Le confinement : un terrain d’expérimentation pour les chercheurs


Le confinement aurait-il modifié nos préférences sociales, notre sommeil et nos rêves, notre capacité attentionnelle ? L’ocytocine aurait-elle une action sur la Covid-19 ? Autant de questions auxquelles les chercheurs du LabEx CORTEX, à Lyon, ont essayé de répondre en lançant des études à grande échelle.

La crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19 et le confinement qui en a résulté ont suscité différents états : un repos apprécié pour certains, la sidération et l’angoisse pour d’autres… Mais cela a aussi été une source d’inspiration pour les chercheurs du LabEx CORTEX, qui ont mis à profit cette période inédite pour lancer de nouvelles études.

Comportements prosociaux et distanciation sociale

Marie Claire Villeval (CNRS_GATE Lyon-Saint-EtienneLaboratoire : GATE-LSE
Chercheur.e.s : Marie Claire Villeval, Fabio Galeotti et Fortuna Casoria

Pour lutter contre la pandémie, le gouvernement a mis en œuvre des mesures très strictes concernant les interactions sociales. Le GATE a cherché à savoir si cela pouvait avoir un impact sur les préférences sociales, ces dernières exerçant une influence sur nombre de paramètres régissant la vie économique tels que les interactions sociales, la confiance, les attitudes face à l’inégalité…

L’étude porte sur trois dimensions. D’une part, Marie Claire Villeval et son équipe s’interrogent sur la cohésion sociale. Le confinement aurait-il eu tendance à favoriser un repli sur soi accompagné de préférences autocentrées ? Ou au contraire aurait-il insufflé un élan de solidarité et de compassion ? D’autre part, la confiance que l’on place en autrui a-t-elle été accrue ou plutôt diminuée ? En effet, l’efficacité des gestes barrières repose sur une discipline personnelle et collective qui nécessite un certain niveau de confiance en l’autre. Enfin, l’introduction d’une règle stricte pendant le confinement peut-elle modifier les normes sociales au-delà de la période de confinement ? Le déconfinement implique t-il un retour immédiat à la situation initiale ?

Pour répondre à ces questions, le GATE a lancé une étude d’économie comportementale auprès de 600 sujets interrogés chaque semaine depuis le début du confinement jusque fin juin. On sait que des événements marquants peuvent infléchir de façon durable les préférences sociales. Ce fut notamment le cas après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont généré une forte hausse des dons, ou après des conflits entre Etats, qui renforcent les liens entre les individus. Toutefois, à la différence de ces situations, le virus est un ennemi commun à tous et le confinement est de courte durée. Il n’est donc pas exclu que cette période, pourtant sans précédent, n’ait aucun effet sur les préférences sociales, lesquelles se construisent lentement à travers notre éducation et nos expériences.

Pour en savoir plus 
> Neuf nouveaux projets de recherche lyonnais et stéphanois contre le Covid-19.

L’ocytocine, efficace contre la Covid-19 ?

Angela Sirigu (ISC Marc-Jeannerod) ©DRLaboratoire : ISC Marc-Jeannerod
Chercheures : Angela Sirigu et Amélie Soumier

L’ocytocine aurait-elle une efficacité pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. C’est la question que se sont posée Angela Sirigu et sa post-doctorante, Amélie Soumier, qui ont publié le fruit de leur réflexion dans la revue Medical Hypotheses. Elles ont mis en lumière des corrélations qui permettent de penser que l’ocytocine pourrait être utilisée à des fins thérapeutiques. On connaît bien le rôle de l’ocytocine dans l’attachement, notamment entre la mère et l’enfant. On connaît moins son rôle dans le système immunitaire.  En effet, la Covid-19 agit sur certaines personnes comme une maladie auto-immune. Elle provoque une surréaction du système immunitaire, lequel se retourne contre son hôte, entraînant parfois la mort. Or il a été montré que l’ocytocine met le système immunitaire au repos en cas d’infection.

