants.
Cette personne me dit-elle la vérité ? Cette question obsède Geoffrey Duran depuis toujours. Un atavisme familial sans doute : son père était gendarme. « Même s’il ne travaillait pas dans le milieu des enquêtes, c’est de lui que me vient l’envie d’étudier la détection du mensonge et de développer une expertise permettant d’aider les gens », explique-t-il. Après quelques détours, il oriente ses études vers les neurosciences. Une rencontre va se révéler décisive pour la suite de son parcours. Alors qu’il est en première année de Master, il effectue un stage auprès de George A. Michael, enseignant chercheur en neuropsychologie à l’université Lumière-Lyon 2. Celui-ci s’intéresse justement à l’apport des sciences cognitives à la criminalistique, une approche pluridisciplinaire consistant à établir la preuve de la culpabilité d’une personne mise en cause dans un crime ou un délit (lire notre article « George A. Michael enseigne la “criminalistique cognitive” »). Le sujet passionne notre étudiant, au point qu’il décide de préparer une thèse sur la détection du mensonge au laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs (EMC).
Pour expliquer son intérêt pour le mensonge, outre l’influence de son père, Geoffrey évoque la série américaine Lie to Me. Diffusée à la fin des années 2000, cette fiction met en scène l’équipe d’un psychologue (Call Lightman) qui résout des enquêtes policières en analysant les micro-expressions faciales des suspects. Son succès intrigue le jeune scientifique, qui creuse le sujet. « Je me suis rendu compte que cette série véhiculait des idées fausses concernant la détection du mensonge. » Dans les formations qu’il assure, il cite souvent une étude américaine avançant qu’elle pouvait même altérer les facultés de jugement des téléspectateurs. Les personnes qui avaient regardé la série se montraient ainsi moins aptes à déceler le mensonge que ceux qui ne l’avaient pas vu (60.1%, contre 69.6%). De quoi le décider à effectuer des recherches plus poussées sur le sujet.
Par ailleurs, ses discussions régulières avec des gendarmes font apparaître chez eux un manque criant de connaissances en criminalistique, en dépit de leur intérêt pour le sujet. « A ce jour, cette discipline ne fait pas partie du cursus classique, assure-il. Quant aux formations dans ce domaine, elles sont principalement destinées aux enquêteurs. » En outre, elles sont dispensées sur plusieurs jours, ce qui les rend difficiles d’accès pour des gendarmes débordés. Enfin, estime-t-il, le format classique des formations n’est pas adapté à cette discipline : « Si on ne pratique pas avec des jeux ou des mises en situation, on oublie tout au bout de quelques jours. »
Lauréat du programme Jeunes Docteurs de l’incubateur Pulsalys et du concours d’innovation i-PhD de BPI France
Face à constat, Geoffrey décide d’établir des ponts entre les forces de l’ordre et la recherche en criminalistique. Selon lui, le transfert des connaissances académiques vers la police et la gendarmerie est un enjeu majeur dans le contexte actuel. Son projet tombe à pic : « Une synergie est née de cette rencontre : il y avait d’un côté une forte envie de partager des connaissances et de l’autre une demande d’une approche scientifique de ces sujets. »
Geoffrey décide alors de développer une application d’entraînement des capacités cognitives permettant de mieux évaluer la crédibilité d’un discours : ce sera le projet SITT, pour Social Interactions Training Tools. En 2019, il participe au programme Jeunes Docteurs de l’incubateur Pulsalys, dont il est lauréat. L’année suivante, il remporte le concours d’innovation i-PhD de BPI France. A la suite de sa rencontre avec Brice Chambard, entrepreneur et gendarme réserviste comme lui, il crée avec ce dernier la start-up HOP (Human Optimization Program) dont il est aujourd’hui le conseiller scientifique. Aujourd’hui, il développe une application d’entraînement à l’évaluation de la crédibilité, dérivée du projet SITT (lire l’encadré).
HOP, l’optimisation de l’intuition par les sciences cognitives
La société HOP (Human Optimization Program) met au point une solution numérique d’optimisation de l’intuition, du potentiel et des performances pour les personnes engagées pour le bien commun (policiers, gendarmes, pompiers, soignants, juristes…). La méthode repose sur un parcours de formations et de mises en situation intégré dans un entraînement cognitif et d’optimisation psychophysiologique complet, élaboré sur des bases scientifiques.
Les objectifs sont de développer une preuve de concept avec une première version logicielle, incluant un parcours pédagogique et appliqué sur les aspects de la cognition (attention, mémoire, compréhension d’autrui, imagerie mentale et logique), ainsi que sur les thématiques spécialisées, comme l’évaluation de la crédibilité, la détection de comportements criminels, la négociation et les techniques d’enquête.
Avec son application, Geoffrey Duran espère compléter la formation des forces de l’ordre. « Je vois mon application comme un outil qu’on peut utiliser régulièrement pour remobiliser ses connaissances. » Et pour la suite ? « Aujourd’hui, dans un contexte où les taux d’insécurité et de criminalité explosent, j’ai envie d’élargir mon champ d’action à la détection des comportements criminels en général. » Une chose est certaine, il va continuer à tisser des liens entre les deux mondes. « J’imagine une interaction directe entre les forces de l’ordre avec leurs besoins, les chercheurs avec leurs connaissances et les entreprises avec leurs ressources afin de déployer des solutions adaptées. » Mais il ne compte pas s’en tenir à cet univers. Il envisage de proposer bientôt son programme aux étudiants qui souhaiteraient améliorer leurs capacités cognitives et leur préparation mentale pour mieux réussir leurs examens.