Neuromythe #3 : la taille du cerveau influence l’intelligence


Si l’intelligence dépendait de la taille du cerveau, les éléphants et les baleines seraient les rois du monde. En réalité, ni le volume du cerveau, ni son poids relatif, ni le nombre de neurones du cortex ne permettent d’établir une corrélation satisfaisante avec l’intelligence. Et personne n’a trouvé une définition de l’intelligence qui s’appliquerait à l’ensemble du monde animal…

« Tu as une cervelle de moineau », « il a un petit pois dans la tête », « elle a une mémoire d’éléphant » … Ces expressions familières sous-entendent que l’intelligence serait une question de taille ou de poids. Mais si c’était vrai, les baleines, avec un cerveau de 8 kg, seraient parties à la conquête de Mars depuis bien longtemps ! Alors, au-delà de l’intuition un peu naïve, d’où vient cette idée selon laquelle les capacités intellectuelles seraient proportionnelles à la taille du cerveau ?

Evolution moyenne de la taille du cerveau chez les hominidés (©Neekoo pour Hominides.com)
Evolution moyenne de la taille du cerveau chez les espèces d’hominidés (©Neekoo pour Hominides.com)

Si l’on se place d’un point de vue évolutif, il est vrai que le volume cérébral des hominidés n’a cessé d’augmenter depuis leur apparition sur la Terre : en 7,5 millions d’années, il a été multiplié par trois. Et cette augmentation s’est accompagnée d’un accroissement considérable de ses capacités intellectuelles. Cette théorie est soutenue et largement documentée depuis le XIXe siècle. C’est d’abord Friedrich Tiedemann, anatomiste et physiologiste allemand, qui affirme en 1836 qu’il existe sans aucun doute un lien très étroit entre la taille absolue du cerveau et les fonctions intellectuelles de l’esprit [1]. Cette idée est ensuite reprise de multiples fois par les plus grands noms des neurosciences. Ainsi Paul Broca, dans le cadre de ses recherches, déclare en 1861 avoir observé que les travailleurs qualifiés ainsi que les personnes éminentes dans leurs domaines avaient un cerveau plus gros que ceux qui ne possédaient pas ce niveau d’expertise. Pente glissante qui le conduisirent à justifier «l’infériorité naturelle des femmes». «La femme étant plus petite que l’homme, écrit-il, et le poids du cerveau variant avec la taille, on s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps. Pourtant, poursuit-il, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme. Il est donc permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle. » Voilà ce que pouvait écrire un grand esprit de ce temps… Cette corrélation trompeuse fut renforcée par la découverte de troubles du neurodéveloppement tels que la microcéphalie, qui se caractérise par une taille de la tête anormalement petite associée à un risque de déficit intellectuel élevé.

Comparaison d'un crâne d'homme moderne (à gauche) et d'un crâne néandertalien (©Wikimédia)
Comparaison d’un crâne d’homme moderne (à gauche) et d’un crâne néandertalien (©Wikimédia)

Cependant, cette théorie fut largement mise à mal avec le progrès des recherches sur l’évolution. En effet, si le volume du cerveau des hominidés a augmenté durant des millions d’années, celui de notre espèce, Homo sapiens, lui, est en constante diminution. Il est ainsi de 15 à 20% plus petit que celui de Cro-Magnon. Idem si on le compare à celui d’un autre de nos ancêtres, l’homme de Néandertal. Cette réduction de volume n’a pas empêché Homo sapiens de développer le langage, ce que l’homme de Neandertal n’a jamais été capable de faire[2].

Maintenant que l’on sait que le cerveau d’Homo sapiens, censé être l’espèce la plus intelligente de la planète, pèse à peine 1,35 kg, pourquoi le mythe de la « grosse tête » persiste-t-il ? L’une des raisons principales est sans doute qu’il est difficile de trouver une méthodologie satisfaisante pour comparer l’intelligence des espèces. D’abord, chacune est douée de facultés particulières qui lui permettent de s’adapter à son environnement. Ensuite, on évalue l’intelligence des animaux à l’aune des facultés humaines, lesquelles sont liées au mode de vie et au milieu dans lequel nous évoluons. Cela a-t-il vraiment du sens ? 

Tableau comparatif de la taille relative du cerveau de six mammifères (©Wikimedia)
Taille relative du cerveau chez six mammifères : rapport de la masse du cerveau sur la masse totale du corps (©Peter Aldhous, Wikimedia).

Autre source de confusion : la « taille » du cerveau. De quoi parle-t-on exactement ? De sa masse absolue ou relative (c’est-à-dire rapportée à la masse totale du corps) ? Dans le monde animal, on constate effectivement que la masse du cerveau augmente avec celle du corps, mais pas de façon linéaire : la masse relative décroit quand la masse totale augmente (voir graphique). Cette taille relative est-elle proportionnelle à l’intelligence ? Rien n’est moins évident. A l’aune de ce critère, la musaraigne, avec un cerveau qui représente 10% de sa masse corporelle, est très loin devant l’Homme (2%). 

Comparaison du quotient d'encéphalisation chez six mammifères (©Wikimedia)
Comparaison du quotient d’encéphalisation chez six mammifères (©Peter Aldhous/Wikimedia).

