Neuromythe #7 : le cerveau des hommes est différent de celui des femmes


Si les hommes et les femmes ne raisonnent pas de la même façon, c’est que leur cerveau est différent. Une thèse vieille comme le monde, qui a longtemps nourri la misogynie avant d’être laminée par les neurosciences et les sciences humaines et sociales. Mais aujourd’hui, les choses ne sont plus aussi claires…

Les femmes, c’est bien connu, seraient multitâches, dotées d’un esprit littéraire, auraient des compétences linguistiques supérieures aux hommes mais n’auraient aucun sens de l’orientation. Les hommes, eux, ne sauraient faire qu’une chose à la fois mais s’orienteraient avec facilité dans l’espace et seraient particulièrement doués pour les mathématiques. Cette thèse, véhiculée par des livres grand public tels que « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », vient conforter une croyance installée depuis fort longtemps : les différences physiques entre les hommes et les femmes (taille, pilosité) se retrouveraient au niveau du cerveau et seraient à l’origine des différences comportementales, cognitives et intellectuelles entre les deux sexes. Pourtant, en regardant un cerveau adulte à l’œil nu, il est impossible de deviner s’il appartient à un homme ou une femme. Alors, d’où vient ce neuromythe ? Comment a-t-il évolué et qu’en disent les neurosciences aujourd’hui ? 

Dans l’Antiquité déjà, des philosophes comme Aristote soutiennent que le cerveau des hommes est différent de celui des femmes et que cela justifie l’infériorité des femmes par rapport aux hommes. Au XIXe siècle, des neurologues, tels que le renommé Paul Broca, défendent la théorie selon laquelle le cerveau des hommes étant plus gros que celui des femmes, leur intelligence serait aussi supérieure. Selon eux, le volume du cerveau serait corrélé à l’intelligence, thèse qui depuis a été réfutée (lire notre article Neuromythe #3 : la taille du cerveau influence l’intelligence ). Si les femmes ont bien un cerveau plus petit que celui des hommes en moyenne, on n’observe aucune différence de QI.

Dans les années 1970, on s’intéresse aux différences psychologiques entre hommes et femmes et on les attribue aux différences supposées entre les deux hémisphères. L’hémisphère gauche (langage, raisonnement analytique) serait prédominant chez les femmes, alors que l’hémisphère droit (représentation de l’espace et émotions) serait prédominant chez les hommes. Thèse qui a fait long feu aussi. On sait désormais que les deux hémisphères sont en communication permanente (lire notre article Neuromythe #5 : cerveau droit, cerveau gaucheet qu’aucun n’est dominant

Pour la neurobiologiste britannique Gina Rippon, « le cerveau n’est pas plus sexué que le foie, les reins ou le cœur ».

Dans les années 1980, il a été suggéré que le corps calleux, qui assure la communication entre les deux hémisphères cérébraux, serait plus important chez les femmes que chez les hommes, ce qui pourrait engendrer une meilleure communication entre les deux hémisphères. Pas de chance, la quasi-totalité des travaux récents montrent que le volume du corps calleux est en réalité davantage déterminé par le volume cérébral total que par l’effet du sexe. 

Enfin, tout récemment, la neurobiologiste britannique Gina Rippon a réfuté toute différence biologique entre cerveau masculin et cerveau féminin, affirmant que « le cerveau n’est pas plus sexué que le foie, les reins ou le cœur ». Dans une étude1, elle a montré comment les « éponges cérébrales » des enfants se différencient probablement à cause des cultures rose-bleu dans lesquelles ils baignent dès la révélation prénatale du sexe. Tout ce processus s’inscrit, selon elle, dans le cycle de construction du cerveau, fait d’attentes différentes, de confiance en soi et de prises de risques, qui conduit les garçons et les filles sur des trajectoires de carrière et de réussite différentes. Ce qui explique, par exemple, que moins d’un tiers des chercheurs du CNRS soient des femmes.

Alors, comment démêler le vrai du faux ? Le sujet est controversé. Certains scientifiques réfutent toute différence entre le cerveau des hommes et celui des femmes et imputent à la culture et à l’éducation les différences cognitives ou de réussite constatées ; d’autres, sans nier la dimension socio-culturelle, pointent des différences biologiques pouvant entrer en ligne de compte.

Les différences cognitives ou de réussite présentes à l’âge adulte entre femmes et hommes seraient avant tout le résultat du phénomène de plasticité cérébrale.

Dans le premier camp, on trouve des scientifiques tels que Catherine Vidal en France2, Lise Eliot aux États-Unis ou Daphna Joel en Israël. Pour eux, les cerveaux des filles et des garçons sont identiques à la naissance, puisque les gènes intervenants sont indépendants des chromosomes X et Y. Et il n’y aurait pas davantage de différences au niveau cognitif. La seule différence qu’ils reconnaissent concerne les fonctions de reproduction et le rôle de l’hypothalamus. En effet, chez les garçons, la testostérone produite pendant la vie fœtale agit sur l’hypothalamus ; et chez les femmes, l’hypothalamus s’active tous les mois lors de l’ovulation. En dehors de cela, ils assurent n’avoir pas trouvé de zone spécifique dans le cerveau propre à l’homme ou à la femme. 

