Mieux accompagner les étudiants dyslexiques



Si depuis une quinzaine d’années la prise en charge précoce des élèves présentant un trouble spécifique des apprentissages a nettement progressé, la situation reste difficile pour les étudiants du supérieur. Mieux connaître leurs difficultés pour mieux les accompagner en cas de dyslexie, c’est l’objectif du projet ETUDYS conduit par le LabEx ASLAN.


Semaine du Cerveau 2018
Retrouvez Audrey Mazur-Palandre et Eddy Cavalli à Lyon pour la Semaine du cerveau

Mardi 13 mars 2018 de 18h30 à 20h – Grand amphithéâtre de l’Université de Lyon – 9, rue Pasteur, Lyon 7e – Sur inscription. Traduction en langue des signes. A  partir de 15 ans.
> S’inscrire.

Lorsqu’elle évoque son parcours scolaire, le regard de Lucile (le prénom a été modifié) se voile. « Les difficultés ont commencé dès le CP : j’écrivais de droite à gauche, j’ai redoublé. » La suite de ses apprentissages est tout aussi laborieuse. Les enseignants attribuent ses difficultés à un problème de motivation. Lucile perd confiance en elle : « Je me disais que je n’étais pas assez forte, que je n’y arriverai jamais… » En classe de troisième, le couperet tombe : ses professeurs estiment qu’elle n’est pas capable de suivre des études générales et lui conseillent de s’orienter vers une filière technologique. Mais la jeune fille se cabre : « J’ai voulu les faire mentir. Par fierté. » Elle intègre une section littéraire dans un lycée privé. Effectif réduit, professeurs dévoués – certains lui accordent des cours particuliers : elle obtient son baccalauréat et entre à l’université. Elle commence alors une licence en langues étrangères appliquées (LEA). Mais les difficultés redoublent : « J’avais du mal à terminer mes devoirs dans les temps, mes copies étaient truffées de fautes d’orthographe, je devais relire les consignes plusieurs fois avant de les comprendre… » Jusqu’au jour où son professeur d’allemand, soupçonnant une dyslexie, lui recommande de faire un bilan. Celui-ci corrobore son diagnostic. Elle peut enfin mettre un nom sur ses difficultés. Une prise en charge est alors proposée, ainsi que des aménagements. Aujourd’hui, à 26 ans, Lucile termine son master de commerce international. Elle a obtenu un quart de temps supplémentaire pour ses examens. Et retrouvé confiance en elle : « Je sais maintenant que je peux y arriver en bossant plus que les autres. »

Qu’est-ce que la dyslexie ?

La dyslexie est un trouble spécifique de l’apprentissage (TSA) d’origine neurodéveloppemental, sous-tendu par des anomalies cognitives et neuronales, qui se caractérise par des déficits persistants dans les processus de décodage des mots écrits, un faible niveau de fluence en lecture et de faibles compétences en orthographe.

Lucile n’est pas un cas isolé. Comme elle, de nombreux étudiants se donnent beaucoup de mal pour mener leurs études supérieures malgré leurs troubles d’apprentissage. Certains, comme Lucile, découvrent leur dyslexie à cette occasion. Mais la plupart ont été dépistés et accompagnés depuis l’enfance. Combien sont-ils ? C’est difficile à dire. La dyslexie développementale (lire l’encadré) toucherait entre 5 et 8% des enfants suivant une scolarité normale. Malgré l’absence d’enquête épidémiologique sur les étudiants, certaines études estiment la prévalence de la dyslexie à l’université entre 3 et 4% et indiquent que de 30 à 40% des étudiants dyslexiques ne seraient pas diagnostiqués.

On oublie trop souvent que les difficultés liées à la dyslexie ne disparaissent pas comme par magie à l’âge adulte

D’importants progrès ont été accomplis depuis les années 2000 en matière de dépistage et d’accompagnement des élèves dyslexiques à l’école primaire et dans l’enseignement secondaire. Ils bénéficient désormais d’aides spécifiques (aménagements scolaires, tiers temps…) pour surmonter leurs difficultés d’apprentissage. Cependant, on oublie souvent que ces difficultés ne disparaissent pas comme par magie à l’âge adulte. A leur entrée dans l’enseignement supérieur, les étudiants dyslexiques se retrouvent bien souvent privés des aménagements et des aides dont ils bénéficiaient jusque-là.

