De nombreuses études ont montré les effets positifs d’un entraînement cognitif sur les personnes âgées saines et certaines l’ont montré sur les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. D’autres études ont montré que la pratique d’une activité physique pourrait aussi avoir des effets positifs sur la cognition. Et si on associait les deux, s’est demandé Hanna Chainay, professeur à l’Université Lyon 2 et membre du laboratoire EMC ? Même s’ils doivent encore être confirmés, les premiers résultats sont encourageants.
Pourquoi en vieillissant certaines personnes sombrent dans la démence alors que d’autres conservent toute leur tête ? Cette vaste question alimente de nombreux travaux de recherche en France et à l’étranger. Comment faire la part de la génétique et de l’environnement ? Comment intégrer l’histoire du sujet dans les modèles qui s’intéressent au vieillissement neurocognitif, qu’il soit normal ou pathologique, comme dans le cas de la maladie d’Alzheimer ? Quel est le poids de facteurs tels que l’hygiène de vie, l’intensité des activités intellectuelles et physiques, la richesse de la vie relationnelle, etc. ? « C’est pour répondre à ce type de questions que des chercheurs ont élaboré des théories qui prennent en compte à la fois les modifications structurales et fonctionnelles du cerveau dues à l’âge et l’expérience du sujet » [1], explique Hanna Chainay, enseignant chercheur à l’Université Lumière Lyon 2.
Un capital cérébral et cognitif à entretenir
Selon ces théories, chacun disposerait d’une sorte de capital qu’il ferait évoluer tout au long de sa vie. Celui-ci comprendrait des ressources cérébrales et des ressources cognitives. « Les premières sont liées aux aspects quantitatifs. Par exemple le nombre de neurones et de synapses qui se créent au fil du temps et qui, dans le cas du vieillissement ou de la maladie, compensent la perte des neurones jusqu’à un certain seuil, précise la chercheuse. Les secondes dépendent plutôt de l’efficacité des stratégies d’apprentissage mises en œuvre depuis l’enfance. » La qualité du vieillissement tiendrait alors, au moins pour partie, du soin que chacun aurait accordé à ce capital.
On sait depuis longtemps que le maintien d’activités cognitives chez le sujet âgé contribue à retarder l’apparition d’altérations cognitives handicapantes. [2] Depuis quelques années, on a mis également en évidence les bénéfices de l’activité physique sur la préservation des capacités cognitives. [3] « Le sport, c’est bon aussi pour le cerveau, résume Hanna Chainay. Il favorise l’oxygénation du cerveau, la création de synapses, le développement d’habiletés motrices et visuo-spatiales, etc. » Et si on couplait entraînement cognitif et entraînement physique s’est-elle demandé. Est-ce qu’on obtiendrait des résultats encore meilleurs ? C’est ce qu’elle a voulu vérifier avec l’aide de Clémence Joubert, doctorante de son laboratoire, qui en a fait son sujet de thèse (voir sa prestation à la finale lyonnaise 2017 du concours Ma thèse en 180 secondes).
Mesurer les bénéfices des entraînements
Pour vérifier cette hypothèse, il a fallu bâtir un dispositif ad hoc. « S’il existe à ce jour peu d’études sur cette approche croisée, note la chercheuse, c’est parce que les protocoles sont complexes à mettre au point. » La première difficulté tient en effet à la fragilité de cette population. Les entraînements se déroulant sur plusieurs semaines, il est rare que tous les participants aillent au bout de l’expérience, compte tenu des variations de leur état ou de leur motivation. La deuxième difficulté tient à l’adaptabilité des protocoles au besoins individuels, qu’il s’agisse de la spécificité des exercices proposés que de la durée d’intervention ou de la fréquence des entraînements. Faut-il proposer des exercices très encadrés ciblant une ou des fonctions cognitives particulières ou des activités moins spécifiques ? Comment mesurer de manière fiable les bénéfices ? Autant de questions importantes à se poser pour établir le protocole.
Si l’on se contente d’observer la progression pour les tâches proposées à l’entraînement, on mesurera principalement l’effet d’apprentissage. En effet, quand un sujet réalise un entraînement régulier pendant une période longue, il améliore sa performance par la simple répétition des exercices. Comment éliminer ces biais pour isoler le bénéfice de tel ou tel entraînement sur la cognition du sujet ? La réponse n’est pas simple. « Proposer des ateliers de cuisine ou de chant à des patients Alzheimer va leur être globalement profitable, explique Hanna Chainay, mais on ne saura pas quelles compétences spécifiques on aura ciblées. » Or ce qui intéresse la chercheuse, c’est de savoir si l’entraînement permet d’améliorer des fonctions spécifiques et surtout un transfert de compétences vers des tâches différentes de celles qui ont servi d’exercice. « Entraîner la mémoire de travail permet ainsi d’améliorer des compétences telles que la mise à jour des informations ou la flexibilité mentale, des compétences nécessaires à la réalisation de nombreuses tâches de la vie quotidienne, poursuit-elle. Pour mesurer l’efficacité de l’entraînement, on demandera par exemple au patient de réaliser une recette de cuisine ou de payer une facture avec son chéquier. »
De nombreux biais à neutraliser
Ces biais ayant été identifiés, un protocole d’entraînement a été mis au point. Il a été appliqué dans un premier temps à une population qui ne présentait pas de pathologie du vieillissement. Plusieurs groupes ont été constitués. Le premier suivait un entraînement purement cognitif sous forme d’exercices à réaliser sur ordinateur, deux heures par semaine pendant huit semaines (une heure chez soi et une heure au labo). Les capacités cognitives étant mesurées au départ et au terme de l’expérience. Le second groupe a suivi un entraînement combiné : les sujets marchaient une heure sur un tapis roulant au laboratoire et faisaient des exercices cognitifs chez eux pendant une heure. Par ailleurs, deux groupes témoins ont été formés : un groupe actif et un groupe passif. La raison ? « On s’est rendu compte que la simple participation à une expérience stimulait les sujets âgés, explique Hanna Chainay. Il fallait donc éliminer aussi ce biais. » Les participants du groupe actif se retrouvaient ainsi au labo une fois par semaine pour une discussion en petit groupe. Ceux du groupe passif ne faisaient rien de particulier.
