De nombreux enfants souffrent de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Face aux limites des traitements à base de psychotropes qui leur sont proposés, des alternatives se développent. C’est le cas du neurofeedback, une technique d’entrainement cérébral qui utilise certaines ondes du cerveau. Problème : son efficacité n’a pas été scientifiquement démontrée à ce jour. Mélodie Fouillen, doctorante au CRNL, travaille sur un protocole qui devrait permettre de savoir si le neurofeedback constitue une piste thérapeutique sérieuse ou non.
A première vue, une séance de neurofeedback évoque une scène de science-fiction. Electrodes sur la tête, un patient visualise l’activité de son cerveau, représentée par des ondes sur un écran d’ordinateur, et s’efforce de changer d’état mental pour corriger ce qui ne va pas. Telle onde est associée à ses migraines, à ses épisodes dépressifs ou à son anxiété ; il faut donc trouver le « bon état d’esprit » pour qu’elle disparaisse de l’écran. C’est un peu comme apprendre à chanter avec un fréquencemètre audio : on modifie la hauteur de sa voix en fonction des indications que renvoie l’appareil jusqu’à obtenir à coup sûr un « la 440 ».
Comment fonctionne un dispositif de neurofeedback ? Grâce à un électro-encéphalogramme, on mesure les fréquences électriques générées par l’activité des neurones. Ces fréquences sont associées à différents états mentaux – comme la peur, la concentration, l’envie… (lire l’encadré ci-dessous) – et sont instantanément transcrites sur un écran d’ordinateur. « Elles peuvent être représentées de manière ludique, renchérit Mélodie Fouillen, doctorante au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). Pour les enfants, par exemple, il est possible d’utiliser des jeux vidéo : un avion vole ainsi de plus en plus haut à mesure qu’ils éliminent les mauvaises ondes. »
Trouver le bon indicateur
La thèse de Mélodie Fouillen porte sur un dispositif de neurofeedback pour les enfants atteints de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Cette pathologie – à ne pas confondre avec une simple bougeotte, bien naturelle chez les enfants – entraîne de grandes difficultés à se concentrer ou à rester calme. Pour les aider à reprendre la main, Mélodie Fouillen compte utiliser des jeux vidéo, et notamment un jeu inspiré de Puissance 4 : les jeunes patients devront focaliser leur attention sur des points précis de l’écran pour y disposer des pions, malgré des flashs crépitant pour les distraire. Le but du jeu est d’aligner le plus de pions possible, mais surtout de pousser les enfants à s’éloigner du «mauvais» état mental. [1]
Toute la difficulté reste cependant de trouver le bon indicateur. « Les traitements se fondent entre autres sur le ratio thêta/bêta, rappelle la chercheuse : il semble que les ondes thêta, situées entre 4 et 7 Hz, soient en excès chez les enfants TDAH, tandis que la tranche bêta, entre15 et 25 Hz, serait en dessous de la moyenne. » Les dispositifs de neurofeedback les poussaient à inverser ce ratio, en les faisant gagner chaque fois que l’électro-encéphalogramme relevait une diminution des ondes thêta et une augmentation des ondes bêta. [2]
« À l’heure actuelle, objecte Mélodie Fouillen, on ne peut pas affirmer avec certitude que cette méthode fonctionne ; beaucoup d’études sur le sujet sont mal contrôlées ou donnent des résultats contradictoires. » Principal écueil, encore récemment souligné dans un article de la revue Lancet Psychiatry, certains effets pourraient relever du placebo. « L’efficacité du neurofeedback pour les enfants TDAH a souvent été évaluée par leurs proches, donne en exemple Mélodie Fouillen. Or les parents qui étaient au courant du traitement constataient une diminution des symptômes, tandis que les enseignants, qui n’étaient pas dans la confidence, n’en relevaient aucune. » [3]
Le dispositif développé dans le cadre de sa thèse s’appuiera sur un autre marqueur : l’onde P300, spécifique à l’attention. Des études ont montré que celle-ci serait trop basse chez les enfants TDAH et pourrait être rehaussée lorsqu’ils prennent des médicaments. « Nous voulons tester le neurofeedback sur cette onde dans un cadre parfaitement contrôlé, pour être sûrs de pouvoir mettre en évidence un effet, si celui-ci existe, au-delà de l’effet placebo », résume la chercheuse.