Cette situation a interpelé la mission handicap de l’Université de Lyon, qui a sollicité des chercheurs du Labex ASLAN (en sciences du langage, psychologie et sciences cognitives) pour trouver des solutions permettant de rendre la vie de ces étudiants moins difficile. C’est ainsi qu’est né, en 2014, le projet transdisciplinaire ETUDYS, associant des chercheurs, des statisticiens, la mission handicap de l’Université de Lyon, des praticiens hospitaliers et des représentants d’associations. « La première étape de notre démarche, explique Audrey Mazur-Palandre, psycholinguiste et ingénieure de recherche au laboratoire ICAR, a consisté à préciser les difficultés ressenties par les étudiants dyslexiques via un questionnaire en ligne. Nous avons pu ainsi comparer statistiquement les réponses de près d’une centaine d’étudiants dyslexiques avec celles d’un groupe témoin. »

Dyscalculie, dysphasie, dyspraxie… les autres troubles de l’apprentissage

Photo : Prudencio Alvarez I 123RFDifficiles à définir et à repérer, les troubles « dys » regroupent différentes difficultés de fonctionnement du système cognitif.
Ils se confondent souvent avec les difficultés liées à l’apprentissage à l’école et sont donc fréquemment découverts dans ce cadre, au moment où l’enfant réalise ses premières acquisitions.

  • La dysphasie s’applique à la parole
  • La dyslexie à la lecture
  • La dysgraphie à l’écriture et au dessin
  • La dyscalculie au calcul
  • La dyspraxie au geste
  • La dysorthographie à l’orthographe

> Lire la suite sur le site de l’Inpes.

Quels enseignements ont pu être tirés de cette enquête ? Le premier touche à la visibilité des étudiants dyslexiques. Parmi ceux qui ont répondu à l’enquête, un sur deux seulement s’était signalé auprès de la mission handicap de l’université, démarche lui permettant de bénéficier de certains aménagements comme le tiers temps. A cette situation, plusieurs explications : un manque d’information sur les aides proposées à l’université ; la crainte d’être marginalisé, voire stigmatisé au moment des examens ; un scepticisme sur l’utilité des aides proposées. Autant de raisons qui montrent la nécessité d’une meilleure prise en compte de la situation de cette population étudiante par les acteurs de l’université.

Les difficultés des étudiants dyslexiques sont d’autant plus fortes que la lecture d’un texte doit être effectuée rapidement

S’agissant des difficultés rencontrées par les étudiants dyslexiques, les témoignages enregistrés durant le projet ETUDYS recoupent ceux recueillis en consultation (orthophonique ou neuropsychologique). « Ils peuvent mentionner des problèmes pour lire, mais aussi pour rédiger : orthographe, construction grammaticale, organisation du texte et accès rapide aux mots en mémoire posent problème ; prendre des notes, cumuler prise de notes et écoute, comprendre le discours de l’enseignant, surtout lorsqu’il y a du bruit leur est particulièrement coûteux, précise Audrey Mazur-Palandre. En examen, ils déclarent plus souvent que les autres des difficultés à comprendre les consignes écrites, surtout si le stress les incite à lire vite ou s’il y a des mots nouveaux non présentés en cours; difficultés aussi à rédiger, et pour un petit nombre d’entre eux une peur de s’exprimer à l’oral. »

Ces éléments subjectifs ont ensuite été corroborés par des bilans orthophonique et cognitif. Ceux-ci ont été conçus et menés par Raphaëlle Abadie, neuropsychologue, et Nathalie Bedoin, enseignant-chercheur en psychologie au laboratoire Dynamique du langage, sur une partie de la population. Ces bilans ont apporté beaucoup d’éléments nouveaux sur les problèmes fondamentaux des adultes dyslexiques. Ils ont mis par exemple en évidence l’importance d’une dimension supplémentaire : la vitesse. En effet, les données montrent objectivement que les difficultés des étudiants dyslexiques sont d’autant plus fortes que la lecture doit être effectuée rapidement. A l’université, cela retentit notamment la compréhension des consignes écrites lors des examens. « Cette difficulté pourrait être liée à l’absence d’automatisation du décodage en lecture, analyse Audrey Mazur-Palandre. Celui-ci est si coûteux qu’il reste peu de capacités de traitement pour la compréhension. De plus, comme une lecture exacte n’est possible pour l’étudiant dyslexique que s’il prend le temps, une lecture rapide le conduit à faire des erreurs de décodage, générant elles-mêmes des contresens, sans que l’étudiant dyslexique ait des difficultés de compréhension en soi. »

