Maladie d’Alzheimer : les biomarqueurs sanguins en passe de révolutionner le diagnostic


Plusieurs études ont montré que les taux de protéines anormales dans le sang permettent de repérer les lésions cérébrales induites par la maladie d’Alzheimer. A terme, on peut espérer réaliser un diagnostic fiable au moyen d’une simple prise de sang. Le Dr Antoine Garnier-Crussard, gériatre et chercheur, fait le point sur ces avancées prometteuses.

On le sait assez peu, mais le risque d’erreur de diagnostic de la maladie d’Alzheimer sur des critères cliniques peut atteindre 30 ou 35% [1]. Or il est crucial de diagnostiquer précocement la pathologie de manière à intégrer au plus tôt les patients dans un parcours de soins leur permettant a minima de développer des moyens de compensation pour qu’ils aient moins de symptômes et, au mieux, de ralentir le processus neurodégénératif. L’espoir d’avoir une réponse claire et irréfutable – c’est bien une maladie d’Alzheimer ou ce n’en est pas une – au moyen d’une simple prise de sang pourrait révolutionner la manière de concevoir le diagnostic. Les nouvelles techniques analytiques de dosage des biomarqueurs sanguins de la maladie laissent espérer une détection précoce de la maladie, jusqu’à quinze ou vingt ans avant l’apparition des premiers symptômes [2].

Découverte en 1906 par Aloïs Alzheimer, la maladie qui porte son nom, est une affection cérébrale entraînant une disparition progressive des liaisons entre les cellules nerveuses puis des neurones eux-mêmes dans les régions du cerveau gérant certaines capacités, notamment la mémoire, mais aussi le langage, le raisonnement ou encore l’orientation. Ainsi conduit-elle inexorablement à une perte progressive d’autonomie. Du point de vue physiopathologique, la maladie s’accompagne de l’apparition de deux types de lésions due à l’accumulation de protéines anormales. D’une part, les protéines bêta-amyloïdes qui peuvent former en s’agrégeant des dépôts toxiques dans le cerveau appelés plaques amyloïdes et, d’autre part, les protéines tau qui sous leur forme anormale, hyperphosphorylée (anormalement affublées de groupements phosphate), s’enchevêtrent dans les neurones, provoquant leur mort.

Une faible part des protéines bêta-amyloïdes et tau s’échappe quotidiennement par drainage dans le liquide céphalo-rachidien et le sang

Cela étant, tout cerveau fabrique naturellement ces deux protéines sans qu’elles ne s’accumulent trop ou s’hyperphosphorylent. Une faible part de ces protéines s’échappe quotidiennement par drainage dans les liquides organiques, en particulier, le liquide céphalo-rachidien (LCR) et le sang. Chez une personne qui n’est pas atteinte par la maladie, « ces protéines sont bel et bien présentes dans les liquides organiques mais suivant des taux ou valeurs dites normales », indique le Dr Antoine Garnier-Crussard, médecin chercheur, gériatre au Centre mémoire de ressources et de recherche (CMRR) du Centre hospitalier universitaire de Lyon (CHU-Lyon).

Que se passe-t-il dans le sang quand la maladie advient ?

Plongée au cœur d’Alzheimer, la BD de l'Inserm ©Inserm

Les protéines tau globale et phosphorylées augmentent dans le liquide céphalorachidien et le sang, témoignant ainsi d’une surmortalité neuronale. A l’inverse, le taux global de protéines bêta-amyloïdes est anormalement bas indiquant schématiquement une rétention de ces dernières dans le cerveau sous forme de plaques amyloïdes.

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Comment se déroule le diagnostic aujourd’hui ? On ne commence pas par la recherche de ces protéines anormales dans les liquides organiques mais toujours par la vérification de la plainte de troubles de mémoire du patient au moyen de tests cognitifs. « Dans la forme typique de la maladie d’Alzheimer, c’est surtout la mémoire épisodique, celle des souvenirs autobiographiques, qui est d’abord touchée », précise le gériatre. En commençant par les souvenirs récents, qui ne parviennent plus à être stockés dans la mémoire. En cas de confirmation médicale de l’existence d’un réel déficit de mémoire non lié à un manque d’attention, au stress ou encore à la dépression mais potentiellement attribuable à une pathologie neurodégénérative telle que la maladie d’Alzheimer, les médecins proposent un examen clinique complet dans le but d’écarter d’autres causes connues des troubles de la mémorisation.

Cet examen comprend une prise de sang classique et une imagerie du système nerveux central par résonance magnétique (IRM) ou, à défaut, un scanner cérébral. L’IRM sert aussi à repérer une éventuelle atrophie du cerveau par perte de neurones et donc évocatrice d’une maladie neurodégénérative telle que la maladie d’Alzheimer. « Dans les cas typiques, cette atrophie est localisée dans les régions temporales internes autour de la région de l’hippocampe, un de ces “organes” qui permet de retenir les souvenirs », explique le Dr Antoine Garnier-Crussard.

