La respiration serait-elle le métronome du cerveau ?


L’anxiété, la douleur et même les performances cognitives seraient influencées par la respiration, d’après de récents travaux scientifiques. Comment expliquer ce lien entre souffle et cerveau ? Une équipe lyonnaise a montré que le rythme de la respiration pouvait, sous certaines conditions, se propager à l’ensemble de l’activité cérébrale.

 « Allez, respire un bon coup », « souffle un peu » : sans doute avez-vous déjà reçu ce type de conseils dans des moments de stress. Cette sagesse populaire se retrouve dans une pratique comme la méditation, où la respiration se doit d’être lente et profonde afin de favoriser la concentration. Plusieurs études scientifiques confirment ce que nous savons intuitivement : la respiration influence le comportement. Ainsi, la pratique d’exercices de respiration profonde calme le stress (Perciavalle et al., 2017). La perception de la douleur est moindre pendant l’expiration (Iwabe et al., 2014). Dans une autre étude comprenant une tâche cognitive visuelle, il apparaît que les performances des sujets sont meilleures lors de l’inspiration (Perl et al., 2019) ; en outre, les participants inspirent spontanément en début de tâche. Toutes ces expériences conduisent à une question plus fondamentale : par quels mécanismes la respiration exerce-t-elle une influence sur le cerveau ?

Cette problématique est au cœur des travaux de l’équipe Codage et mémoire olfactive (CMO) du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). De précédentes études ont montré, chez le rat, que les rythmes cérébraux des aires liées à l’olfaction – c’est-à-dire le rythme des oscillations de l’activité électrique des neurones – sont synchronisés avec le rythme de la respiration. Problème, « les expériences pour étudier chez les rongeurs l’impact de la respiration sur les rythmes cérébraux étaient jusqu’à présent assez éloignées d’un contexte réel, explique Baptiste Girin, qui a réalisé sa thèse de doctorat sur le sujet au CRNL : soit le rat était anesthésié, et son rythme respiratoire ne changeait pas ; soit les modifications de respiration n’étaient pas obtenues de manière naturelle. » Pour remédier à cela et afin de voir l’influence de la respiration dans différents états, les chercheurs ont tiré parti du cycle naturel éveil-sommeil. En phase d’éveil dit « exploratoire », l’animal aura une respiration ample et rapide, alors qu’en phase d’éveil calme, celle-ci sera ample et lente. Pendant le sommeil, la respiration est peu ample et lente, mais peut s’accélérer pendant le sommeil paradoxal. « Le cycle veille-sommeil a été un outil pour modifier la respiration sans altérer directement le comportement du rat », résume Baptiste Girin.

Les chercheurs ont cherché à vérifier si le rythme de la respiration pouvait entraîner d’autres aires que celles liées à l’olfaction.

Les chercheurs se sont aussi intéressés à la dimension spatiale du phénomène. Les précédentes études s’étant focalisées sur les aires en lien direct avec l’olfaction, comme le bulbe olfactif, ils ont cherché à vérifier si le rythme de la respiration pouvait entraîner d’autres aires. Pour cela, ils ont mesuré, toujours chez des rongeurs, l’activité de sept zones distinctes, grâce à l’implantation d’électrodes cérébrales. Ils ont ciblé des aires présentant un lien moins direct avec la respiration, comme l’hippocampe, sorte de carrefour où convergent les informations reçues par le cerveau, et des aires liées à d’autres domaines sensoriels, comme le cortex visuel. Dans le même temps, ils ont mesuré les caractéristiques de la respiration – débit d’air, rythme – des rats tout au long de la journée.

En faisant le lien entre le rythme de la respiration et l’activité de ces différentes aires, l’équipe de chercheurs a constaté que le rythme de la respiration n’entraînait pas seulement le bulbe olfactif, mais potentiellement toutes les aires observées en même temps – y compris le cortex visuel. Mais, condition importante, seulement en état d’éveil calme, lorsque la respiration est lente et ample.

