L’EMDR, une technique efficace contre les troubles du stress post-traumatique mais qui reste mystérieuse


Alors que le procès des attentats du 13-Novembre révèle l’impact de ce terrible événement sur les victimes et les témoins, nous avons voulu en savoir plus sur l’EMDR, cette pratique étonnante qui permet de retraiter le souvenir de vécus traumatiques.

« Je ne vais toujours pas bien, je suis suivi en psychiatrie. Je garde en moi le bruit, je garde en moi l’odeur… » Six ans après les attentats du 13-Novembre, ce gendarme qui était devant le Stade de France quand le premier kamikaze s’est fait exploser ne parvient pas à se remettre du drame. Il fait partie des victimes directes et indirectes appelées à témoigner dans le cadre du procès qui s’est ouvert en septembre dernier à Paris. Les intrusions sensorielles qu’il décrit sont typiques des troubles du stress post-traumatique (TSPT ou PTSD en anglais, pour Post Traumatic Stress Disorder). Souvent associées à d’autres troubles (sommeil, alimentation, anxiété, dépression…), ces manifestations altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle des personnes concernées. Pour leur venir en aide, diverses méthodes sont utilisées. Parmi elles, l’EMDR (de l’anglais Eye Movement Desensitization and Reprocessing, ou désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). Cette approche psychothérapeutique née aux États-Unis dans les années 1980 se répand en France depuis une quinzaine d’années. Son intérêt ? Elle permet de retraiter le souvenir de vécus traumatiques – attentats, accidents, viols… – y compris de nombreuses années après les faits. Nous avons demandé au Dr Philippe Vignaud, psychiatre à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon (HCL) et chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), de nous en dire plus sur cette technique, qu’il pratique lui-même en psychothérapie.

On estime que 70% de la population mondiale a été ou sera confronté à un événement à potentiel traumatique.

Comment définir le syndrome de stress post-traumatique ?
Le syndrome de stress post-traumatique peut être inséré dans la famille large des troubles anxieux, même s’il faut noter qu’il fait désormais partie d’une catégorie à part de troubles selon le DSM-5 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Il découle d’un événement à potentiel traumatique (EPT), comme celui qu’ont vécu les victimes et les témoins de l’attaque terroriste du Bataclan en 2015. On estime que 70% de la population mondiale a été ou sera confronté à un EPT. La part de la population mondiale souffrant de PTSD serait comprise entre 1 et 10%, selon les pays (Koenen et al. 2017). Ce trouble ne concerne pas seulement les victimes d’un événement traumatisant mais aussi ceux qui y sont exposés de façon indirecte, tel ce chef de chantier qui a vu un de ses compagnons se faire écraser par une machine ou ces sauveteurs régulièrement confrontés à des situations dramatiques.

Quels sont les principaux symptômes du PTSD ?
On distingue habituellement trois catégories de symptômes. La première concerne les symptômes de répétition ou d’intrusion. La personne revit la scène traumatisante sous la forme de flash-backs qui surgissent dans la journée ; on parle aussi de réminiscences ou de reviviscences. Elles sont généralement visuelles, mais peuvent être aussi auditives, olfactives ou autres. Je me rappelle ainsi une jeune femme victime d’un accident de moto qui était assaillie à tout moment par la sensation de passer par-dessus son engin. Ces réminiscences peuvent se manifester aussi la nuit sous la forme de cauchemars. Ou encore de ruminations, qui s’expriment sous forme de pensées obsessionnelles ou de fascination pour des objets liés à l’événement traumatique. C’est par exemple une personne qui regarde en boucle la vidéo de l’effondrement d’un immeuble ou un enfant qui dessine sans cesse la scène traumatique qu’il a vécue.

La deuxième catégorie concerne les symptômes d’évitement. Il s’agit alors d’éviter tout ce qui rappelle de près ou de loin l’événement traumatique. Si l’on reprend l’exemple du Bataclan, cela peut être l’impossibilité de revenir dans le quartier, d’aller à un concert, de se retrouver dans une salle avec du monde, etc. Dans le cas d’un viol, cela peut s’exprimer par l’incapacité à nouer des relations de confiance avec un partenaire, le refus des relations sexuelles, etc.

La troisième catégorie de symptômes se situe dans l’hypervigilance. Le trouble de stress post-traumatique correspond à un dérèglement de la peur, comme si le cerveau était en permanence en état d’alerte. Cela se traduit par des sursauts au moindre bruit, une irritabilité, des difficultés à se concentrer ou s’endormir…

Enfin, dans les cas les plus graves, le stress post-traumatique peut provoquer des symptômes dissociatifs. Ils se traduisent par l’altération de la perception de soi – corps et esprit – et du monde. Cela peut aller jusqu’à la déréalisation, c’est-à-dire une sorte de court-circuit qui déconnecte totalement l’individu de la perception du monde. 

Ces symptômes s’accompagnent souvent de comorbidités : dépression, troubles du sommeil ou de l’alimentation, régression comportementale, involution de la personnalité… Je me rappelle, par exemple, un vigile qui, après son agression, retournait chez son ex-femme, laquelle lui faisait à manger et lui lavait son linge pendant qu’il jouait aux jeux vidéo…

L’EMDR, une méthode reconnue par les autorités de santé ©Shutterstock/GoodStudioL’EMDR, une méthode reconnue par les autorités de santé

Les principes de l’EMDR ont été découverts par la psychologue américaine Francine Shapiro à la fin des années 1980. Des études scientifiques ont montré son efficacité pour soigner les victimes d’états de stress post-traumatique. Elle est recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS) depuis 2007, par l’OMS (2013) et l’Inserm (2015).

