Covid-19 et cerveau : oui, le virus peut infecter les neurones


Une équipe de recherche franco-américaine vient de montrer que le SARS-CoV-2 pouvait pénétrer dans les neurones et s’y répliquer.

Le SARS-CoV-2, nom du coronavirus responsable de la Covid-19, pourrait-il envahir le système nerveux ? C’est la question que nous nous posions en avril 2020. A l’époque, malgré un faisceau d’indices convergents, il n’était pas possible de conclure. Depuis, plusieurs études sont venues apporter des éléments de réponse. Ainsi, on a retrouvé des traces d’ARN du virus dans le cerveau de patients décédés de la Covid-19 ainsi que des protéines virales dans des cellules de leur bulbe olfactif. Récemment, des équipes de l’Université de Yale, aux États-Unis, de l’Institut du Cerveau et de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, en France, ont publié une découverte importante : elles ont montré que le SARS-CoV-2 pouvait infecter diverses cellules du système nerveux central, dont les neurones, chez des souris exprimant le récepteur humain ACE2. Les chercheurs ont également identifié les conséquences de cette infection sur les tissus cérébraux atteints. 

Pour modéliser les effets du virus sur le cerveau, les chercheurs ont utilisé trois approches complémentaires : des cultures de cellules cérébrales en 3D (encore appelées organoïdes), un modèle murin (souris transgéniques exprimant la forme humaine du récepteur ACE2 – qui sert de porte d’entrée au SARS-Cov2) et l’analyse de tissus cérébraux de trois patients décédés de forme grave de Covid-19. 

Le SARS-CoV-2 utilise la machinerie cellulaire du neurone infecté pour se multiplier, et ce au détriment des neurones voisins.

Dans un premier temps, l’infection des organoïdes et du cerveau des souris a permis de montrer que le SARS-CoV-2 était bien capable de pénétrer rapidement dans les neurones et de s’y répliquer. Un résultat confirmé par l’analyse des tissus cérébraux des personnes décédées. Les chercheurs ont ensuite étudié les effets du virus sur les neurones et les tissus cérébraux. 

Avec les organoïdes, ils ont constaté que le SARS-CoV-2 utilisait la machinerie cellulaire du neurone infecté pour se multiplier, et ce au détriment des neurones voisins. En effet, le virus semble détourner à son profit l’oxygène et les nutriments des cellules proches, ce qui entraîne une hypoxie (manque d’oxygène) locale et la mort rapide des cellules cérébrales de la zone touchée. Avec les modèles murins, les chercheurs ont aussi observé un remodelage important du réseau vasculaire cérébral dans les régions infectées du cerveau. Or l’analyse des tissus cérébraux des patients décédés révèle également la présence de multiples lésions de type ischémique, c’est-à-dire dues à l’arrêt de la circulation de sang, et de micro-infarctus dans la matière blanche sous-corticale. Autant d’indices qui accréditent l’hypothèse d’un lien entre la pénétration du virus dans les neurones et les accidents ischémiques observés tant chez les modèles murins que chez les patients décédés.

Comment le SARS-CoV-2 pénètre-t-il dans les neurones ? A l’heure actuelle, la voie du nerf olfactif est la piste privilégiée, mais elle reste à prouver.

Fait notable : chez les patients décédés, les chercheurs n’ont pas détecté de lymphocytes ni de globules blancs dans les tissus infectés. Cela signifie que le SARS-CoV-2 n’a pas déclenché de réponse immunitaire locale, comme c’est le cas avec d’autres virus neurotropes (Zika, rage, herpès). En revanche, ils ont trouvé des anticorps dans le liquide céphalo-rachidien (dans lequel baigne le cerveau). Dans ces conditions, que devient le virus ? Est-il éliminé, ou pourrait-il être hébergé de manière latente ?

Autre question en suspens : comment le SARS-CoV-2 pénètre-t-il dans les neurones ? A l’heure actuelle, la voie du nerf olfactif est la piste privilégiée, mais elle reste à prouver. On sait que, dans le reste de l’organisme, le virus s’attache à la protéine ACE2, présente à la surface des cellules, notamment pulmonaires. Or les neurones et certaines cellules gliales possèdent aussi ce récepteur, et cette étude montre que, lorsque celui-ci est inactivé, le SARS-Cov2 n’arrive presque plus à pénétrer le système nerveux. On peut donc supposer qu’il est aussi la porte d’entrée du virus chez l’homme, mais cela reste à vérifier.

Les symptômes neurologiques observés chez certains patients sont-ils forcément le signe d’un envahissement du système nerveux ? Dans la plupart des cas, on a de bonnes raisons de penser que non.

Confusion, troubles du comportement, pertes de connaissance, voire accidents vasculaires cérébraux (AVC) : dès le premier confinement, les médecins ont rapporté des cas de patients atteints de Covid-19 présentant des atteintes neurologiques sévères. Elles concerneraient environ 8% des malades hospitalisés, selon le registre national de référence mis en place au printemps 2020. Ces symptômes sont-ils forcément le signe d’un envahissement du système nerveux ? Dans la plupart des cas, on a de bonnes raisons de penser que non. En effet, une partie de ces symptômes sont peu spécifiques, ils peuvent être retrouvés dans d’autres infections virales qui n’envahissent pas le système nerveux. Entre autres hypothèses, ils peuvent être des conséquences d’autres perturbations générées par le SARS-CoV-2, comme des atteintes de la paroi des vaisseaux sanguins et l’hypercoagulation, qui peuvent générer des micro et macro-thromboses, à l’origine d’AVC. 

Reste donc à éclaircir quelle proportion de patients ont réellement un envahissement direct du système nerveux, et sa responsabilité éventuelle dans la gravité de l’infection. En effet, tous les patients décédés d’une forme grave de Covid ne présentent pas forcément de trace de passage du virus dans leur système nerveux. Celui-ci ne semble donc pas être la voie privilégiée par le virus. Il reste à comprendre d’où vient cette hétérogénéité parmi les patients. 

Pour les patients avec une forme bénigne de la Covid-19, c’est l’inconnu, car il n’y a bien sûr dans ce cas pas de possibilité de prélèvement cérébral post-mortem.

À terme, ces nouvelles données pourraient être utiles aussi pour mieux comprendre les symptômes chroniques décrits chez certains patients (Covid long) et étudier d’éventuelles conséquences neurologiques à long terme du virus. On est donc loin d’avoir percé tous les effets du SARS-CoV-2 sur le système nerveux humain.

Chercheur(s)

Perrine Seguin

Médecin en médecine physique et de réadaptation au CHU de Saint-Etienne et doctorante au sein de l'équipe Dycog de Centre de recherche en neuroscience de Lyon (CRNL).

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Perrine Seguin

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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