Malgré l’évolution des mentalités et un niveau de formation moyen supérieur a celui des hommes, les femmes sont encore très absentes des instances de décision. La faute aux stéréotypes et à la discrimination ? Certes, mais pas seulement. L’économie comportementale apporte de nouvelles explications. Notamment en montrant que les femmes ont bien moins d’appétence que les hommes pour la compétition, laquelle est encore la clé de la réussite professionnelle. Un handicap à compenser par des mesures de discrimination positive si l’on souhaite parvenir à la parité.
Même si la situation évolue, la présence des femmes aux postes de responsabilité reste très éloignée de la parité, que ce soit dans le domaine de l’entreprise, de la politique ou de l’université.Par exemple, à l’Ecole Polytechnique les femmes représentent seulement 14,5% des effectifs. Comment expliquer la persistance de ce déséquilibre malgré les politiques volontaristes mises en place par ces diverses institutions et les évolutions majeures en matière de niveau de formation? Pour Marie Claire Villeval, directrice de recherche au CNRS, les explications traditionnelles ne suffisent plus. En quelques décennies, les modèles culturels ont évolué. Les femmes ont désormais un niveau de formation supérieur à celui des hommes dans la plupart des pays développés et la maternité ne les écarte plus durablement du marché du travail, notamment en France. Même si la discrimination n’a pas disparu des entreprises, elle tend à s’estomper.
Sport, entreprise, politique : la compétition attire moins les femmes
Alors, qu’est-ce qui empêche les femmes de briser ce fameux « plafond de verre » qui les sépare du pouvoir ? C’est ici que l’économie comportementale apporte un éclairage nouveau. Depuis plusieurs années, cette discipline s’intéresse au rapport des femmes à la compétition, condition d’accès aux fonctions suprêmes. Des expériences menées dans les laboratoires de divers pays (dans lesquelles les sujets choisissent d’être payés soit sur la base de leur performance individuelle, soit sur la base d’une comparaison avec la performance d’un autre sujet) aboutissent à la même conclusion : à performances égales, les femmes choisissent près de deux fois moins la compétition que les hommes [1] et elles sont en revanche beaucoup plus attirées par les formes de rémunérations plus coopératives [2]. Des résultats confortés par les données du terrain : elles sont ainsi moins nombreuses [3] à viser les filières éducatives plus sélectives, les compétitions sportives de haut niveau ou les postes de professeur d’université.
Forte aversion au risque et manque de confiance en soi
Comment analyser cette différence de comportement ? Puisant dans les résultats d’études récentes [4], Marie Claire Villeval dégage trois explications, qui se renforcent mutuellement. La première est une plus grande aversion des femmes au risque. Autrement dit, elles se montrent plus prudentes que les hommes et se laissent moins griser par les possibilités de gain. La seconde explication tient à la confiance en soi : les femmes ont beaucoup moins tendance que les hommes à surestimer leurs capacités. Mais l’élément le plus discriminant est incontestablement le moindre goût des femmes pour la compétition. Il expliquerait à lui seul la moitié de la différence de compétitivité avec les hommes.
Une différence de comportement présente dès 3 ans
Question de nature ou de culture ? Difficile de trancher en l’état actuel des connaissances. Plusieurs études ont été consacrées aux effets des hormones sur le rapport à la compétition. Certaines montrent une moindre compétitivité des femmes dans les phases du cycle menstruel associées à un niveau plus élevé de progestérone [5], d’autres montrent l’inverse [6]… Une chose est sûre, cette différence de comportement apparaît très tôt : une expérience menée sur de jeunes enfants devant courir 30 mètres moyennant récompense montre que dès 3 ans les filles choisissent moins la compétition [7] que les garçons, alors qu’à cet âge-là les performances des unes et des autres sont identiques. Certes, à l’âge de 3 ans l’éducation a déjà pu affecter les préférences. Pour tester l’hypothèse de l’effet culturel, on peut alors changer d’environnement, et on obtient des résultats inverses. On découvre ainsi que dans une société matriarcale comme celle des Khasi, en Inde, les femmes choisissent deux fois plus la compétition [8] que les hommes…
La discrimination positive réhabilitée
Quels enseignements tirer de ces résultats pour promouvoir la parité ? Les chercheurs en économie comportementale ont passé au crible les différentes mesures mises en œuvre dans nos sociétés : discrimination positive, actions sur l’environnement, lutte contre les stéréotypes, etc…
La plus probante en laboratoire [9] est certainement la politique des quotas, qui garantit un minimum de femmes parmi les vainqueurs de la compétition. Souvent critiquée car elle tendrait à écarter les hommes les plus compétents et faire baisser le niveau moyen, elle encourage en réalité les femmes les plus compétentes à entrer dans la compétition sans pour autant éliminer les hommes les plus performants. Dans un tel contexte, l’efficience est accrue sans créer d’injustice.
Autre piste à explorer : la remise en question de la mixité au collège pour éviter les conflits d’identité. En Grande-Bretagne, une étude [10] a montré que les adolescentes issues d’école unisexes choisissaient plus la compétition que celles venant d’écoles mixtes et autant que les garçons.
On pourrait enfin encourager davantage la coopération dans les organisations. On s’est rendu compte en effet que si l’on remplaçait la compétition individuelle par la compétition par équipes, les femmes osaient prendre leur place [11], alors que les hommes se sentaient moins à l’aise, supposant a priori que leurs coéquipiers étaient moins performants qu’eux…
> Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes – Chiffres-clés – Edition 2014 (ministère des Droit des femmes)