Digitrack : un outil innovant pour la détection précoce de l’autisme


Une équipe de chercheurs lyonnais présente dans la revue Nature Communications une méthode originale permettant d’analyser la manière dont un sujet explore une image. A l’oculométrie classique, ils ont substitué une mesure indirecte de l’attention visuelle par le suivi du mouvement du doigt sur une tablette tactile. Fiable, simple et bon marché, la technologie Digitrack peut être utilisée pour la détection précoce de l’autisme et le diagnostic de certaines maladies neurologiques.

L’un des symptômes caractéristiques de l’autisme est le retrait relationnel, qui se manifeste fréquemment chez les jeunes enfants par l’évitement du regard de l’autre. Ce comportement est le point de départ des travaux d’Angela Sirigu, directrice de recherche à l’Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod, à Bron. « Plus le dépistage de l’autisme est précoce, meilleure est sa prise en charge, souligne-t-elle. Nous avons donc cherché un moyen simple et bon marché de réaliser un diagnostic fiable fondé sur l’analyse indirecte des mouvements oculaires. »

Comment s’affranchir de l’eye-tracking pour analyser le comportement d’exploration visuelle des images ?

La manière dont une personne explore visuellement une scène ou une photo dit quelque chose de sa perception et de ses stratégies cognitives. Cela explique pourquoi l’analyse des mouvements oculaires occupe une place importante dans de nombreux domaines de recherche. Cette approche fait habituellement appel à l’oculométrie directe (eye-tracking) qui consiste à enregistrer directement les mouvements de l’œil. Une méthode complexe sur le plan technique : elle implique une étape de calibration, qui nécessite une bonne concentration du sujet, suivie de l’illumination de l’œil avec une ou plusieurs sources infrarouges pendant que des caméras à haute vitesse filment les mouvements oculaires. Ces contraintes expliquent que l’oculométrie soit réservée à des utilisateurs spécialisés et qu’elle ne puisse être appliquée à un grand nombre de sujets.

Comment s’affranchir de l’eye-tracking pour analyser le comportement d’exploration visuelle des images ? C’est la question que se sont posée Guillaume Lio, Jean-René Duhamel et Angela Sirigu, de l’ISC. La réponse s’appelle Digitrack. Il s’agit d’une application pour tablette et smartphone qui permet « une mesure indirecte de l’attention visuelle par exploration tactile d’une image ». Comment l’ont-ils mise au point ? Pour commencer, replongeons-nous dans nos souvenirs de SVT du collège. « Le système visuel, rappelle Angela Sirigu, est organisé avec une résolution rétinienne fine au niveau d’une partie centrale très petite – qui correspond à la fovéa – et une résolution moindre en périphérie. » Quand nous analysons une image, nous la balayons avec la fovéa et laissons ensuite notre cerveau la reconstruire. Digitrack utilise le même principe de balayage mais, au lieu de suivre le mouvement des yeux, il se focalise sur le mouvement des doigts (digit-tracking).

Digitrack : une application pour la détection précoce de l'autisme (photo : Valeria Pacella pour Sibius)Le principe de cette technologie est simple. Il consiste à présenter au sujet une image floutée de manière gaussienne. « L’image reproduit la résolution spatiale de la rétine périphérique sauf en un point, de surface équivalente à celle du champ fovéal, où la résolution est élevée. » S’il veut explorer d’autres portions de l’image, l’utilisateur doit faire glisser son doigt sur la surface de l’écran, opération qui dissipe l’effet de flou. L’hypothèse est que le déplacement du doigt reproduit fidèlement l’exploration oculaire de l’image. C’est précisément ce que les chercheurs viennent de démontrer dans un article publié dans la revue Nature Communications. « Nous avons établi un haut niveau de corrélation entre les deux modalités sensorielles », affirme Angela Sirigu. Autrement dit, les travaux de son équipe prouvent que les performances du digit-tracking sont bien équivalentes à celles de l’oculométrie directe.

Dans le cadre d’une collaboration avec une équipe de cliniciens de l’Hôpital Brotzu à Cagliari (Italie), les chercheurs ont ainsi montré que leur méthode permet de distinguer les explorations d’images de jeunes sujets autistes de celles de sujets ne présentant pas de troubles, dits neurotypiques. Lorsqu’ils explorent des images contenant des scènes sociales, les sujets autistes évitent de porter le regard sur les régions contenant des visages ou des yeux, phénomène que Digitrack met en évidence sans ambiguïté (illustration ci-dessous).

Digitrack montre bien que lorsqu'ils explorent une image contenant des scènes sociales, les sujets autistes évitent de porter le regard sur les régions contenant des visages ou des yeux.

La preuve de la fiabilité de la méthode ayant été apportée, la technologie Digitrack va pouvoir se déployer. Elle présente de nombreux atouts par rapport à l’oculométrie classique. D’abord, l’acquisition à très faible coût de grandes quantités de données et son corollaire, la fiabilité statistique inégalée des résultats obtenus. En outre, sa simplicité d’utilisation va permettre de recueillir les données au plus près des sujets : chez les praticiens, dans les écoles ou à domicile.

Troubles du neuro-développement, maladies neurodégénératives, traumatismes crâniens, AVC : les applications de Digitrack dans le domaine clinique sont nombreuses.

Les domaines d’application de Digitrack sont nombreux. Dans un contexte clinique, on peut utiliser cette technologie pour déceler, quantifier et diagnostiquer des anomalies du comportement visuel associées aux troubles du neuro-développement, comme l’autisme ou la dyslexie, aux maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, ou encore aux patients victimes de traumatismes crâniens ou d’accidents cérébrovasculaires. Digitrack pourrait aussi être utilisé dans le cadre de la recherche en sciences cognitives, en vue par exemple de favoriser les apprentissages. On peut enfin imaginer des applications pour le marketing, la communication ou l’optimisation de l’expérience utilisateur (UX).

Une start-up a été créée avec le soutien de la Pulsalys, société d’accélération du transfert de technologies de Lyon-Saint-Etiene, afin de valoriser cet important travail de recherche. Son nom : Sibius. Sa mission sera la conception d’algorithmes de dépistage et de suivi de troubles neurologiques et/ou psychiatriques basés sur la technologie Digitrack.

Photos : Valeria Pacella pour Sibius.

Source
Digit-tracking as a new tactile interface for visual perception analysis. Guillaume Lio, Roberta Fadda, Giuseppe Doneddu, Jean‐René Duhamel & Angela Sirigu – Nature Communications, DOI 10.1038/s41467-019-13285-0

Chercheur(s)

Guillaume Lio

Ingénieur de recherche CNRS, spécialiste du traitement du signal, chargé de recherche à l'ISC et au centre hospitalier du Vinatier (HCL).

Guillaume Lio

Jean-René Duhamel

Directeur de recherche CNRS, coresponsable de l'équipe Neurophysiologie des processus cognitifs à l’ISC.

Jean-René Duhamel

Angela Sirigu

Directrice de l’Institut de sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod, chercheure CNRS en neuropsychologie et neuroscience cognitive, médaille d’argent du CNRS en 2013.

Voir sa page

Angela Sirigu

Laboratoire

Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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