Les animaux aussi apprennent de leurs erreurs


Une récente recension d’études nous en dit plus sur les mécanismes cérébraux impliqués dans l’apprentissage par essai-erreur et la prise de décision chez les primates. Où l’on constate qu’apprendre de ses erreurs n’est pas le propre de l’homme.

« Errare humanum est… » L’erreur est humaine, dit une maxime bien connue, laissant entendre que tout le monde peut se tromper car nous ne sommes pas des êtres parfaits. Dans notre culture, l’erreur est souvent synonyme d’échec. C’est fort dommage, car c’est par elle que nous apprenons. L’erreur nous permet en effet d’éliminer une hypothèse, de corriger un comportement, de réévaluer une croyance… Si l’erreur est humaine, apprendre de ses erreurs n’est pas pour autant le propre de l’homme, comme en témoigne cette expérience imaginée par des chercheurs lyonnais.

Jess et Ankor sont deux singes macaques prêts pour de nouvelles aventures. Ils ont été placés devant un écran sur lequel s’affichent trois boutons. Leur objectif ? Trouver la séquence correcte qui leur permettra d’obtenir la récompense : une gorgée d’un savoureux jus de pomme ! Trois boutons, soit six possibilités. A chaque essai, un signal sonore indique s’il s’agit ou non du bon bouton. Jess sélectionne un bouton au hasard. Un bip « correct » retentit ; il tente alors de trouver le deuxième bouton de la série (deux possibilités). Pas de chance, un bip « incorrect » met un terme à l’essai en cours. Jess recommence. Grâce à sa première expérience, il trouve la bonne combinaison dès la seconde tentative. Jess et Ankor répètent ainsi l’exercice un grand nombre de fois (à chaque exercice, la séquence est modifiée de manière aléatoire). Résultat : dans 95% des cas, nos deux macaques n’ont pas commis deux fois la même erreur. Autrement dit, ils ont agi avec méthode, tirant un enseignement de l’erreur précédente. Cette expérience est citée dans une recension d’études, parue récemment dans la revue Nature Neurosciences, visant à étudier les mécanismes cérébraux impliqués dans l’apprentissage par essai-erreur et la prise de décision chez les primates.

Pour mieux cerner le processus de prise de décision des primates face à une situation nouvelle, les scientifiques ont identifié quatre phases principales.

Comment les mammifères, et particulièrement les primates, prennent-ils une décision face à une situation nouvelle ? Cette question passionne les neuroscientifiques depuis longtemps. Pour mieux cerner ce processus, ils ont identifié quatre phases principales. La première consiste à identifier l’inconnu (Qu’est-ce qui fait que je ne peux pas réagir au contexte de manière autonome ?). Puis vient le stade de la recherche et de la collecte d’informations utiles (Que me manque-t-il pour réagir au contexte ?). Une fois que l’on détient assez d’éléments de réponse, et avant de passer à l’action, il devient possible d’établir un plan (Quels choix s’offrent à moi ? Quelle est ma décision ? Quelle série d’actions vais-je exécuter en vue de quel objectif ?). Enfin, place à l’apprentissage par essai-erreur, comme Jess et Ankor dans l’expérience précédente. Ces phases sont déterminantes puisqu’elles déterminent la capacité de l’individu à s’adapter et réagir au contexte de manière interactive. 

Dans les paramètres à prendre en compte dans la prise de décision, il ne faut pas oublier le rôle de l’environnement. Imaginons nos deux macaques dans deux types d’écosystèmes : Jess dans la forêt et Ankor dans la savane. Chacun apprend à se représenter son environnement sous la forme d’une carte mentale qu’il actualisera tout au long de sa vie. Sur cette carte figurent non seulement les éléments du paysage et leur localisation dans l’espace, mais aussi des informations liées au contexte : interactions du groupe social, prédateur ou proie en approche… Dans cette configuration, Ankor, qui vit dans la savane, aura plus de facilité à explorer et collecter des informations sur son environnement que Jess, qui vit dans la forêt. On peut donc dire que Ankor a un avantage sélectif sur Jess en cas d’attaque ou tout simplement pour repérer sa nourriture : il sera averti en toute circonstance et pourra donc faire face à la situation plus efficacement. 

Pour résoudre des problèmes complexes, nos macaques mettent en place des stratégies d’apprentissage optimisé.

