Mieux comprendre les pleurs du nourrisson


Un nouveau-né est-il capable de moduler ses pleurs pour signifier qu’il a mal ? Notre cerveau est-il capable de décoder les signaux douloureux contenus dans ses pleurs ? Des questions auxquelles essaie de répondre une équipe pluridisciplinaire composée de médecins, d’acousticiens et de neuroscientifiques.

C ‘est souvent l’angoisse des jeunes parents confrontés aux pleurs de leur nouveau-né. Mais pourquoi pleure-t-il comme ça ? Est-ce qu’il a mal, faim, sommeil ? Mais c’est aussi la préoccupation des sages-femmes et des pédiatres qui, à l’hôpital, cherchent à distinguer un simple stress d’une réelle douleur. Comment décrypter les pleurs du nourrisson pour répondre au mieux à ses besoins ? C’est l’objet d’une étude menée par une équipe pluridisciplinaire de la faculté de médecine de Lyon-Saint-Etienne [1] avec le soutien de la fondation Apicil-Agir contre la douleur. Composée de médecins, de chercheurs et d’acousticiens, elle s’est intéressée à la perception des pleurs douloureux du nourrisson chez l’adulte.

Présentation vidéo de l’étude par la Fondation Apicil-Agir contre la douleur

« On a probablement beaucoup à apprendre de la compréhension du pleur de l’enfant, qui n’a pas été vraiment intégré dans le soin de l’enfant. »

Les pleurs constituent la seule stratégie dont dispose le nourrisson pour communiquer avec ses parents. Grâce à ces signaux vocaux innés, il les informe de son état sensoriel et émotionnel. C’est particulièrement important lorsqu’il éprouve de la douleur. Pourtant, malgré ce rôle crucial, on sait encore peu de chose sur l’information véhiculée par les pleurs et sur la façon dont celle-ci est décodée au niveau du cerveau des adultes. C’est le cas notamment avec les prématurés. « Les gestes agressifs vis-à-vis de l’enfant sont plus fréquents qu’on ne pense, reconnaît Hugues Patural, chef de service de réanimation pédiatrique et néonatale au CHU de Saint-Etienne. On a probablement beaucoup à apprendre de la compréhension du pleur de l’enfant, qui n’a pas été vraiment intégré dans le soin de l’enfant. »

A l’initiative de ce projet, on trouve des acousticiens spécialistes du comportement animal. Habitués à analyser des signaux sonores de toutes sortes, ils se sont penchés sur les pleurs des bébés pour tenter de percer les mystères de cette communication particulière. Travaillant à partir d’échantillons enregistrés, les chercheurs de l’équipe NeuroPsi, ont essayé de caractériser les pleurs de douleurs. David Reby explique ainsi que ces pleurs contiennent deux grands types d’informations : les unes statiques, liées aux caractéristiques du nourrisson ; les autres dynamiques, associées à son état émotionnel et physiologique. Ce sont ces signaux dynamiques qui informeraient l’adulte sur les besoins immédiats du bébé. Une des hypothèses de l’étude est que ces pleurs seraient différents selon la situation : naissance, colère, douleur… En faisant varier artificiellement certaines caractéristiques acoustiques du pleur (tel le « pitch » de départ), il est ainsi possible d’isoler les informations utilisées par les parents pour identifier une situation de douleur.

Trois mois après la naissance, les parents – aussi bien les mères que les pères – sont capables d’identifier les pleurs de leur enfant parmi ceux d’autres enfants.

De notre côté (équipe Neuropain), nous avons utilisé l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour déterminer, chez l’adulte, les zones cérébrales activées à l’écoute de pleurs enregistrés dans deux situations de stress : douloureuse lors de la vaccination et non-douloureuse lors du bain.

Ce n’est pas tout. Comme on sait que notre cerveau se modifie en fonction de nos expériences, nous avons cherché à  savoir comment les circuits neuronaux s’adaptaient à l’arrivée d’un bébé. Nous avons ainsi comparé les activations cérébrales des jeunes parents et de non-parents, en distinguant les hommes et les femmes. L’équipe NeuroPsi a montré, que trois mois après la naissance, les parents – aussi bien les mères que les pères – sont capables d’identifier les pleurs de leur enfant parmi ceux d’autres enfants (Gustafsson et al., 2013). Preuve que la parentalité est un facteur essentiel dans la reconnaissance des pleurs.

Ce projet, qui associe analyse acoustique du pleur et comparaison des activations cérébrales, est intéressant à plusieurs titres. Il est d’abord le premier à étudier comment le cerveau parvient à différencier les pleurs du nourrisson, à percevoir le message douloureux et à initier un comportement adapté. De façon plus large, il devrait fournir des éléments permettant de déterminer une signature vocale correspondant à l’intensité de douleur ressentie du nourrisson. A l’heure actuelle, aucune mesure objective de la douleur ressentie par le nourrisson n’est disponible. Ces informations pourront s’étendre à la pratique clinique pour mieux adapter la gestion de la douleur du nourrisson et corriger les comportements inadaptés des parents.

[1] Nicolas Mathevon et David Reby, équipe d’écologie et de neuro-éthologie sensorielle (NeuroPsi, CNPS), Roland Peyron et Camille Fauchon, équipe d’intégration centrale de la douleur (NeuroPain, CRNL), Hugues Patural (service de néonatalité, CHU de Saint-Etienne).

Chercheur(s)

Camille Fauchon

Désormais post-doctorant au Krembil Research Institute (University of Health Network, Toronto, Canada), Camille Fauchon a fait partie de l’équipe d’intégration centrale de la douleur chez l’homme (NeuroPain) au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL, Inserm U1028). Il s’intéresse aux modulations cognitives et émotionnelles de la douleur chez l’homme, en particuliers l’effet de l’empathie et du support social.

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Camille Fauchon

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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