Pourquoi vous ne pouvez pas résister à ces bonbons qui vous font de l’œil


On sait que la proximité avec de la nourriture très calorique augmente sa consommation impulsive. Est-ce dû au fait que tendre la main requiert peu d’effort ou bien à la distance à l’aliment elle-même ? Grâce à la réalité virtuelle, des chercheurs ont pu distinguer l’influence de ces deux facteurs, étroitement entremêlés dans la vraie vie. Des résultats utiles dans le cadre des politiques de lutte contre l’obésité. 

Au supermarché, pourquoi croyez-vous qu’on trouve des friandises à la caisse ? Ce placement fait partie d’une stratégie marketing éprouvée : la proximité avec le produit, c’est prouvé, encourage les achats impulsifs. De fait, les clients trouvent en caisse des produits qu’ils n’avaient pas prévu d’acheter et qui leur font de l’œil pendant qu’ils patientent. Cet effet de proximité n’est pas l’apanage du marketing, il est aussi étudié en neurosciences. Pour les scientifiques, l’enjeu est de trouver des pistes pour traiter les causes de l’obésité. Ils tentent ainsi de comprendre pourquoi la proximité avec un aliment fortement calorique rend sa consommation plus impulsive : est-ce simplement parce que l’effort à faire est moindre, ou est-ce que la proximité entraîne des comportements irrationnels ?

Saisir cette nuance est important pour décrypter l’effet de proximité : « L’explication intuitive serait de dire qu’une récompense proche requiert peu d’énergie, et voit donc sa valeur augmenter, fait remarquer David O’Connor, chercheur à l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod (ISCMJ). Mais si l’effort était le même quelle que soit la distance à la récompense, verrait-on toujours cet effet de proximité ? » Difficile cependant de distinguer effort et distance, qui sont deux facteurs entremêlés. Pour ce faire, les chercheurs de l’ISCMJ ont utilisé la réalité virtuelle (VR). Après avoir équipé les participants de casques VR, ils les ont plongés dans un environnement 3D comprenant une table sur laquelle était posée un pot de friandises, lequel pouvait être virtuellement éloigné ou rapproché du participant. Dans le même temps, ils ont placé un pot avec de véritables sucreries à portée de main du participant qui, lui, ne bougeait pas : ainsi, les chercheurs ont pu jouer sur le critère proximité sans faire varier l’effort. Ils ont alors fait l’hypothèse que lorsque le pot est proche du participant son comportement sera plus impulsif que lorsqu’il en est éloigné.

Pour quantifier le choix impulsif, les chercheurs ont soumis les participants au fameux test du marshmallow.

Pour mesurer l’impulsivité des comportements des participants, les chercheurs ont différencié l’action impulsive du choix impulsif. La différence entre les deux ? « Une action impulsive, c’est quand on n’arrive pas à inhiber un comportement : griller un feu rouge, par exemple, explique David O’Connor. Un choix impulsif, c’est quand on préfère une récompense immédiate à une récompense plus intéressante mais différée. » Une célèbre expérience, appelée test du marshmallow, est un bon exemple de ce type de décision : un enfant se voit proposer une friandise qu’il peut manger immédiatement ou deux s’il se retient suffisamment longtemps.

L’étude a donc fait appel à deux expériences : une concernant l’action impulsive, l’autre le choix impulsif. Dans les deux cas, le pot virtuel pouvait être aléatoirement placé près ou loin des participants. Dans la première expérience, les participants voyaient s’afficher sur le pot une forme géométrique et devaient appuyer rapidement sur un bouton en fonction de la forme – par exemple, appuyer si c’est un triangle, se retenir si c’est un carré. L’action impulsive correspond alors au cas où le participant fait une erreur. À chaque essai, le participant gagnait des friandises s’il appuyait en voyant un triangle et en gagnait encore plus s’il se retenait d’appuyer quand le carré apparaissait. « Il y a donc une motivation plus grande à se retenir : ne pas le faire génère moins de récompense », souligne David O’Connor. La deuxième expérience était similaire au test du marshmallow : les participants avaient le choix entre prendre directement dans le pot un petit nombre de friandises ou attendre pour en recevoir davantage quelques jours plus tard.

Les sciences cognitives permettent de prendre conscience de ce genre de pulsions en vue de mieux les gérer.

Les résultats de ces expériences montrent que l’intuition des auteurs était correcte : la proximité du pot augmente effectivement, à effort égal, le nombre d’actions impulsives. Même si les participants ont intérêt à éviter les actions impulsives, ils en commettent en moyenne davantage lorsque le pot virtuel est proche d’eux. David O’Connor propose une explication : « Pour l’homme, le réflexe d’associer la proximité d’un aliment savoureux et sa consommation est peut-être tellement fort que la simple proximité pourrait constituer un signal indépendant de facteurs “rationnels” comme le temps ou l’énergie. »

Rôle de la proximité physique dans la prise impulsive d'aliments : dispositif expérimental (D. O'Connor, JC. Dreher, ISCMJ)
Lorsqu’on présente des stimuli de nourriture en réalité virtuelle 3D, les participants ont plus de difficulté à inhiber leurs réponses quand des symboles (ici carré rose sur le pot de M&Ms) appétitifs de ne pas répondre (No-go) semblent proches comparé à la situation où ils semblent éloignés (©Dreher-ISCMJ).

En revanche, cette « loi de proximité » ne se vérifie pas avec le choix impulsif. Explication : « La deuxième expérience laisse la place à la délibération, répond David O’Connor. Cela permet peut-être aux participants de résister à la tentation ! »

Si la méthode de merchandising consistant à placer des friandises aux caisses est aussi efficace, c’est donc parce qu’elle s’appuie sur un comportement impulsif. Celui-ci a peut-être été acquis par une adaptation évolutive, en des temps où la nourriture était rare. Aujourd’hui, dans un contexte d’abondance et de surconsommation, ce comportement peut devenir néfaste pour la santé. Les sciences cognitives permettent de prendre conscience de ce genre de pulsions en vue de mieux les gérer et peut-être même de guider les politiques de santé publique. Au Royaume-Uni, par exemple, des campagnes pour lutter contre l’obésité ont conduit le gouvernement à prendre des mesures de restrictions sur les snacks vendus en caisse. « Les pays qui ont des problèmes avec l’obésité devraient sérieusement envisager de réglementer la manière dont les aliments malsains sont mis à la disposition des clients», conclut David O’Connor.

Pour en savoir plus

Rewards that are near increase impulsive action – David A. O’Connor, Remi Janet, Valentin Guigon, Anael Belle, Benjamin T. Vincent, Uli Bromberg, Jan Peters, Brice Corgnet and Jean-Claude Dreher – iScience 8 mars 2021. 

Chercheur(s)

David O’Connor

A étudié les liens entre choix, actions et récompenses chez l'homme, notamment à l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod, Il est aujourd'hui éditeur dans le domaine des neurosciences et de la psychologie.

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David O’Connor

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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