Un programme spécifique pour l’apprentissage de l’anglais

Drapeau britannique (DR)« Apprendre l’anglais, c’est difficile pour un francophone. Ça l’est encore plus s’il est dyslexique », souligne Nathalie Bedoin, du laboratoire DDL. Ces langues sont en effet plus différentes qu’il ne paraît. Assimiler la phonétique (sons des consonnes et des voyelles) et la prosodie (organisation temporelle de la voix dans la phrase) de l’anglais à celles du français conduit à des erreurs…  « Encore plus chez l’apprenant dyslexique, qui a deux difficultés fondamentales : analyser les sons de la langue et leur durée. » Ce constat a conduit Nathalie Bedoin à collaborer au projet Dys’R’able. Elle a élaboré des tests d’identification de consonnes qui diffèrent sur le plan temporel, puis réalisé des exercices informatisés qui réduisent ces difficultés en incitant à engager les hémisphères cérébraux d’une façon adaptée à ces consonnes. Le projet abordait aussi une singularité de la prosodie anglaise : l’intonation finale montante des questions fermées, et descendante pour les questions ouvertes. « Des progrès en production ont été observés après 45 minutes d’exercices d’imitation de phrases avec retour visuel instantané sur les courbes d’intonations qu’il faut tenter d’ajuster, surtout après l’écoute d’une musique dont le rythme attire l’attention sur les unités prosodiques. »

La dyslexie des adultes intéresse aussi Eddy Cavalli, enseignant-chercheur en psychologie cognitive et sciences cognitives, qui vient de rejoindre le laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs (EMC). Il s’est demandé comment ces étudiants parvenaient à mener leurs études supérieures en dépit de leurs difficultés d’apprentissage. Son hypothèse ? Ils auraient mis en place des stratégies cognitives pour s’adapter et compenser leur handicap. « Parmi ces stratégies, nous avons identifié l’implication de certaines des compétences langagières orales, comme le vocabulaire, ou les connaissances morphologiques », explique-t-il. Ses travaux suggèrent que pour lire les étudiants dyslexiques s’appuieraient fortement sur leurs compétences sémantiques. « Ils réussissent à produire des définitions de mots présentés à l’oral de manière plus précise que leurs pairs non-dyslexiques, ajoute-t-il. Principalement lorsque ces mots présentent une complexité sémantique importante. »

Une réorganisation à la fois spatiale et temporelle de l’activation des régions cérébrales associées au réseau de la lecture

Cette hypothèse a récemment été confirmée par une étude en neuro-imagerie conduite en magnétoencéphalographie (MEG). « Dans cette étude, indique Eddy Cavalli, nous avons montré que la lecture des étudiants dyslexiques serait fortement dépendante des unités sémantiques véhiculées par les mots – les morphèmes – et que ce traitement serait gouverné par une réorganisation à la fois spatiale et temporelle de l’activation des régions cérébrales associées au réseau de la lecture. » Autrement dit, certaines zones frontales du cerveau se seraient reconfigurées au cours du développement pour se spécialiser dans un traitement précoce des informations sémantiques des mots et soutenir ainsi l’activation plus tardive des régions postérieures impliquées dans des traitements de reconnaissance des mots écrits. Une hypothèse qui doit encore être confirmée par des études de connectivité fonctionnelle.

Le groupe de recherche d’Eddy Cavalli a aussi montré que les étudiants dyslexiques adoptaient des stratégies de lecture privilégiant la recherche d’informations dans un texte. Confronté à un texte long, ils vont traiter en priorité les éléments qui leur permettent de situer les faits à la fois dans le texte et dans la chronologie de l’histoire. Ce comportement expliquerait selon lui le bon niveau des performances en compréhension écrite des étudiants dyslexiques, et principalement leur capacité à faire des inférences de haut niveau sur le texte lu.

> Pour aller plus loin : Research Update: Morphemes, Meaning, and Dyslexia, par Abigail Marshall (en anglais).

A présent qu’on commence à comprendre le fonctionnement des étudiants dyslexiques, il est possible de proposer des mesures pour faciliter leur cursus universitaire. « La réduction des contraintes de temps est une des clés, assure Audrey Mazur-Palandre. A condition qu’elle soit accompagnée d’une formation à la gestion du temps et de l’effort. » Ce qui permettrait aux étudiants de mieux utiliser le temps supplémentaire qui leur est accordé aux examens. D’autres initiatives pourraient être proposées pour limiter l’impact des déficits que présentent les étudiants dyslexiques : lecture des consignes aux examens, qualité des supports de cours, usage de l’ordinateur… (lire l’encadré ci-dessous).

