Human Brain Project : pourquoi les neuroscientifiques tapent du poing sur la table



Objectifs irréalistes, manque de transparence dans la gouvernance, marginalisation de leur discipline : les griefs des neuroscientifiques à l’encontre du Human Brain Project sont sérieux. Comment en est-on arrivé là ? Cette fronde risque-t-elle de remettre en question l’ambitieux projet européen ? Le point sur la controverse.



Moins d’un an après son lancement officiel, le Human Brain Project (HBP) traverse une grave crise qui pourrait compromettre son avenir. Cet énorme projet européen, dont l’ambition est de simuler via des supercalculateurs le fonctionnement du cerveau humain, est en effet contesté par une partie de la communauté des neuroscientifiques. Plus de 150 d’entre eux – dont certains membres du projet – ont adressé, le 7 juillet, une lettre ouverte à la Commission européenne, garante du bon déroulement du programme et de la bonne utilisation des fonds accordés (1 milliard d’euros sur dix ans). Depuis, ils ont été rejoints par plus de 500 autres signataires, originaires de tous pays, parmi lesquels d’éminents chercheurs.

Menaces de boycott

Dans cette lettre, les pétitionnaires rappellent que le HBP divise la communauté scientifique depuis le début. Que lui reprochent-ils ? Principalement son approche scientifique, qu’ils jugent trop étroite. Mais aussi un manque de transparence, tant dans la qualité des travaux que dans le management du projet.


Alors que la Commission européenne doit évaluer la phase de lancement et valider les orientations de la phase suivante, les chercheurs font un certain nombre de propositions visant à réorienter le projet et l’administrer de manière plus collégiale. Ils vont jusqu’à menacer de boycotter le HBP si leurs préoccupations n’étaient pas prises en compte. Si les neuroscientifiques ont ainsi choisi de rendre leur démarche publique, c’est notamment parce qu’ils considèrent que leur discipline, qui représente avec la médecine et les techniques d’information et de communication (TIC) l’un des trois piliers du projet, a été marginalisée lors d’un remaniement récent du périmètre. Cette décision leur fait craindre que le HBP ne soit plus qu’un projet de big data ensemble de données numériques extrêmement volumineux ensemble de données numériques extrêmement volumineux et ne vise plus à augmenter les connaissances sur le cerveau. Or, comme le rappelle Henry Kennedy, directeur de recherche à l’Inserm et directeur du LabEx Cortex, « il nous manque encore beaucoup d’informations, notamment des données expérimentales de base sur les circuits fondamentaux du cerveau » (voir son interview vidéo).

Human Genome Project

Le Human Genome Project était également contesté à son commencement

La référence du Human Genome Project

Face à cette volée de critiques, le comité exécutif du HBP se défend. Il évoque les polémiques qui avaient entouré, en 1990, un autre projet de « big science » : le séquençage du génome humain. Et rappelle que, malgré cela, le Human Genome Project avait poursuivi son chemin et atteint son objectif en 2003, ouvrant la porte à d’innombrables retombées.
S’ils reconnaissent des erreurs en matière de communication et de management, les dirigeants du HBP réaffirment le bien-fondé de l’approche qu’ils ont choisie : la simulation du cerveau par une reconstruction de tous ses éléments, depuis le niveau cellulaire jusqu’à l’organe entier, en passant par les circuits neuronaux réseau de neurones responsable d'un comportement complexe réseau de neurones responsable d'un comportement complexe et les aires cérébrales zone du cerveau correspondant à un découpage anatomique ou fonctionnel zone du cerveau correspondant à un découpage anatomique ou fonctionnel (approche dite bottom up). Ils estiment qu’ils pourront ainsi découvrir les règles qui gouvernent le développement embryonnaire du cerveau. Dès lors, le projet consistera à simuler un cerveau à l’état embryonnaire et à le laisser se développer virtuellement jusqu’à l’état adulte. On en est loin, souligne Henry Kennedy : « Pour l’instant, ce qui a été proposé expérimentalement, c’est la simulation de 1 millimètre carré du cerveau d’un rat. Et les résultats de l’étude sont loin d’être convaincants… »


Pour aller plus loin

> La lettre ouverte des neuroscientifiques (en anglais)
> La réponse du comité exécutif du HBP (en anglais)

Sur le même sujet

> La revue de presse de Cortex Mag du 1er au 15 juillet 2014

Chercheur(s)

Henry Kennedy

Responsable scientifique et technique du LabEx CORTEX et co-directeur de l'équipe Cortical Architecture, Coding and Perception au sein du Stem Cell and Brain Research Institute (SBRI, Inserm Lyon). Ses travaux portent sur l'étude de la relation structure-fonction dans le cortex cérébral. Il s'intéresse aussi au développement du cortex cérébral.

Voir sa page

Henry Kennedy

Laboratoire

Institut de recherche cellule souche et cerveau (SBRI)

Le SBRI cherche à définir les caractéristiques du cortex humain, de son développement à l’organisation des réseaux neuronaux qui le composent et rendent possible les fonctions cognitives supérieures. Pour cela, il fait appel à de nombreuses disciplines : biologie cellulaire et moléculaire, neuroanatomie, neurophysiologie, psychophysique, comportement, psychologie expérimentale, neurocomputation, modélisation et robotique. Le SBRI est dirigé par Colette Dehay et Henry Kennedy.

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