Neuromythe #10 : oui, vous pouvez muscler votre cerveau !


Il serait possible d’améliorer ses capacités cognitives en s’entraînant régulièrement comme on le fait pour entretenir ses capacités physiques. Cette idée séduisante a suscité un marché lucratif de programmes de « brain training ». Pourtant, les fondements scientifiques sur lesquels ils reposent sont bien fragiles…

Il suffit de taper les mots « entrainement cérébral » ou « brain training » dans un moteur de recherche pour se rendre compte de la popularité de cette notion (plus de 3 milliards de pages recensées pour la seconde occurence). Dans les premiers résultats de recherche s’affichent des sites, des jeux vidéo et des applications proposant des programmes destinés à améliorer son fonctionnement cérébral, voire à rajeunir son cerveau. Tous ces programmes reposent sur l’analogie muscle-cerveau : il serait possible de développer ses facultés cognitives par la pratique régulière d’exercices spécifiques comme on le fait dans le domaine du sport. Cette promesse est-elle fondée ? Qu’en dit la science ? Peut-on utiliser l’entrainement cérébral pour limiter le vieillissement cérébral ? Tentons d’y voir plus clair.

Rien de neuf sous le soleil. Dans l’Antiquité déjà, les Grecs cherchaient à développer leur mémoire. En 500 avant notre ère, le poète Simonide de Céos aurait ainsi, à la suite d’un événement tragique, mis au point la première méthode mnémotechnique, dite méthode des loci (lieux) ou du palais de la mémoire. Celle-ci consiste à associer les éléments à retenir (les idées d’un discours) à l’image de lieux familiers (les pièces de votre maison) disposés selon un itinéraire donné. Pour se remémorer l’intégralité du discours, il suffit ensuite de parcourir mentalement l’itinéraire. Cette méthode fut longtemps enseignée avec l’art de la rhétorique et reste citée quand on parle de procédés mnémotechniques. 

Ces programmes misent sur la « transférabilité » des apprentissages réalisés à l’entraînement. Or, à ce jour, celle-ci n’a pas été démontrée.

L’essor de l’entrainement cérébral remonte aux années 1970 avec le succès de la Brain Gym, méthode mise au point par Paul et Gail Dennison, adeptes d’une « éducation kinesthésique ». Celle-ci vise, selon ses auteurs, à « développer le potentiel de chaque personne par des mouvements et des activités motrices et artistiques ». Le programme Brain Gym, constitué de 26 exercices de gymnastique, permettrait ainsi de rééquilibrer l’activité cérébrale et de favoriser la mémoire, la concentration, les compétences académiques et les capacités organisatrices. Le succès des Dennison ne tarde pas à faire des émules. En France, Monique Le Poncin, chercheuse en pharmacologie et psychologue, connait son heure de gloire avec sa méthode Gym Cerveau dans les années 1990. Une décennie plus tard, le Dr Kawashima développe à son tour un programme d’entrainement cérébral pour consoles de jeu (Nintendo DS). Aujourd’hui, la rubrique brain training des magasins d’applications pour smartphones fait partie des plus fournies.

D’où vient cet engouement pour l’entrainement cérébral ? Comme souvent, il y a au départ une découverte scientifique qui bouscule l’état des connaissances. Dans ce cas, il s’agit de la mise en évidence du rôle décisif des stimulations externes dans le développement du cerveau pendant les périodes dites critiques (lire ci-dessous). Cette avancée a permis de comprendre l’importance des stimulations cognitives précoces chez les enfants et contribué à enrichir leur environnement éducatif. Ces résultats ont ensuite été transférés chez l’adulte, notamment en espérant retarder le déclin cognitif dû à la vieillesse. 

Quand parle-t-on de période critique ?

Une période critique est une période du développement de l’enfant pendant laquelle l’impact d’une expérience sur le développement neuronal est optimal. On parle aussi de période sensible : il s’agit d’une période durant laquelle un stimuli externe ou une expérience permet un développement neuronal plus rapide (1).

Intéressons-nous à présent aux présupposés des programmes d’entraînement cérébral. Comme nous l’avions écrit dans un article précédent sur le sujet, ils reposent sur le postulat qu’en réalisant régulièrement des exercices stimulant certaines fonctions cognitives, nous serions plus performants pour accomplir des tâches de la vie quotidienne : retenir des listes de mots pour augmenter sa mémoire de travail, par exemple. Ces programmes misent sur la « transférabilité » des apprentissages réalisés à l’entraînement. Or, à ce jour, celle-ci n’a pas été démontrée. Toutes études faites à ce jour, comme celle – souvent citée – menée en 2010 par Owen et ses collègues (2), ont été critiquées pour les faiblesses de leur méthodologie. A ce jour, on ne sait pas définir le transfert de compétences en termes neurophysiologiques et donc encore moins l’évaluer. Ces questions font aujourd’hui l’objet de recherches. 