Comment expliquer que cet état soit le seul propice à une synchronisation du cerveau qui semble complète ? « Il semblerait que l’information amenée par la respiration doive être suffisamment forte pour entraîner toutes les aires cérébrales, répond Baptiste Girin. C’est-à-dire avec un fort débit d’air et un rythme lent qui laisse le temps à la bonne transmission de l’information. »

Le rythme respiratoire pourrait être un des outils de synchronisation, particulièrement dans l’état d’éveil calme. 

Le but de cette synchronisation, selon une hypothèse consensuelle parmi les scientifiques, serait de faciliter la communication entre différentes aires du cerveau. Faut-il donc déduire des résultats de l’expérience que la respiration serait le chef d’orchestre des aires de notre cerveau, lesquelles se caleraient sur un même rythme pour communiquer selon nos besoins ? Pas si simple : « On peut supposer que la respiration soit l’un des chefs d’orchestre du cerveau, tempère Baptiste Girin. Le rythme respiratoire pourrait être un des outils de synchronisation, particulièrement dans l’état d’éveil calme. » Si les différentes aires du cerveau étaient des musiciens, la respiration serait donc plus proche du métronome que du chef d’orchestre. Cependant, l’activité cérébrale ne se résume pas à un seul rythme, mais plutôt à une superposition d’oscillations de différentes fréquences. Il serait donc simpliste d’imaginer que toute l’activité du cerveau, même en état d’éveil calme, se calque sur la respiration.

Les conclusions de cette étude chez le rat font espérer des résultats similaires chez l’homme, avec de surcroît la possibilité de demander aux participants de faire varier eux-mêmes le rythme de leur respiration. Si la synchronisation des rythmes était confirmée, cela pourrait-il expliquer l’effet des exercices respiratoires de relaxation sur notre bien-être ? « Cela reste à démontrer, répond prudemment Baptiste Girin. On pourrait se demander premièrement si l’équivalent de l’état d’éveil calme chez le rat, où de larges réseaux cérébraux sont synchronisés sur la respiration, existe chez l’humain, et deuxièmement si cet état peut être celui atteint lors des états de méditation ou de pratique du yoga. 

Respirer par le nez ou par la bouche ? (©Shutterstock/fizkes)Respirer par le nez ou par la bouche ?

Les principes de la méditation recommandent de respirer par le nez, mais qu’en dit la science ? Premièrement, les poils présents dans les narines filtrent l’air entrant, ce qui est à l’avantage de la respiration nasale. Surtout, c’est probablement grâce aux récepteurs olfactifs de la cavité nasale (sensibles aux variations de pressions) que le rythme de la respiration est transmis au cerveau. Ainsi, une étude (Perl et al., 2019) a montré que le phénomène de synchronisation disparaissait lorsque des participants respiraient par la bouche… Les moines bouddhistes auraient-ils raison ? Cela reste à à prouver : à ce jour, aucune étude n’a tenté de mesurer les effets de la méditation sans respiration nasale…

Pour aller plus loin

  • Perciavalle, V., Blandini, M., Fecarotta, P. et al. The role of deep breathing on stress. Neurol Sci 38, 451–458 (2017)
  • Iwabe, T., Ozaki, I. & Hashizume, A. The respiratory cycle modulates brain potentials, sympathetic activity, and subjective pain sensation induced by noxious stimulation. Neurosci. Res. 84, 47–59 (2014).
  • Perl, O. et al. Human non-olfactory cognition phase-locked with inhalation. Nat. Hum. Behav. 3, 501–512 (2019).

Chercheur(s)

Baptiste Girin

Docteur en neurosciences, a réalisé sa thèse ("Influence de la respiration sur les rythmes du cerveau chez le rat : une étude électrophysiologique au cours des cycles veille-sommeil") dans l'équipe Codage et mémoire olfactive (CMO) au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL).

Baptiste Girin

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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