Comment en finir avec les conflits d’intérêts, le népotisme, le cumul des mandats et autres mauvaises habitudes du personnel politique qui minent la confiance des électeurs dans leurs représentants ? Depuis quelques années, des dispositifs ont été mis en place pour moraliser la vie politique. S’appuyant sur la théorie des incitations, Benjamin Monnery étudie l’efficacité du règlement adopté par l’Assemblée nationale pénalisant le manque d’assiduité des députés en commission… ainsi que l’effet de la publication par l’association Regards citoyens de la liste des députés sanctionnés. Instructif.
Jamais les Français n’ont été aussi défiants à l’égard de la classe politique. C’est ce qui ressort du dernier baromètre de la confiance politique publié en janvier 2017 par le Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences po). Pour 89% des personnes interrogées, le responsables politiques «ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme nous» ; pour 75%, ils sont «plutôt corrompus» ; 40% des sondés éprouvent de la «méfiance» en pensant à la politique et 28% du «dégoût» ; enfin, 70% estiment que «la démocratie ne fonctionne pas bien en France». Le lien entre les citoyens et leurs représentants semble sérieusement altéré. Et les «affaires» qui émaillent la campagne pour l’élection présidentielle ne sont pas de nature à arranger les choses…
Une pénalité de 355 euros par absence
Le constat n’est pas nouveau. Pour remédier à ce dangereux divorce, un certain nombre d’initiatives visant à moraliser la vie politique ont été adoptées il y a déjà plusieurs années. En octobre 2009, un nouveau règlement est ainsi entré en vigueur à l’Assemblée nationale. Celui-ci prévoit notamment la possibilité de sanctions financières envers les députés insuffisamment présents aux réunions de leur commission permanente le mercredi matin. S’ils manquent plus de deux réunions par mois, les députés voient leur salaire mensuel réduit de 355 euros (soit 5% du salaire brut) par absence à partir de la troisième absence.
La mesure n’a pas fait parler d’elle jusqu’au moment où, en 2010 puis 2011, l’association Regards citoyens a publié la liste des députés susceptibles d’être sanctionnés compte tenu de leur manque d’assiduité en commission. Cette publicité a d’abord provoqué la colère du président de l’Assemblée nationale de l’époque, l’UMP Bernard Accoyer, qui s’est dit «profondément choqué» par l’étude, estimant que «la volonté de transparence ne peut tout justifier». Tout en refusant de confirmer ces listes, l’Assemblée a toutefois fini par admettre qu’une trentaine de députés étaient ainsi sanctionnés chaque mois.
Ces mesures ont-elle incité les députés à participer davantage au travail de leur commission parlementaire ? Et si oui, quel est le facteur le plus efficace : la sanction financière ou la publicité donnée à la pénalité ? Enfin, ces mesures ont-elle eu un effet sur la réélection des députés ? Autant de questions qu’a voulu élucider Benjamin Monnery dans une étude qui sera publiée prochainement. Spécialiste de l’économie politique et de la théorie des incitations, ce jeune chercheur du GATE s’est demandé s’il ne pouvait pas faire parler cette masse de données relatives à l’activité des parlementaires. «La difficulté consistait à trouver une méthode scientifique convaincante, explique-t-il. En effet, ce n’est pas le tout d’établir des corrélations, il faut mettre en évidence un effet causal entre les faits !» Il s’est donc intéressé à la législature allant de juin 2007 à mai 2012, laquelle encadrait la réforme de 2009. «Nous disposions ainsi de données avant et après la réforme», ajoute-t-il. Autre point intéressant, le règlement ne s’appliquait pas à certains députés soumis à des contraintes particulières (comme les députés de l’Outre-mer, par exemple) ni au sénateurs. Ce qui fournissait un groupe témoin au chercheur. «Cela nous a permis d’appliquer la méthode des “doubles différences”, explique Benjamin Monnery. Celle-ci permet de comparer le comportement des députés avant et après la mise en place des sanctions, tout en tenant compte des autres changements intervenus au même moment. » En effet, près de 150 articles du règlement intérieur ont été modifiés par la réforme de 2009.
Résultat : une hausse de l’assiduité de 30%
Quels sont les premiers résultats de cette recherche ? D’abord, que le nouveau règlement de l’Assemblée a atteint son objectif. On constate une hausse d’environ 30% de la présence en commission en semaine. Mais ce n’est pas tout. Les députés ne se montrent pas seulement plus assidus en commission, ils contribuent aussi davantage au travail parlementaire en général. En outre, d’après les données disponibles, on n’observe pas de tentatives patentes de contournement du système. Certains auraient pu, par exemple, changer de commission pour aller vers celles qui se réunissent le moins. Cela n’a pas été le cas.
Les sanctions ont-elles un effet dissuasif ? «Certainement, répond Benjamin Monnery. Mais ce n’est évidemment pas la seule explication du changement de comportement des députés. Les nouvelles règles stimulent également leur comportement citoyen, ce que les anglo-saxons appellent l’expressive function of law.» Et puis, comme pour tout groupe humain, il y a l’effet d’entrainement, le conformisme qui pousse chacun à adopter le comportement dominant. Mais l’élément le plus intéressant à étudier est la publicité donnée aux sanctions, car celle-ci joue sur l’image et la réputation du député et peut éventuellement compromettre ses chances de réélection. A ce stade de son étude, le chercheur ne peut encore être formel, mais il lui semble probable que c’est un facteur déterminant. Si ce résultat est avéré, il confirmera que la transparence est le moyen le plus efficace de moraliser la vie politique.
Les parlementaires qui emploient des membres de leur famille sont moins actifs que les autres
Les parlementaires qui emploient des membres de leur famille sont moins actifs que les autres
Rebondissant sur «l’affaire Fillon», Benjamin Monnery s’est livré à une petite étude iconoclaste à la suite de la publication par l’Assemblée nationale, le 21 février dernier, de la liste de tous les collaborateurs de députés. En comparant les noms de famille des parlementaires (députés et sénateurs) avec ceux des collaborateurs déclarés, il a identifié ceux partageant le même patronyme qu’au moins un de leurs assistants. Ensuite, il a croisé cette liste avec les données disponibles sur l’activité des parlementaires pendant les douze derniers mois selon plusieurs critères : présence en commission, nombre d’interventions orales, d’amendements déposés, d’amendements adoptés, de propositions de loi, etc. Et là, patatras : contrairement à ce que prétendent les députés amateurs d’«emplois familiaux», le recrutement d’un proche n’est en rien la garantie d’un travail plus efficace. Au contraire, Benjamin Monnery a établi un «lien négatif significatif» entre le fait d’employer un membre de sa famille et le niveau d’activité, toutes choses étant égales par ailleurs (âge, genre, nombre de mandats, etc.). Probablement une simple corrélation, selon le chercheur : pour lui, ce sont les parlementaires peu présents et peu actifs qui ont tendance à favoriser l’embauche de membres de leur famille. CQFD.