Neuromythe #5 : cerveau droit, cerveau gauche


Ceux qui utilisent plutôt leur cerveau gauche seraient plus logiques et analytiques, tandis que ceux qui utilisent leur cerveau droit seraient plus créatifs et intuitifs. Encore très répandue, cette idée court depuis la fin du XIXe siècle, alimentée par de nombreux scientifiques et écrivains. Son origine vient d’une confusion entre asymétrie cérébrale et dominance hémisphérique.

« Êtes-vous plutôt cerveau droit ou plutôt cerveau gauche ? » Qui n’est jamais tombé sur ce type d’article en feuilletant un magazine dans la salle d’attente de son médecin ? Pour répondre à cette question cruciale, le lecteur se voit proposer un QCM passant en revue des situations de la vie de tous les jours, du genre : Votre patron vous réclame d’urgence un document. Réponse A : Vous fouillez partout : mais où a-t-il bien pu passer ? Réponse B : Vous l’extirpez délicatement de la masse de papiers étalés sur votre bureau. Réponse C : Vous signalez sans hésiter dans quel dossier vous l’avez rangé. » La consigne est de choisir la réponse qui se rapproche le plus de son ressenti. Et à la fin du test, le diagnostic tombe : « Bravo, vous êtes plutôt cerveau droit ! »

Selon la théorie qui sous-tend ces tests, cela signifie que vous utilisez majoritairement l’hémisphère droit de votre cerveau. Le « cerveau droit » serait le siège de la créativité, de l’imagination ainsi que des pensées et des émotions. Il serait intuitif, multitâche et évoluerait en arborescence, favorisant une approche globale des choses. Les personnes « plutôt cerveau droit » auraient ainsi une personnalité caractérisée par la créativité, la sensibilité et l’empathie. Elles auraient aussi plus de mal à s’intégrer dans le cadre imposé par la société. Certains magazines vont jusqu’à proposer des techniques permettant de développer son « cerveau droit ». En pratiquant par exemple des activités artistiques – dessin, musique, théâtre – ou relaxantes – yoga, méditation.

L’hémisphère gauche, lui, serait le siège de la logique et de la rigueur. Il serait plutôt monotâche, ne traitant qu’une seule information à la fois, et nous permettrait de planifier des taches et de se fixer des objectifs. Les personnes « plutôt cerveau gauche » seraient ainsi logiques et rationnelles, avec un raisonnement séquentiel étape par étape. Elles seraient plus adaptées au système scolaire et aux règles de la vie en société. Conseils pour développer son « cerveau gauche » ? Pratiquer des activités de logique comme le sudoku, les mots fléchés, l’informatique ou les mathématiques.  

Avant le XIXe siècle, on pensait, en se fondant sur l’anatomie, que le cerveau était un organe symétrique.

Théorie séduisante, mais fausse ! De la même manière qu’on a besoin de nos deux jambes pour marcher, on a besoin de nos deux hémisphères cérébraux pour assurer toutes les tâches effectuées par le cerveau. Toutefois, comme tous les mythes, cette théorie contient une part de vérité. Pour comprendre sa genèse, un petit retour en arrière s’impose. Avant le XIXe siècle, on pensait, en se fondant sur l’anatomie, que le cerveau était un organe symétrique. En effet, certaines structures se retrouvent à la fois à gauche et à droite. C’est le cas du striatum, de l’hypothalamus ou de l’hippocampe. Cependant, en 1861, le scientifique Paul Broca fit une découverte majeure qui allait contribuer au bouleversement de ce consensus. Il mit en évidence pour la première fois la latéralisation à gauche d’une fonction majeure : la production du langage1. Une découverte qu’il fit en étudiant le cerveau d’un de ses patients appelé « Monsieur Tan », lequel n’était capable de produire que cette syllabe, « tan », alors qu’il ne présentait pas de troubles de compréhension du langage. A la mort de ce dernier, Broca mit en évidence une lésion de la partie moyenne du lobe frontal gauche. Par la suite, d’autres travaux, tels ceux de John Hughlings Jackson (1872) démontrant la latéralisation à droite de l’attention visuo-spatiale, ou ceux de Wernicke (1876) définissant la compréhension du langage comme étant latéralisée dans le lobe temporal gauche2, vinrent corroborer l’idée que le cerveau était en réalité un organe asymétrique, caractérisé par l’inégalité dans l’implication des deux hémisphères du cerveau dans les différentes fonctions.

C’est alors que naît le mythe qui met en scène l’opposition entre un cerveau gauche intellectuel, maîtrisant le langage et les conventions sociales, et un cerveau droit instinctif, qui permet de retrouver le chemin de la maison et de reconnaître les siens. Dans « Une nouvelle vision de la folie : la dualité de l’esprit »3, le médecin Arthur Ladbroke Wigan (1844) dépeint l’idée que les deux hémisphères cérébraux fonctionnent et pensent indépendamment l’un de l’autre. Ce thème sera popularisé quelques années plus tard par l’écrivain Robert Louis Stevenson (1886) auteur de « L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde »4. Le héros de son roman possède deux personnalités : Dr Jekyll, logique, moral et maître de lui-même, représente le cerveau gauche ; M. Hyde, primitif et bestial, représente le cerveau droit. Cette théorie sera même soutenue par des scientifiques tels que Lewis C. Bruce (1890), dont un patient présente un comportement avec deux personnalités bien distinctes : l’une présentant un jugement altéré et parlant un jargon incompréhensible, l’autre, plus maîtrisée, doté d’un langage parfait. Selon lui, chacune de ces personnalités représentait l’expression alternée d’un hémisphère5.