On constate que les performances sont augmentées uniquement sur les tâches entraînées sans que cette amélioration soit transférée au quotidien.

A défaut de booster les capacités cérébrales, peut-on espérer que le brain training empêche le déclin cognitif ? Là encore, rien n’est moins sûr. Dans le cadre d’une autre étude menée quelques années auparavant (3), des participants âgés de 65 à 94 ans ont suivi un programme d’entraînement de dix séances réparties sur six semaines. Plusieurs groupes ont été formés, chacun suivant un entraînement propre à une fonction cognitive : mémoire, raisonnement et vitesse de traitement. Qu’ont donné les résultats ? Pour tous les groupes, on a constaté une amélioration de la fonction cognitive entraînée, avec une certaine persistance de l’effet (on le retrouve, de façon moins marquée, deux ans plus tard). En revanche, les auteurs n’ont pas retrouvé d’amélioration lors des évaluations effectuées dans la vie de tous les jours (chronométrage de tâches domestiques, par exemple). En outre, on a constaté aussi une amélioration chez les sujets contrôles, ce qui relativise l’effet de l’entrainement. Si on s’intéresse spécifiquement à la mémoire, une revue de la littérature réalisée en 2016 (4) constate que les performances sont augmentées uniquement sur les tâches entraînées sans que cette amélioration soit transférée au quotidien. Une autre étude aboutit au même constat pour l’attention et les fonctions exécutives (5). 

Chez les enfants, les résultats sont plus mitigés. Certaines interventions en milieu scolaire pourraient faciliter le développement des fonctions exécutives (6). Mais on retrouve aussi des résultats non significatifs pour ces mêmes méthodes (7).

Bref, en l’état actuel des connaissances, on ne peut affirmer qu’un entrainement cérébral régulier permette d’améliorer ses facultés cognitives dans la vie de tous les jours. Une revue de littérature menée en 2012 (8) conclut que les programmes de brain training seraient plutôt le moyen d’apprendre plus rapidement de nouvelles tâches. Ils stimuleraient notre capacité à apprendre plus qu’ils n’amélioreraient nos capacités cognitives. Ce qui n’est déjà pas mal !

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

En finir avec les neuromythes

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série

Références 

1 – Z. H. Brett, K. L. Humphreys, A. Fleming, G. W. Kraemer, S. S. Drury. (2015). Using cross species comparisons and a neurobiological framework to understand early social deprivation effects on behavioral development. Development and psychopathology 27 (2), 347-367.

2 – Owen, A.M., Hampshire, A., Grahn, J.A., Stenton, R., Dajani, S., Burns, A.S., et al. (2010). Putting brain training to the test. Nature, 465(7299), 775–778.

3 – Ball, K., Berch, D.B., Helmers, K.F., Jobe, J.B., Leveck, M.D., Marsiske, M., Morris, J.N., Rebok, G.W., Smith, D.M., Tennstedt, S.L., Unverzagt, F.W. and Willis, S.L. (2002). 

Effects of Cognitive Training Interventions with Older Adults: A Randomized Controlled Trial. Journal of American Medical Association, 288 (18), pp.2271-81.

4 – Melby-Lervåg M, Redick TS, Hulme C. (2016). Working Memory Training Does Not Improve Performance on Measures of Intelligence or Other Measures of « Far Transfer »: Evidence from a Meta-Analytic Review. Perspect Psychol Sci 11(4), 512-534.

5- Rueda, M.R., Rothbart, M.K. & Saccamanno, L. & Posner, M.I. (2005). Training,maturation and genetic influences on the development of executive attention. PNAS, 102, 14931-14936.

6 – Diamond, A. & Lee, K. (2011). Interventions shown to Aid Executive Function Development in Children 4-12 Years Old. Science, 333, 959-964.

7 – Barnett, W., Jung, K., Yarosz, D., Thomas, J., Hornbeck, A., Stechuk, R., & Burns, S. (2008). Educational effects of the Tools of the Mind curriculum: A randomized trial. Early Childhood Research Quarterly, 23, 299–313.

8 – Bavelier, D., Green, C.S., Pouget, A. & Schrater, P. (2012). Brain Plasticity Through the Life Span: Learning to Learn and Action Video Games. Annual Review of Neuroscience, 35, 391-412. 

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

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Clara Saleri

Yves Rossetti

Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.

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Yves Rossetti

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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