De nombreuses études en psychologie sociale ont montré que nous avons naturellement tendance à favoriser les membres d’un groupe social auquel nous appartenons. Des chercheurs français et brésiliens ont voulu savoir quelles régions cérébrales étaient activées par ce biais de comportement. Pour cela, ils ont soumis des supporters des meilleures équipes de foot de Rio de Janeiro (ici, ceux de Botafogo) à un test un peu particulier.
Dans l’équipe de Jean-Claude Dreher, à l’Institut de sciences cognitives Marc-Jeannerod de Lyon, on étudie les les mécanismes cérébraux qui sous-tendent l’interaction entre motivation et prise de décision, autrement dit ce qui motive nos choix. « L’objectif de notre programme, explique Jean-Claude Dreher, est de proposer une explication neurocomputationnelle de la manière dont le cerveau prend une décision motivée. » Neurocomputationnelles ? Ce terme savant désigne un champ des neurosciences qui essaie de décrire par des algorithmes les liens complexes qui unissent nos fonctions cognitives et notre système cérébral. Pour mener à bien cet ambitieux programme, l’équipe de Jean-Claude Dreher combine différentes disciplines, comme la neuroéconomie, les neurosciences cognitives ou la neuroimagerie, tout en s’appuyant sur les acquis de la psychologie individuelle ou sociale.
Dans sa dernière étude, le chercheur s’est intéressé à une forme particulière du comportement altruiste : celle qui s’exprime au sein d’un groupe social. « Les mécanismes neurobiologiques à l’origine des décisions altruistes ont été largement étudiées chez l’homme, souligne-t-il, mais rien n’avait été vraiment fait dans le cadre d’un groupe auquel on se sent affilié. » Or on sait que nos décisions sont largement influencées par notre rapport aux groupes sociaux. Nous savons ainsi que nous avons naturellement tendance à favoriser les membres du groupe auquel nous appartenons.
Des cobayes choisis parmi les fans de Botafogo, Flamengo, Fluminense et Vasco de Gama
Comment cela se traduit-il dans le cerveau ? C’est ce qu’a voulu savoir l’équipe de Jean-Claude Dreher, qui s’est alliée pour l’occasion à l’équipe de Jorge Moll, de l’Institut d’Or à Rio de Janeiro. Le Brésil étant le pays du football, il n’a pas fallu longtemps aux chercheurs pour se mettre d’accord sur le type de groupes qui serviraient de référence aux travaux. Ils étudieraient les supporters des principaux clubs de foot de Rio : Botafogo, Flamengo, Fluminense et Vasco de Gama ! « Nous avons voulu travailler dans un cadre écologique, précise Jean-Claude Dreher. Nous tenions à ce que l’appartenance des sujets au groupe soit réel et constant. » Avec les fans de foot, aucun doute n’était permis !
Passons à présent au protocole de l’expérience. Pour mesurer la motivation altruiste des supporters, les chercheurs ont imaginé le dispositif suivant. Une fois installé à l’intérieur d’un scanner, le sujet devait appuyer sur un capteur de force qui lui permettait de gagner une somme d’argent proportionnelle à son effort, et cela dans trois cas : l’argent gagné était pour lui, l’argent était attribué à d’autres supporters de son club, l’argent était attribué à des personnes n’appartenant pas à son club (figure A). « Nous avons corrélé ainsi la motivation altruiste à l’effort fourni », résume Jean-Claude Dreher.
Qu’ont révélé les résultats d’IRM fonctionnelle? D’abord que la motivation pour gagner de l’argent engageait, dans les trois cas, la partie médiale du cortex orbitofrontal (mOFC, figure B), une zone entrant en jeu dans les processus de décision ; mais aussi qu’une zone appelée cortex cingulaire subgénual (SCC) présentait « une connectivité fonctionnelle accrue avec le mOFC ainsi que des réponses plus fortes » dans le cas d’une récompense attribuée à un supporter du même club de foot que dans celui d’un supporter d’un autre club (figure C). Or cette région du cerveau est classiquement impliquée dans les comportements altruistes et ceux d’attachement et d’affiliation. Cela signifie que la motivation altruiste exercée au profit de personnes de son propre groupe active des régions cérébrales qui intègrent des mécanismes à la fois motivationnels (mOFC) et d’affiliation (SCC) à ce groupe.
Que retenir d’une telle étude ? « Ces résultats permettent de mieux comprendre les bases cérébrales des liens qui unissent motivation et attachement pour un groupe social, un universel humain qui se manifeste par des phénomènes d’appartenance au groupe », résume Jean-Claude Dreher. Phénomènes qui peuvent être source de solidarité mais aussi de fanatisme.
Pour aller plus loin
> Lire l’étude publiée dans la revue Scientific Reports
Neural bases of ingroup altruistic motivation in soccer fans.
Bortolini T, Bado P, Hoefle S, Engel A, Zahn R, de Oliveira Souza R, Dreher JC*, Moll J*. Sci Rep. 2017 Nov 23;7(1):16122. doi: 10.1038/s41598-017-15385-7.
> Decision Neuroscience : An Integrative Perspective
Ouvrage collectif (en anglais) coédité par Jean-Claude Dreher et Leon Tremblay. Une synthèse des principales avancées de la neuroscience décisionnelle depuis une décennie.
Comment les jurés forgent leur verdict
L’équipe de Jean-Claude Dreher s’est aussi intéressée à ce qui se passe dans la tête d’un juré lorsqu’il est confronté à l’avis des autres membres du jury (sur la photo, celui du film Douze hommes en colère). S’en tient-il à son verdict ou le révise-t-il en fonction des autres jurés. Résultat : « Nous avons observé que plus la confiance d’un juré en son propre verdict est faible, plus il a tendance à réviser son jugement et à suivre la décision collective, explique le chercheur. En outre, l’avis du jury pèse d’autant plus sur la décision individuelle que le nombre de jurés est élevé. »
- Lire l’article « Notre raison est-elle rationnelle ? » (Journal du CNRS)
- Lire l’étude publiée dans la revue Plos Biology.
Integration of individual and social information for decision-making in groups of different sizes. Seongmin A. Park , Sidney Goïame, David A. O’Connor, Jean-Claude Dreher. June 28, 2017. doi.org/10.1371/journal.pbio.2001958