En 2013, une étude d’imagerie médicale portant sur plus de 1000 sujets n’a pas pu faire la preuve d’une activité différenciée des hémisphères.

Depuis, la science a considérablement progressé. Le développement de nouvelles techniques telles que l’IRM fonctionnelle, qui permet d’identifier précisément les régions impliquées dans une fonction, ont permis d’aboutir à de nouvelles conclusions. En 2013, dans une étude d’imagerie cérébrale publiée dans le journal PlosOne, des chercheurs ont tenté de déterminer l’existence ou non d’une dominance hémisphérique6. Pour cela, ils ont soumis plus de 1 000 sujets à une IRM fonctionnelle et analysé l’activité de neuf populations de neurones spécifiquement latéralisées à gauche et onze autres spécifiquement latéralisées à droite. Leurs résultats sont implacables : aucun des deux hémisphères ne présente globalement une activité plus importante que l’autre. L’activité propre d’une région cérébrale semble être essentiellement liée à la tâche effectuée et non à une préférence hémisphérique de l’individu.

Plus récemment, en 2019, une étude a dressé pour la première fois une cartographie complète de la latéralisation des fonctions cérébrales7. Les chercheurs ont ainsi défini quatre groupes de fonctions latéralisées : la communication symbolique à gauche, la perception/action et les émotions à droite et la prise de décision dans le lobe frontal, et plus particulièrement le lobe frontal droit (schéma ci-dessous). Ces résultats viennent corroborer les études précédemment citées décrivant cette spécialisation de nos deux hémisphères cérébraux.

cartographie complète de la latéralisation des fonctions cérébrales (Karolis VR, Corbetta M & Thiebaut de Schotten M. Nature Communications, 29.03.2019).

The architecture of functional lateralisation and its relationship to callosal connectivity in the human brain. Karolis VR, Corbetta M & Thiebaut de Schotten M. Nature Communications, 29.03.2019.

Conclusion : le « cerveau droit » et le « cerveau gauche » sont en réalité les composants d’un système cognitif plus vaste comprenant des structures corticales et sous-corticales, lesquelles interagissent pour produire une unité de pensée et d’action. Le cerveau est bien asymétrique dans la réalisation de certaines fonctions, mais il n’est pas pour autant latéralisé ! Certes, il existe des personnalités plutôt créatives et d’autres plutôt logiques, mais cela n’est en rien dû à une suractivation d’un hémisphère cérébral.

Que cela ne vous empêche pas de faire des grilles de sudoku si vous voulez faire travailler vos neurones ou du yoga pour vous reconnecter avec votre corps. Dans tous les cas, ces exercices feront travailler, simultanément ou successivement, différentes zones de votre cerveau, qu’elles soient situées dans l’hémisphère gauche ou droit !  

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

En finir avec les neuromythes

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série

Bibliographie

1 – Paul Broca (1824-1880). Bulletin de la société française d’anthropologie. Texte n° 1 : séance du 18 avril 1861, tome 2, p. 235-238 ; texte n° 2 : séance du 16 avril 1863, tome 4, p. 200-204.

2 – Wernicke K. (1995). The aphasia symptom-complex: A psychological study on an anatomical basis (1875). In Paul Eling (ed.). Reader in the History of Aphasia: From Franz Gall to Norman Geschwind. 4. Amsterdam: John Benjamins Pub Co. pp. 69–89.

3 – Wigan, A. L. (1844). A New View of Insanity: The Duality of the Mind Proved by the Structure, Functions, and Diseases of the Brain, and by the Phenomena of Mental Derangement, and Shewn to be Essential to Moral Responsibility. With an Appendix… Longman, Brown, Green, and Longmans.

4 – Robert Louis Stevenson , Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde (London: Longmans, Green & Co., 1886). (Centenary edn Edinburgh: Canongate Publishing, 1986.)

5 – Bruce, L. C. (1897). Meeting V.—February 3, 1897: Dual Brain Action and Its Relation to Certain Epileptic States. Transactions. Medico-Chirurgical Society of Edinburgh, 16, 114.

6 – Nielsen, J. A., Zielinski, B. A., Ferguson, M. A., Lainhart, J. E., & Anderson, J. S. (2013). An Evaluation of the Left-Brain vs. Right-Brain Hypothesis with Resting State Functional Connectivity Magnetic Resonance Imaging. PLoS ONE, 8(8), e71275.

7 – Karolis VR, Corbetta M & Thiebaut de Schotten M. The architecture of functional lateralisation and its relationship to callosal connectivity in the human brain. Nature Communications, 29.03.2019.

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

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Clara Saleri

Yves Rossetti

Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.

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Yves Rossetti

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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