Une alternative aux psychotropes
À terme, Mélodie Fouillen espère permettre le développement de nouveaux processus thérapeutiques. Sa thèse s’inscrit dans un projet de plus grande envergure, le projet Mind Your Brain, qui vise au développement d’un dispositif destiné à toute personne souhaitant entraîner ses capacités d’attention. Le neurofeedback offre en théorie un panel de perspectives exceptionnellement large : des problèmes psychiques les plus graves, comme la schizophrénie ou l’autisme, jusqu’à la simple « gymnastique cérébrale », en passant par toute une série de troubles plus ou moins invalidants : dépression, épilepsie, dépendance (tabac, alcool…) ou encore insomnie… « Tous les troubles pour lesquels il est possible d’identifier de manière très spécifique une différence au niveau des signaux cérébraux pourraient en principe faire l’objet d’un traitement par neurofeedback », précise Mélodie Fouillen.
Cette approche a en outre l’avantage d’être a priori indolore et sans effet secondaire, contrairement aux médicaments généralement prescrits. « Beaucoup d’enfants TDAH sont sous ritaline », explique Mélodie Fouillen – un psychotrope relativement controversé, car il peut entraîner certains troubles du comportement ou encore des retards de croissance. « Or on sait qu’environ un tiers des enfants ne répondent pas correctement aux médicaments, ajoute la chercheuse, et que tous subissent un retour rapide de leurs symptômes dès qu’ils arrêtent d’en prendre. » Un grand nombre de familles d’enfants TDAH exprime en conséquence une forte demande en faveur d’approches alternatives ou complémentaires. « Au niveau européen, relève la chercheuse, il est recommandé de coupler la prise de médicaments avec d’autres traitements ; en Allemagne, il est même préconisé de prescrire un psychostimulant uniquement si aucune autre approche n’a pu être envisagée efficacement. »
Le neurofeedback n’est cependant pas (encore) reconnu en France comme relevant de la médecine, faute de preuves suffisantes en sa faveur, et les traitements sont tout au plus proposés par des entreprises privées, au même titre que la médecine douce ou encore pour le bien-être. « En revanche, aux Etats-Unis, l’approche est reconnue par l’Académie de pédiatrie depuis 2012 », note Mélodie Fouillen. Pour autant, il lui paraît tout à fait normal de rester prudent et de réaliser des études plus solides avant de la considérer comme une thérapie médicale à part entière. « Nous avons toutes les raisons de croire que notre protocole nous permettra d’observer une diminution des symptômes chez ces enfants. Si ça n’est pas le cas, il ne faudra pas abandonner et peut être revoir le protocole ou envisager d’autres pistes. »
Si des effets positifs sont observés mais ne sont pas spécifiquement dûs au neurofeedback, il sera toujours possible de chercher leurs causes réelles et d’envisager d’autres thérapies sur cette nouvelle base. Les recherches sur le neurofeedback permettraient en tous cas d’enrichir notre connaissance du cerveau, de l’activité électrique des neurones, ou d’améliorer la prise en charge des troubles neuropsychiatriques.
Une onde électrique, un état mental ?
Le neurofeedback se fonde sur l’idée que différents états mentaux peuvent être associés à des activités cérébrales spécifiques : par exemple, l’anxiété n’aurait pas la même signature électrophysiologique que la sérénité. « Certaines zones cérébrales sont aujourd’hui bien identifiées, pondère Mélodie Fouillen : les cortex associés au langage ou au mouvement, par exemple. En revanche, les états mentaux les plus complexes ou les plus fins comme les émotions ne sont pas simplement associés à une seule région cérébrale mais à des modulations d’un réseau de régions corticales et sous-corticales qui peuvent varier en fonction du contexte et des individus. » Le neurofeedback mesure en outre l’activité électrique à la surface du cerveau et plus difficilement en profondeur.
Mind Your Brain : une plateforme en ligne pour améliorer ses capacités attentionnelles
Le projet Mind Your Brain vise à développer une plateforme de services en ligne destinés à améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de trouble de l’attention ou de tout individu simplement désireux d’entraîner ses capacités attentionnelles dans un environnement ludique et engageant. Mind Your Brain est porté par quatre partenaires : le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), les Hospices civils de Lyon, la société Black Sheep Studio et la société Mensia Technologies. Ce projet est financé par la Banque publique d’investissement (BPI-France) et la région Ile-de-France dans le cadre d’un appel à projet FUI (Fonds unique interministériel).