Pour faciliter la comparaison entre les espèces, on utilise le coefficient d’encéphalisation. Celui-ci correspond au rapport entre la taille du cerveau d’une espèce et sa taille attendue (sachant que, chez les mammifères, la masse du cerveau est déterminée à 90% environ par la masse totale). Ce coefficient semble être un bon indice de l’intelligence, notamment chez les mammifères (voir graphique). Mais… il n’est pas adapté aux oiseaux, qui possèdent un très petit cerveau alors que certains, les corvidés par exemple, présentent des capacités cognitives aussi élevées que les primates. 

C’est à partir des années 2000 que l’on a commencé à proposer des critères semblant mieux corrélés avec l’intelligence. En 2005, les chercheurs Roth et Dicke ont ainsi mis en évidence que le nombre de neurones corticaux et la vitesse de conduction pouvaient constituer une base de la capacité de traitement de l’information et, à ce titre, pouvaient être considérés comme des facteurs déterminants de l’intelligence [3].

Comparaison du nombre total de neurones chez six mammifères (©Wikimedia)
Comparaison du nombre total de neurones chez six mammifères (©Peter Aldhous/Wikimedia).

En effet, le nombre de neurones du cerveau ne permet pas à lui seul d’expliquer l’intelligence. L’éléphant en possède ainsi 2,5 fois plus que l’Homme (251 milliards, contre 86 milliards). Et même si l’on considère uniquement les neurones du cortex cérébral, siège des fonctions supérieures, l’Homme, là encore, n’occupe pas la première place. Le globicéphale, un cousin du dauphin, possède deux fois plus de neurones corticaux que l’Homme (37 milliards contre 16 milliards). En outre, il a un gros cerveau et un coefficient d’encéphalisation plutôt élevé par rapport aux autres mammifères. Si l’on se réfère à ces critères, il devrait donc être considéré comme l’animal le plus intelligent. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? 

Si l’on s’intéresse à la structure du cerveau du globicéphale, on peut observer un cortex fin et des neurones clairsemés, qui montrent une moindre capacité à échanger des informations de manière rapide et efficace. La vitesse de conduction des influx nerveux pourrait permettre un traitement de l’information plus rapide et pourrait donc être un facteur sous-tendant l’intelligence (lire l’encadré). Cela pourrait expliquer pourquoi il a été montré que les personnes dites intelligentes assimilent les informations de leur environnement plus rapidement et utilisent mieux leur mémoire à court terme lors de tâches cognitives de compréhension, de raisonnement ou d’apprentissage. Toutefois, cette explication reste une hypothèse encore à démontrer. 

Vitesse de conduction des neurones : jusqu’à 120 mètre par seconde !

Saltatory Conduction

Propagation du potentiel d’action dans une fibre « nue » et une fibre myélinisée (©Jana/Wikimedia)

La vitesse de conduction d’un neurone se définit par la vitesse à laquelle l’information électrique (l’influx nerveux) se propage le long d’un axone, sorte de “câble électrique » que possèdent les neurones. Cela permet une transmission d’information d’un neurone à un autre via des zones de connexion appelées synapses. Celles-ci se trouvent principalement au niveau d’autres types de ramifications neuronales, les dendrites.

Cette vitesse de propagation de l’information par les neurones va dépendre à la fois du diamètre de l’axone (plus le diamètre est important plus l’information circule rapidement), mais elle va aussi dépendre de la myéline. La gaine de myéline est une couche isolante entourant les axones des neurones, ces axones sont dits myélinisés. Cette couche s’interrompt à certains endroits de l’axone, appelés nœuds de Ranvier, qui sont des portions conductrices. L’influx nerveux doit donc “sauter” de nœuds en nœuds, ce qui accélère considérablement la vitesse de transmission. Ainsi, un neurone possédant une gaine de myéline possède une vitesse de propagation qui peut atteindre 120 mètres par seconde, soit plus de 400 km/h ! Tandis qu’un axone  “nu”, sans myéline, ne transmet plus l’information qu’à une vitesse de 0,5 mètre par seconde.

L’intelligence de l’Homme serait donc moins liée à la taille de son cerveau qu’à la façon dont celui-ci est structuré. En effet, le nombre de neurones corticaux associé à une vitesse de conduction élevée des fibres corticales présente la meilleure corrélation avec l’intelligence. Certes, l’Homme n’a pas le plus gros cerveau, que ce soit en valeur absolue ou relative, mais il a un grand nombre de neurones corticaux, une vitesse de conduction des fibres corticales plus élevée et une petite distance entre neurones. Ces caractéristiques seraient probablement à l’origine de sa plus grande capacité de traitement de l’information[3].

En conclusion, il ne subsiste aucun doute sur le fait que l’intelligence ne peut être définie en fonction de la taille du cerveau d’une espèce, et encore moins d’un individu. Cependant le véritable problème qui se pose est de définir l’intelligence : il reste encore à trouver une définition consensuelle de l’intelligence qui pourrait être appliquée à l’ensemble du règne animal.

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

En finir avec les neuromythes

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série

Bibliographie

[1] Pietschnig, J., Penke, L., Wicherts, J. M., Zeiler, M., & Voracek, M. (2015). Meta-analysis of associations between human brain volume and intelligence differences: How strong are they and what do they mean?. Neuroscience and biobehavioral reviews, 57, 411–432.

[2] Tokuhama-Espinosa, T. (2018). Neuromyths: Debunking false ideas about the brain. WW Norton & Company.

[3] Roth, G., & Dicke, U. (2005). Evolution of the brain and intelligence. Trends in cognitive sciences, 9(5), 250–257.

Sur le même thème

Intelligence : en quoi notre cerveau est-il différent de celui des animaux ?

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

Voir sa page

Clara Saleri

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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