Romain Bet étudie les « pensées sombres » des délinquants sexuels


Doctorant en deuxième année de thèse, Romain Bet mène des recherches sur des détenus condamnés pour des agressions sexuelles. Il tente de cerner le cheminement de pensée qui amène des individus à commettre des crimes et à légitimer de tels actes, l’objectif à terme étant de diminuer le risque de récidive.

Les recherches de Romain Bet s’inscrivent dans une discipline appelée criminalistique, ou forensique, approche pluridisciplinaire consistant à établir la preuve de la culpabilité d’une personne mise en cause dans un crime ou un délit à partir de diverses méthodes d’analyse scientifique : chimie, physique, biologie, neurosciences, informatique, imagerie, statistiques… Romain Bet fait partie de la petite équipe constituée par George A. Michael, directeur de recherche au Laboratoire EMC (lire son interview), pour développer une nouvelle discipline de la science forensique : la criminalistique cognitive. Depuis deux ans, il mène des recherches sur des détenus condamnés pour des agressions sexuelles. A l’aide de tests comportementaux, de questionnaires et par l’analyse du discours, il tente de cerner le cheminement de pensée qui amène des individus à commettre des crimes et à légitimer de tels actes, l’objectif à terme étant de diminuer le risque de récidive.

La prestation de Romain Bet à l’édition 2017 du concours Ma thèse en 180 secondes

Interview

Comment vous est venue l’idée de cette thèse ?
C’est à l’occasion d’un séminaire proposé par l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap), à Agen, que je me suis rendu compte que le personnel pénitentiaire était en attente de réponses scientifiques pour mieux prendre en charge les détenus et favoriser leur réinsertion. J’ai décidé d’en faire mon sujet de thèse. Appuyé par mon laboratoire, j’ai pu bénéficier d’un partenariat auprès du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) du Rhône.

Avec quelle population travaillez-vous ?
Le dispositif expérimental repose sur un groupe d’une quarantaine détenus, tous volontaires, choisis avec leur conseiller pénitentiaire. Ces détenus ont été condamnés pour des agressions sexuelles sur adultes et sur enfants ou pour visionnage d’images pédopornographiques. J’essaie de trouver chez eux les liens qui pourraient exister entre certains traits de leur personnalité, leurs pensées et leurs actes.

A quels traits de personnalité vous intéressez-vous en particulier ?
Je travaille sur ce qu’on appelle les traits de personnalité « sombres » :  principalement la psychopathie, qui se caractérise par une absence d’empathie pour l’autre, le narcissisme, le machiavélisme et le sadisme. On les retrouve chez tout le monde mais à des degrés différents Ces éléments de la personnalité produisent des pensées, sous forme de représentations des autres et du monde, qui sont contraires aux normes de la vie en société. On parle de « distorsions cognitives », car elles faussent la perception que ces individus peuvent avoir des actes qu’ils ont commis. Ainsi, un individu psychopathe qui a agressé sexuellement sa propre femme aura du mal à reconnaître la gravité de son acte, même devant le juge, car, dans son for intérieur, sa femme est plus un moyen d’assouvir ses pulsions qu’une personne douée d’émotions. Il aura donc de fortes chances de récidiver une fois sa peine purgée…

Comment espérez-vous changer cet état des choses ?
Mon objectif est, dans un premier temps, de comprendre le cheminement de pensée qui amène ces personnes à commettre des crimes ou des délits pour, dans un deuxième temps, les aider à changer de modes de pensée, ce qui évitera le passage à l’acte.

Quels outils utilisez-vous pour cela ?
J’utilise des questionnaires qui me permettent d’évaluer le degré d’empathie, d’agressivité, d’impulsivité, de traits de personnalité ou de distorsions cognitives de mon interlocuteur. Je me sers aussi de tests cognitifs qui permettent d’évaluer son rapport à la prise de risque ou à l’inhibition. Je pratique enfin des entretiens semi-dirigés que j’analyserai par la suite.

Mais comment agir sur ces « distorsions cognitives » ?
Une fois toutes ces données réunies, j’utiliserai des outils statistiques pour établir des liens entre traits de personnalités, pensées et actes. En m’appuyant sur ces résultats, et après débriefing avec la personne, l’objectif sera d’imaginer des contextes divers permettant de modifier sa manière de légitimer ses propres actes, ce que l’on pourrait appeler des stratégies cognitives de modération.

A quand des outils opérationnels pour limiter la récidive ?
La mise au point de tels outils prendra de nombreuses années et nécessitera d’autres recherches que les miennes. L’administration pénitentiaire, c’est normal, aimerait bien en disposer le plus rapidement possible. Mais le temps de la science n’est pas celui de la société.

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Chercheur(s)

Romain Bet

Doctorant en 2e année au Laboratoire EMC, membre de l’équipe Attention, conscience et états de vigilance dirigée par George A. Michael. Sujet de thèse : « Diminuer le risque de récidive : peut-on se baser sur la personnalité des personnes placées sous main de justice pour développer un dispositif cognitif adapté ? »

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Romain Bet

Laboratoire

Laboratoire Etude des mécanismes cognitifs (EMC)

Le Laboratoire EMC rassemble des spécialistes de l'étude de la cognition humaine sur la question des représentations mentales (symboliques ou non-symboliques) et des substrats neuronaux impliqués dans les émotions, l'attention, le langage, la mémoire et l'action. Les recherches fondamentales et appliquées sont menées auprès de populations normales (enfants, jeunes adultes, adultes âgés), déficitaires (dyslexiques, dysphasiques, sourds) et souffrant de pathologies spécifiques (patients Alzheimer, cérébrolésés, psychiatriques).

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