Après avoir découvert le « GPS du cerveau », les Nobel Edvard et May-Britt Moser cherchent à localiser la zone corticale où s’effectue le codage temporel de l’information. Ils tiennent, semble-t-il, une bonne piste. C’est l’occasion de s’interroger avec Bertrand Coulombel, doctorant en sciences cognitives, sur notre perception du temps.
Il y a quatre ans, Edvard et May-Britt Moser recevaient avec l’américain John O’Keefe le prix Nobel de médecine pour leurs travaux sur ce qu’on a appelé le « GPS du cerveau », zone du cerveau constituée de « cellules de lieu » qui permettent de se repérer dans l’espace. Forts de ce succès, les deux neuroscientifiques de l’Institut Kavli, en Norvège, se sont lancé un nouveau défi : décrypter la façon dont notre cerveau code le temps. Dans un article publié l’été dernier dans la revue Nature, ils attribuent cette fonction à une zone du cerveau considérée comme la voie d’entrée vers le siège de la mémoire, le cortex entorhinal latéral (CEL).
Les zones de codage du temps et de l’espace sont fortement connectées entre elles et avec l’hippocampe, siège de la mémoire.
Comment l’équipe des Moser a-t-elle procédé pour parvenir à cette conclusion ? Il lui a d’abord fallu contourner une difficulté majeure. Il était en effet impossible d’utiliser un protocole expérimental classique avec un groupe test et un groupe contrôle. Pour une raison simple : il aurait fallu que le groupe contrôle n’ait aucune perception du temps… Pour contourner la difficulté, les chercheurs ont monté une expérience avec des rats qu’ils ont soumis à une douzaine de séquences de 36 minutes entrecoupées de pauses. Les rongeurs étaient placés dans une boîte dont les côtés étaient alternativement blancs et noirs et dans laquelle ils pouvaient bouger librement. Dans le même temps, les chercheurs ont enregistré, grâce à des électrodes, l’activité de neurones situés dans différentes zones corticales, dont le CEL.
Qu’ont-ils observé ? D’abord que, quelle que soit la séquence, l’activité d’une partie des neurones (20%) du CEL augmentait à mesure que l’essai avançait en temps et qu’elle chutait durant les pauses. Ils en ont déduit que c’était dans cette zone que s’élaborait le codage du contexte temporel d’un événement. L’équipe des Moser a aussi mis en évidence l’importance des connexions du CEL avec le cortex entorhinal médian (CEM), où sont localisées les fameuses « cellules de lieu », et l’hippocampe, siège de la mémoire. Ce qui leur a permis de formuler l’hypothèse suivante : le CEL et le CEM enverraient leurs informations à l’hippocampe, lequel les associerait pour ancrer l’événement dans un contexte spatial et temporel. Un point de départ intéressant pour d’autres études.
La réaction de Bertrand Coulombel
Doctorant dans l’équipe Mémoire, émotion, action du laboratoire d’Etude des mécanismes cognitifs (EMC).
« On peut voir notre vie comme un ensemble de ”petites vies”, de “continuités”, entremêlées dans le cours du temps. »
Le codage spatio-temporel renvoie à la perception du temps et des souvenirs, celle-ci étant déterminée par la qualité de nos expériences. C’est un principe que l’on retrouve dans la plupart des théories du temps en psychologie : le sens du temps dépend de changements non-temporel – ici, le changement de couleur des côtés de la boîte expérimentale pour les rats. S’il ne se passe rien, il est en effet plus difficile d’évaluer correctement l’écoulement du temps.
C’est l’objet de la thèse que je mène en ce moment. J’essaie de montrer que notre sens du temps est déterminé par la manière dont on se rappelle nos expériences. Mon postulat est le suivant : nos expériences s’inscrivent dans les différents rôles qui composent notre vie : au travail, avec notre famille ou nos amis, etc. Nous passons d’un rôle à l’autre tout au long de nos journées, de nos semaines. Si bien que les activités que nous menons se déroulent en réalité de façon fragmentée et épisodique. Autrement dit, on peut voir notre vie comme un ensemble de « petites vies », de « continuités », entremêlées dans le cours du temps. Chaque continuité – travail, amis, famille, loisirs… – possédant un contexte, un passé, un présent et un futur propres.
Nous passons ainsi en permanence d’une continuité à l’autre. Et faisons le lien avec le ou les fragments précédents, lesquels peuvent être séparés par des écarts temporels variables. Cette réalité fragmentée peut rendre notre perception du temps assez confuse. Ne dit-on pas parfois « Je m’en souviens comme si c’était hier », comme pour exprimer que le lien entre le présent et le passé abolit l’écart temporel.
Si l’on considère l’expérience menée par Edvard et May-Britt Moser, on distingue deux continuités, chacune étant associée à un contexte donné : la collecte de la nourriture dans les boîtes et le repos dans un nid.
Pour aller plus loin