L’EMDR vise à « reformater » l’encodage mnésique. Replongé dans son passé afin d’être au plus près des sensations éprouvées au moment de l’événement, le patient est conduit, grâce à une stimulation sensorielle, à concentrer son activité cérébrale sur le présent. De cette polarisation naîtrait la possibilité de retraiter le traumatisme par dissociation de l’émotion et du souvenir. Celui-ci ne disparait pas mais il est délivré de sa charge émotionnelle.

Qu’est-ce que l’EMDR apporte dans ces situations ?
Précisons d’abord que l’EMDR n’est pas réservée aux personnes souffrant de stress post-traumatique et qu’elle ne convient pas à tous les cas de PTSD. Avant de proposer cette approche, le thérapeute vérifie toujours ce que la personne a vécu avant l’événement traumatique. En effet, certains vécus peuvent amplifier le trauma et lui donner une résonance particulière. Cela dit, l’EMDR peut être proposé à un large spectre de personnes souffrant de PTSD. En cas d’événement traumatique isolé, l’EMDR peut être proposée rapidement. Avec une histoire traumatique complexe, avec symptômes dissociatifs notamment, on aura d’abord recours à d’autres outils thérapeutiques. En effet, dans ces situations, l’exposition aux souvenirs peut au contraire aggraver les symptômes.

Concrètement, comment se passe une séance d’EMDR ?
Le thérapeute part souvent de la visualisation d’une image associée à l’événement traumatique. Il demande ensuite au patient de dire les pensées ou les mots négatifs qu’il associe à cette image. Cela peut être « Je me sens vulnérable » ou « Je me sens coupable ». L’étape suivante consiste à lui demander d’imaginer les pensées ou les mots positifs qu’il aimerait leur substituer. La phase de désensibilisation ou de retraitement peut alors commencer. Après avoir demandé au patient de convoquer l’image négative et l’émotion qui lui est associée, le thérapeute pratique des stimulations bilatérales alternées (SBA), soit en provoquant des mouvements oculaires avec ses doigts, soit en tapotant le genou (tapping). L’objectif recherché est de parvenir à l’épuisement des émotions et des associations de pensées négatives associées à cette image. On peut alors consolider l’association du souvenir et de la pensée positive. On termine la séance avec une phase de scanner corporel pour identifier et évacuer les dernières tensions. Une séance peut durer jusqu’à 1h30. 

Plusieurs théories sont avancées pour expliquer l’effet de l’EMDR, mais aucune à ce jour n’est fluide ni indiscutable.

Que se passe-t-il dans le cerveau pendant une séance d’EMDR ?
Plusieurs théories ont été proposées pour tenter d’expliquer ce qu’il se passe. La plus ancienne, encore évoquée aujourd’hui, établit un lien entre les SBA et le sommeil paradoxal. Cette phase du sommeil, pendant laquelle s’effectuent le tri et la répartition mémorielle, est caractérisée par des mouvements oculaires rapides. Selon cette théorie, les SBA recréeraient un état de sommeil paradoxal pendant l’éveil, ce qui favoriserait la métabolisation du souvenir. Cette thèse paraît un peu simpliste, car ce phénomène se produit aussi pendant la phase de sommeil lent profond.

Une autre théorie fait le lien entre le sommeil lent profond et certaines ondes électrophysiologiques lentes (de 0,5 à 4 Hz). Certaines études montrent que les SBA augmentent la puissance de cette bande spectrale, créant une sorte de sommeil lent profond pendant l’éveil et consolidant ainsi les souvenirs.

D’autres encore relient l’EMDR à l’attention. On sait qu’une personne qui souffre de PTSD présente souvent une altération des capacités de la mémoire de travail, comme si celle-ci était saturée par l’événement traumatique. Avec l’EMDR, le sujet est obligé de faire deux choses à la fois : visualiser une image négative tout en suivant des yeux les doigts du thérapeute, par exemple. Cet exercice d’attention double diminuerait l’attention accordée au souvenir et, mécaniquement, sa charge émotionnelle. 

Enfin, une dernière théorie fait appel au phénomène de résonance stochastique. De quoi s’agit-il ? L’activité neuronale est caractérisée par une fréquence, variable en fonction des zones du cerveau considérées. Tout en étant variables, ces fréquences sont coordonnées, synchronisées entre les différentes régions cérébrales amenées à fonctionner ensemble. Ainsi, le caractère dysfonctionnel du souvenir d’un évènement traumatique pourrait tenir à l’altération de cette synchronisation. La pratique des SBA ajouterait un signal à une fréquence particulière, assimilable à un bruit au milieu du fonctionnement cérébral. Ce bruit pourrait stimuler la resynchronisation de l’activité cérébrale en favorisant la reconnaissance d’une fréquence donnée par les zones cérébrales fonctionnant habituellement en réseau avec cette dernière.

Toutes ces théories sont intéressantes. Elles éclairent les différentes facettes du phénomène mais aucune à ce jour n’est fluide ni indiscutable.

Pour aller plus loin

Références

Koenen K.C. , Ratanatharathorn A. , Ng L. , McLaughlin K.A. , Bromet E.J. , Stein D.J. , et al. (2017) Posttraumatic stress disorder in the World Mental Health Surveys Psychological Medecine 2017 Oct;47(13):2260-2274.

Chercheur(s)

Philippe Vignaud

Psychiatre et psychothérapeute, le Dr Philippe Vignaud exerce à l’hôpital Édouard-Herriot (HCL). Il est membre de la Cellule d’urgence médicopsychologique du Rhône (CUMP 69) et du Centre régional psychotraumatisme (CRP) Auvergne Rhône-Alpes. Il mène également une activité de recherche au CRNL au sein de l’équipe PSYR2.

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Philippe Vignaud

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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