Des mesures simples pour faciliter la vie des étudiants dyslexiques

Photo : Kakso Sandor I 123RFA côté du tiers-temps, qui permet d’accorder du temps supplémentaire aux examens, il existe des moyens relativement faciles à mettre en œuvre pour limiter l’impact des troubles que présentent les étudiants dyslexiques. Ces mesures profiteraient en outre à l’ensemble des étudiants.

En cours

  • Ralentir le débit de parole
  • Dicter les phrases importantes et écrire les mots nouveaux
  • Soigner la lisibilité des présentations et des documents (typographie, mise en page, etc.
  • Mise à disposition des supports de cours (accompagnée de règles de bon usage

En examen

  • Lecture à haute voix des énoncés
  • Affichage de l’heure dans la salle
  • Rappel régulier du temps restant
  • Utilisation de l’ordinateur (accès au correcteur automatique)

Ces progrès dans l’accompagnement des étudiants dyslexiques passent par une sensibilisation des enseignants et des surveillants à ces questions. Germaniste, maître de conférences à l’Université Lyon 2, Sylvain Farge fait partie des pionniers. « L’allemand est une langue où la grammaire joue un rôle important, souligne-t-il. Elle met ainsi plus facilement en évidence les défaillances cognitives de certains étudiants. » C’est ainsi qu’il a décelé des cas de dyslexie parmi ses élèves et s’est associé dès le début à la Mission handicap de l’Université de Lyon. Il reconnaît qu’il reste du chemin à faire : « Chez les enseignants, la question de la dyslexie est diluée parmi d’autres préoccupations, souligne-t-il. Notamment, la forte demande de l’institution pour l’individualisation des parcours. » Par ailleurs, il se heurte encore aux réticences de certains professeurs, qui assimilent ces difficultés au niveau de français « dramatiquement bas » des étudiants et à l’agacement d’élèves qui trouvent qu’on en fait trop pour certains de leurs camarades.

Un Mooc pour sensibiliser les enseignants
aux difficultés des étudiants dyslexiques


« Étudiants dyslexiques dans mon amphi : comprendre et aider. » Avec ce Mooc, proposé sur la plateforme France université numérique,  l’équipe du projet ETUDYS souhaite familiariser les différents acteurs de l’université avec la dyslexie, sa prise en charge médico-sociale et les effets que ce trouble peut avoir sur la vie universitaire. Il est destiné aux enseignants de l’enseignement supérieur et plus largement aux équipes pédagogiques. Il peut aussi intéresser les étudiants (dys et non dys-), les missions handicap, les services de médecine préventive et toutes les personnes sensibilisées au handicap dans le milieu de l’enseignement.

> Plus d’information sur le Mooc.

Chercheur(s)

Nathalie Bedoin

Enseignant-chercheur, maître de conférences en psychologie à l'université Lyon 2, membre de l'équipe Développement, Neurocognition, Dysfonctionnements au sein du laboratoire Dynamique du langage (Labex ASLAN). Thèmes de recherche : développement typique ou atypique des connaissances conceptuelles ; aide au diagnostic et à la remédiation cognitive chez des enfants dyslexiques ; effets des épilepsies idiopathiques partielles bénignes de l’enfance sur le développement cognitif ;  évaluation et remédiation des troubles de l’attention.

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Nathalie Bedoin

Audrey Mazur-Palandre

Ingénieure de recherche à l’Université de Lyon pour le Labex ASLAN, docteure en psycholinguistique et développement du langage. Thématiques de recherche : développement du langage oral et écrit, développement de la gestualité chez l’enfant, dyslexie chez le jeune adulte.

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Audrey Mazur-Palandre

Eddy Cavalli

Enseignant-chercheur en psychologie et sciences cognitives à l'université Lyon 2, membre de l'équipe Apprentissage, développement et troubles du langage au sein du laboratoire d'Etude des mécanismes cognitifs (Labex CORTEX), spécialiste de la dyslexie. Thèmes de recherche : étude des mécanismes d'adaptation et de compensation dans la dyslexie développementale, développement d'outils de dépistage et de diagnostic de la dyslexie, modélisation de la compréhension de l'écrit chez des lecteurs au développement typique et pathologique.

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Eddy Cavalli

Laboratoire

Icar (Interactions, Corpus, Apprentissage, Représentations)

Laboratoire

Dynamique du langage (DDL-Aslan)

Laboratoire

Laboratoire Etude des mécanismes cognitifs (EMC)

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