Regardez cette image : le pilier principal semble s’enrouler sur lui-même pendant que la sphère tourne dans le sens contraire. Un Gif animé ? Non, une illusion d’optique bluffante conçue par un jeune artiste australien et popularisée sur Twitter par Alice Proverbio, professeure en neurosciences cognitives à l’université Bicocca de Milan. Voici comment elle explique la manière dont notre cerveau se fait manipuler.
Forme, lumière, couleur : l’œil collecte de nombreuses informations sur notre environnement, mais c’est bien notre cerveau qui donne un sens à ce que nous voyons. Lorsqu’il est débordé de données, ce qui est le cas avec cette image, le cerveau utilise des raccourcis qu’il a mis au point pour interpréter rapidement une réalité. Les ombres, la perspective et les couleurs sont alors autant d’indices sur lesquels il s’appuie pour prendre des décisions. Mais ces raccourcis peuvent être sources de tromperie, comme le montre cette illusion d’optique.
Cette œuvre psychédélique a été créée par Beau Deeley, un artiste multimédia australien, qui explore de nouveaux territoires graphiques. Selon Alice Proverbio, qui enseigne les neurosciences cognitives à l’université Bicocca de Milan, cette image complexe permet d’étudier les interactions entre les aires visuelles du cerveau (figure ci-dessus). En particulier entre la zone V5, principalement dédiée au traitement du mouvement, et la zone V4, spécialisée dans le traitement des couleurs et des formes. Ici, la forme de base, le quinconce, a été déclinée de multiples façons, combinant des variations de forme, de lumière, de perspective, de couleur, etc. Résultat :« la saturation des neurones de la zone V4 est telle qu’il provoque la décharge des neurones de la zone V5, laquelle est interprétée par notre cortex visuel comme un signal réel », détaille la scientifique. Ce qui produit en sortie une image qui semble bouger. L’illusion optique résulterait donc d’une compétition entre les deux zones. Elle reposerait sur le jeu physiologique d’activation/inhibition au niveau cortical qui existe naturellement à différent étages de notre cerveau. C’est ce mécanisme qui qui nous permet ainsi d’avoir une perception consciente de ce qui nous entoure par l’atténuation d’un élément au profit d’un autre.
V5 (or MT) is the cortical area devoted to motion processing, while V4 is devoted to color and shape (like the pentagon) processing. V4 neurons are saturated so much that the basal/rest firing rate of MT neurons is interpreted as an actual sensory signal
— Alice Proverbio (@AliceProverbio) October 12, 2018
Pour qu’elle soit possible, l’illusion repose aussi sur le récepteur : l’œil lui-même (i.e. les bâtonnets et les cônes). Ce type d’illusions optiques – appelées « rotating snake illusions » – serait lié à de rapides petits mouvements oculaires, comme l’a montré en 2012 une étude de Jorge Otero-Millan et al. [1] La preuve, si vous fixez votre regard sur un point de l’image, le mouvement s’arrête.
L’hypothèse de Kenneth Knoblauch
Cette explication ne satisfait pas entièrement Kenneth Knoblauch, spécialiste de la modélisation des aspects structurels et fonctionnels du cerveau au SBRI, à Lyon.
Que se passe-t-il si on passe l’image en noir et blanc ? L’illusion persiste, constate-t-il. Cela laisse à penser que les couleurs, et donc la zone V4, ne sont pas déterminantes. « Sur cette image, on observe une distorsion géométrique à laquelle le système visuel s’adapte localement, explique-t-il. C’est ce que l’auteur appelle “figural aftereffect ». On note que cet effet semble plus important lorsque les yeux sont en mouvement. » Pour lui, l’illusion optique pourrait être provoquée par le fait que « lorsque les yeux se déplacent, ils tombent sur des zones avec des distorsions géométriques différentes. La dynamique d’adaptation entraînerait ainsi des expansions et des contractions perceptives, lesquelles sont interprétées par notre cerveau comme des mouvements relatifs et des rotations. » Mais ce n’est qu’une hypothèse, précise-t-il.
Si les illusions d’optique sont aussi fascinantes, n’est-ce pas finalement parce qu’en créant une distorsion troublante entre la réalité et la perception que nous en avons, elles nous obligent à nous questionner sur ce que nous appelons la conscience ?
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