Voilà pour le processus, mais qu’en est-il dans la vraie vie ? Prendre rapidement une décision est parfois une question de vie et de mort dans le monde sauvage. S’il ne s’accorde pas le temps d’évaluer la situation, de collecter des informations et d’élaborer un plan, Jess risque de prendre une mauvaise décision et de mourir. Mais s’il prend trop de temps pour cette phase préalable, il trouvera peut-être la bonne solution… mais trop tard. Face à ce dilemme, il peut heureusement compter sur son cerveau. Tel un puissant ordinateur, celui-ci estime en permanence le rapport bénéfice/coût de chaque option avant de définir la stratégie optimale à mettre en œuvre. 

Dans le cas où les possibilités sont infinies, c’est-à-dire pour des problèmes complexes à résoudre, nos macaques mettent en place des stratégies d’apprentissage optimisé. Parmi elles, le « structure learning » consiste à regrouper et se représenter une vue d’ensemble de plusieurs éléments d’information. Par exemple, en associant « noix » et « pierre » avec la solution « utiliser la pierre pour décortiquer la noix ». Ce procédé leur permet de réutiliser la structure lorsqu’ils rencontrent une situation similaire et de s’appuyer sur leur expérience pour trouver une solution adaptée. S’il dispose ainsi d’un coquillage et d’une pierre, Ankor pourra, par analogie, décider d’utiliser la pierre comme levier pour ouvrir le coquillage.

Les chercheurs se sont intéressés à l’activité d’une région du cerveau bien particulière appelée cortex cingulaire antérieur dorsal

Que se passe-t-il dans le cerveau pendant le processus d’apprentissage et de prise de décision ? Pour répondre à cette question, les chercheurs se sont intéressés à l’activité d’une région du cerveau bien particulière appelée cortex cingulaire antérieur dorsal (CCAd). Pour cela, ils ont équipé les singes d’un dispositif à multiples électrodes permettant d’enregistrer l’activité électrique à l’échelle du neurone. Ils ont ensuite comparé l’activité du CCAd pendant les périodes d’apprentissage par essai-erreur avec une condition témoin où les singes se contentaient de répéter des séquences déjà apprises. Qu’ont-ils constaté ? Comme ils s’y attendaient, la zone du CCAd était significativement plus active lors de la phase de tâtonnement et d’apprentissage que lorsque le singe réitérait des séquences de routine. Mais une chose les a surpris : l’ordre d’activation des neurones reflétait l’ordre des boutons sélectionnés, un peu comme si le CCAd anticipait la réponse du singe au problème. D’après une étude plus récente, le CCAd jouerait aussi un rôle dans la prise de décision qui pousse à vérifier que la récompense est proche. Dans notre cas, cela se produit à chaque fois que Jess et Ankor vérifient le nombre de cibles à trouver avant de gagner le jus. Il semble donc que le CCAd soit une aire essentielle au bon déroulement d’une stratégie.

La conclusion de cette étude : chez le singe comme chez l’homme, l’apprentissage par essai-erreur ne peut être assimilé à une série de tentatives plus ou moins chanceuses. C’est en réalité un travail de pensée logique. L’erreur devient intéressante à partir du moment où elle fournit une information qui permet d’éviter de la reproduire, et donc de perdre temps et énergie. Voilà pourquoi celle-ci mérite d’être traitée et mémorisée par le cerveau au moins autant qu’un succès.

Références

Chercheur(s)

Emmanuel Procyk

Neurophysiologiste, dirige l’équipe Neurobiologie des fonctions exécutives à l'Institut cellule souche et cerveau (SBRI), à Lyon. Il s’intéresse aux mécanismes neuronaux qui produisent les fonctions cognitives supérieures.

Voir sa page

Emmanuel Procyk

Laboratoire

Institut de recherche cellule souche et cerveau (SBRI)

Le SBRI cherche à définir les caractéristiques du cortex humain, de son développement à l’organisation des réseaux neuronaux qui le composent et rendent possible les fonctions cognitives supérieures. Pour cela, il fait appel à de nombreuses disciplines : biologie cellulaire et moléculaire, neuroanatomie, neurophysiologie, psychophysique, comportement, psychologie expérimentale, neurocomputation, modélisation et robotique. Le SBRI est dirigé par Colette Dehay et Henry Kennedy.

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