Quels sont les résultats ? « On s’attendait à ce que le second groupe obtienne de meilleurs résultats que le premier, mais cela n’a pas été flagrant », reconnaît la chercheuse. Dans les deux groupes, on constate une amélioration de certaines compétences par rapport au groupe témoin passif, mais pas d’écart significatif entre eux. A ce stade, on peut simplement dire qu’une heure d’activité cognitive associée à une heure d’activité sportive est aussi profitable que deux heures d’activité cognitive. « Ce n’est pas rien, souligne Hanna Chainay. Cela signifie qu’on peut proposer aux personnes âgées des programmes de stimulation plus diversifiés avec des bénéfices cognitifs équivalents auxquels s’ajoutent des bénéfices en termes de santé physique. »
Avec les patients Alzheimer, une grande variabilité des résultats
Qu’en est-il des patients atteints par la maladie d’Alzheimer ? Un protocole a été conduit par Cynthia Claus, étudiante en Master 2, avec le concours de l’hôpital gériatrique des Charpennes, à Villeurbanne « Là, c’est plus compliqué, reconnaît la chercheuse. Le protocole est lourd pour ce type de population. Certains sujets abandonnent en cours de route. » A ce jour, huit patients, âgés de 65 à 80 ans, seulement ont été au bout de l’expérience. Il en faudrait une vingtaine pour que les résultats soient significatifs. Un fait interroge toutefois. « On observe une variabilité importante des performances selon les sujets : certains ont obtenu une nette amélioration et d’autres pas du tout… » L’explication de ces écarts se trouve peut-être dans l’histoire de vie des uns et des autres. L’enjeu aujourd’hui est de caractériser ces patients. « Pour avancer, nous avons besoin de nous appuyer sur des études multicentriques », insiste Hanna Chainay. C’est-à-dire d’études qui se déroulent dans des endroits différents en suivant le même protocole.
Quels enseignements retirer de ces premiers résultats ? En termes de prévention, on peut imaginer des campagnes de santé publique sur le « bien vieillir », encourageant la pratique tout au long de la vie d’activités physiques et cognitives stimulantes. « Certes, ce n’est pas une assurance tout risque contre la maladie d’Alzheimer, précise la chercheuse, mais cela permettrait peut-être de retarder l’apparition des symptômes chez ceux qui en sont atteints. » Quant aux malades, l’enjeu est probablement moins de gagner du temps sur l’avance inexorable de la maladie que d’améliorer leur bien-être. « Musique, théâtre, jeux de société, danse : quand on stimule un patient Alzheimer, il retrouve des émotions et le plaisir d’interagir avec les autres, conclut Hanna Chainay. C’est important pour lui, pour son entourage et pour les soignants. »
Alzheimer : des protocoles difficiles à mettre au point
Étudier le comportement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer n’est pas une sinécure. L’expérience menée par Hanna Chainay le prouve. C’est aussi ce qu’a constaté Matthieu Quignard, ingénieur de recherche au laboratoire de linguistique ICAR, à Lyon. Sollicité par les Hôpitaux de Fourvière pour évaluer la capacité des patients Alzheimer à comprendre leurs interlocuteurs, il a mis au point avec ses partenaires un protocole basé sur la théorie de l’esprit,c’est-à-dire la capacité du sujet à se représenter les émotions et les intentions d’autrui (projet Malice).
Le dispositif repose sur la participation du patient, accompagné d’un proche aidant (pour limiter le stress), à une saynète. Tous deux sont assis dans une pièce où se trouve un bureau. Une jeune femme entre avec un livre. Après l’avoir manipulé, elle le pose sur le bureau et sort de la pièce. Un homme entre à son tour, feuillette le livre, le range dans un tiroir et sort. Le psychiatre responsable de l’expérience pose alors la question : « Où la jeune femme va-t-elle chercher l’objet en revenant dans la pièce ? » Si le patient répond dans l’armoire (là où il se trouve), c’est que sa capacité d’empathie est atteinte, une perte qui risque d’être handicapante dans ses relations sociales.
Bien que ce protocole soit tout à fait classique en sciences expérimentales, Matthieu Quignard s’est rapidement rendu compte que certains paramètres pouvaient biaiser l’expérience. Notamment, le fait de briefer le patient dans une pièce différente de celle où se déroule la saynète. « Ces biais peuvent induire une mobilisation trop importante de la mémoire, explique le chercheur. Or il y a une relation étroite entre la mémoire et le raisonnement. » Ce constat l’a amené à revoir le protocole. Celui-ci se fera désormais dans le cadre d’une consultation médicale authentique.