Obtenir confirmation du diagnostic par simple prise de sang plutôt que par ponction lombaire : « la différence serait juste énorme »

La recherche du diagnostic se corse en cas de formes atypiques d’Alzheimer, quand la maladie ne débute pas par une atteinte de la mémoire mais par d’autres troubles cognitifs tels que des troubles du langage ou des troubles visuels et pour lesquels la première région du cerveau touchée n’est pas située autour de l’hippocampe. Pour confirmer le diagnostic, le dosage des biomarqueurs spécifiques de la maladie – les protéines bêta-amyloïdes et tau – dans le LCR devient indispensable pour limiter drastiquement le risque d’erreur. Ce dernier est prélevé par ponction lombaire. Un geste habituellement de réalisation facile et bien toléré mais qui reste cependant invasif. « Dans certains cas, cet acte peut même être contre-indiqué, notamment pour les patients sous anticoagulants », souligne le gériatre.

Si l’on pouvait un jour obtenir cette confirmation du diagnostic par simple prise de sang, « la différence serait juste énorme ». Une vraie gageure en l’occurrence pour les chercheurs, car les concentrations en protéines bêta-amyloïdes et tau sont beaucoup plus faibles dans le sang que dans le LCR. Cependant le spécialiste se montre confiant : « Même si le dosage de la protéine bêta-amyloïde dans le sang mérite encore d’être optimisé, l’efficacité globale de ces techniques ultra-fines [2] sont confirmées par différentes équipes de recherche à plusieurs endroits dans le monde. »

Pour autant, le dosage des biomarqueurs sanguins de la pathologie n’est pas pour demain. « La pratique clinique devrait pouvoir en bénéficier d’ici moins de dix ans », espère le Dr Antoine Garnier-Crussard, rappelant que le parcours de validation clinique et d’autorisations est toujours long. Et, qu’il reste à affiner ces nouvelles méthodes analytiques ultrasensibles, conférant à la détection et au dosage des biomarqueurs sanguins de la maladie d’Alzheimer une précision inédite.

D’autres biomarqueurs sanguins prometteurs

Bien que moins spécifiques de la maladie d’Alzheimer, d’autres marqueurs sanguins sont également intéressants pour asseoir le diagnostic. De fait, parmi les voies physiopathologiques impliquées dans la maladie, il y a celle de l’inflammation. Or il existe des marqueurs d’inflammation repérables dans le sang, relatifs à l’activation gliale, autrement dit des cellules immunitaires du système nerveux central. A cela s’ajoutent les biomarqueurs de la mort neuronale qui, eux aussi, sont « très prometteurs », selon le Dr Antoine Garnier-Crussard.

Une fois que la technique sera au point, faudra-t-il généraliser le dosage de ces biomarqueurs dans le sang ? « D’un point de vue éthique, il n’y a actuellement aucune raison de doser les biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer dans la population générale en l’absence de symptôme », estime le gériatre. D’une part, parce que la présence de protéines anormales dans les liquides de l’organisme n’est pas associée dans 100% des cas à l’apparition de symptômes. On pourrait donc inquiéter pour rien ces personnes qui peuvent accumuler des plaques amyloïdes dans leur cerveau sans pour autant développer la maladie. Et surtout, à quoi cela sert-il de doser ces biomarqueurs en l’absence d’un traitement validé pour arrêter le processus physiopathologique à l’œuvre dans le cerveau en amont des symptômes ? Et ce, même si cette technique permet de détecter la maladie bien avant l’apparition des premiers symptômes.

Dans l’attente d’un traitement curatif, « préciser à près de 100 % le diagnostic ne modifie pas la prise en soins dans beaucoup de cas », rappelle le médecin chercheur. Avant de se montrer rassurant : « Nous pouvons cependant, par une prise en charge holistique et des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses, aider les patients pour qu’ils aillent du mieux possible le plus longtemps possible, en limitant le déclin cognitif et fonctionnel. » De fait, les études [3] prouvent qu’une meilleure hygiène de vie – activité physique, alimentation saine et équilibrée – ainsi que la stimulation intellectuelle, le maintien d’une activité sociale et de liens affectifs ralentissent le déclin cognitif. S’ajoutent à cela des traitements médicamenteux symptomatiques qui augmentent le taux d’acétylcholine, l’un des neurotransmetteurs largement diminué dans la maladie d’Alzheimer susceptibles d’apporter une amélioration sur le plan cognitif. Médicaments, précise le gériatre, qui ne sont plus remboursés en France depuis 2018.

Références

[1] Sur le risque d’erreur de diagnostic de la maladie d’Alzheimer

[1] Sur le dosage des biomarqueurs sanguins

Chercheur(s)

Antoine Garnier-Crussard

Gériatre, chef de clinique-assistant au Centre mémoire de ressources et de recherche (CMRR) du Centre hospitalier universitaire de Lyon (CHU-Lyon), le Dr Antoine Garnier-Crussard est aussi chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dans l’équipe Neurosciences de l’expérience subjective et entraînement mental (Eduwell).

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Antoine Garnier-Crussard

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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