L’autre action méconnue de l‘ocytocine concerne les voies respiratoires. L’ocytocine active et régule la production du neurotransmetteur NO (Nitric Oxyde), qui joue un rôle important dans l’ouverture et la fermeture des alvéoles pulmonaires. Par ailleurs, elle aurait un effet vasodilatateur qui soulagerait notamment les personnes atteintes d’apnée du sommeil.

Pour en savoir plus
> Oxytocin as a potential defence against Covid-19?

Confinement : quel impact sur notre sommeil et sur nos rêves ?

Perrine Ruby (CRNL)Laboratoire : CRNL
Chercheur.e.s : Perrine Ruby et al.

Experte ès rêves du LabEx CORTEX, Perrine Ruby a voulu savoir à quoi les Français ont rêvé pendant le confinement. L’enquête qu’elle a lancée le 6 avril 2020 a rencontré un franc succès : plus de 6 600 personnes y ont participé. Sa mission désormais : lire et analyser les milliers de récits de rêves et de cauchemars reçus. Les premiers résultats indiquent qu’un répondant sur cinq a fait l’expérience de rêves globalement plus négatifs qu’habituellement, contre 7% ont fait des rêves plus positifs. L’intrusion dans l‘intimité, l’enfermement et la peur liée à l’incertitude sont des thèmes très présents dans les rêves des participants. Des thèmes extrêmement positifs sont également cités : notamment des fêtes, en famille ou entre amis, dehors, dans une nature magnifique avec un sentiment de liberté.

Perrine Ruby songe à publier les résultats de l’enquête sous forme de livre. Si vous avez participé à l’enquête et que vous ne souhaitez pas que votre rêve soit publié de manière anonyme, vous pouvez lui envoyer un email jusqu’au 31 août 2020 (perrine.ruby at inserm.fr).

Dans la suite de cette enquête, une étude sur le processus de deuil a été relancée après le confinement pour étudier le lien entre rêve et processus de deuil, en particulier pendant la période du confinement qui a été si contraignante et cruelle pour les endeuillé.e.s.

Toute personne ayant perdu un proche dans les trois derniers mois (quelle que soit la cause du décès) peut participer. La participation demande de raconter ses rêves via un questionnaire en ligne pendant un an après l’inclusion dans l’étude. L’étude est indemnisée à hauteur de 200 € pour un an.

Pour en savoir plus
> Site de Perrine Ruby.

Confinement et capacités attentionnelles

Aurelie Bidet-Caulet (CRNL)Laboratoire : CRNL
Chercheure : Aurélie Bidet-Caulet.

Selon la chercheuse, le confinement offrait des conditions expérimentales idéales pour étudier notre usage des écrans et en particulier son impact sur nos capacités attentionnelles. En effet, celles et ceux qui le pouvaient ont continué à travailler à distance à grand renfort de réunions Zoom ou via d’autres plateformes virtuelles. Mais les écrans furent aussi une source de lien social et de divertissement pour les petits et les grands. A ce jour, la littérature scientifique ne parvient pas à un consensus quant aux effets de l’exposition aux écrans. Beaucoup de paramètres entrent aussi en jeu, en particulier notre état, passif ou actif, face aux écrans. On tendrait à penser que la pratique active de jeux vidéo améliorerait nos capacités attentionnelles. Et qu’en est-il des capacités attentionnelles des parents qui ont dû s’occuper de leurs enfants à la maison tout en télétravaillant ?

Afin de répondre à ces questions, Aurélie Bidet-Caulet a diffusé un questionnaire au début du confinement. L’étude, aujourd’hui close, porte sur quelque 2 500 réponses (provenant de femmes pour les deux-tiers). Les résultats de cette étude seront connus à la fin de l’été. Il ne permettront pas d’établir de liens de cause à effet, mais des hypothèses pourront être émises sur la base de corrélations. Pour aller jusqu’au bout de la démarche, Aurélie Bidet-Caulet envisage de diffuser à nouveau  le questionnaire dans un an et de comparer les résultats. En espérant que cet épisode pandémique soit tout à fait derrière nous…

Pour en savoir plus
> Perception, Attention & Memory Team/Etudes en cours.

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