Selon ces neuroscientifiques, les différences présentes à l’âge adulte seraient le résultat du phénomène de plasticité cérébrale (lire l’encadré). En effet, seules 10% des connexions du cerveau sont établies à la naissance. Le reste se fait au cours du développement avec l’apprentissage, l’éducation, les interactions sociales, l’environnement et les expériences de l’enfant. Si les hommes obtiennent ainsi de meilleurs résultats que les femmes aux tests d’orientation spatiale, c’est tout simplement parce que les petits garçons sont initiés dès leur plus jeune âge aux sports collectifs tels que le football, qui favorisent le développement des circuits neuronaux impliqués dans l’orientation spatiale. Et si les femmes obtiennent de meilleurs résultats que les hommes aux tests de neuropsychologie évaluant le langage, c’est parce que les petites filles restent plutôt à la maison, ce qui favorise le développement de la communication.

Qu'est-ce que la plasticité cérébrale ©Shutterstock/Sanja Karin Music)

Qu’est-ce que la plasticité cérébrale ?

On a longtemps pensé que les connexions neuronales étaient figées une fois que le cerveau avait fini son développement. Jusqu’au jour où on a découvert qu’il était capable de se remodeler tout au long de la vie en modifiant constamment ses connexions en fonction de l’environnement et des expériences vécues. C’est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale.

L’autre camp est représenté en France par des chercheurs comme Nicolas Gauvrit, Franck Ramus ou Elena Pasquinelli. Ces scientifiques sont d’accord pour dire que les différences entre hommes et femmes peuvent découler de biais d’éducation ou de stéréotype. On sait ainsi que le fait de dire à une femme, avant un exercice de mathématiques, qu’en général les hommes réussissent mieux fait chuter leurs performances3. Cependant, ils mettent en avant certaines différences qui pourraient avoir une influence sur le comportement et/ou la cognition. Au niveau structurel, des différences de volumes seraient ainsi visibles notamment au niveau des structures sous-corticales4. C’est le cas du cortex limbique (siège des émotions, entre autres), qui serait plus développé chez les hommes que chez les femmes5. On observe également des différences au niveau du cortex, avec des régions plus développées chez les femmes, comme certaines parties du cortex frontal5. D’autres, comme certaines parties du cortex pariétal, impliquées dans la perception spatiale notamment, sont plus volumineuses chez les hommes5. On trouve aussi une densité de neurones plus forte dans certaines régions du cortex temporal associées au traitement et à la compréhension du langage chez les femmes6. Des résultats similaires ont été rapportés pour le lobe frontal. 

Des scientifiques soulignent le rôle prépondérant des hormones, non seulement dans les comportements de reproduction, mais aussi dans de nombreuses fonctions cognitives et comportementales.

Les partisans de ce courant de pensée vont encore plus loin en affirmant que le fait de croire que les cerveaux des hommes et des femmes sont identiques serait dangereux. En effet, certaines maladies s’exprimant différemment selon le sexe, elles doivent être, selon eux, étudiées et traitées en fonction du sexe.

Par ailleurs, ces scientifiques soulignent le rôle prépondérant des hormones, non seulement dans les comportements de reproduction, mais aussi dans de nombreuses fonctions cognitives et comportementales telles que la mémoire, les émotions, la vision, l’audition, la reconnaissance des visages et la réponse cérébrale aux hormones de stress. Il y aurait ainsi un lien entre la taille d’une région cérébrale et l’action de stéroïdes in utero. Autant de faits qui tendent à relativiser l’influence de l’éducation et de l’expérience personnelle sur les divergences cérébrales entre les deux sexes. 

A ce stade, aucun fait nouveau ne permet de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Une chose est sûre : il y a autant des cerveaux différents que d’êtres humains sur Terre, et chacun se modifie au cours des expériences et des vécus. Ce qui fait donc environ 8 milliards de cerveaux uniques !

En finir avec les neuromythes (©Shutterstock/sdecoret)

En finir avec les neuromythes

«Nous n’utilisons que 10% des capacités de notre cerveau», «A chacun son style d’apprentissage», «Tout se joue avant 3 ans»… Nous croyons savoir beaucoup de choses sur le fonctionnement de notre cerveau. Et si ces idées reçues ne tenaient pas debout ? > Lire notre série

Bibliographie

1. Rippon G, Eliot L, Genon S, Joel D. How hype and hyperbole distort the neuroscience of sex differences. PLoS Biol.2021 May 10;19(5):e3001253. doi: 10.1371/journal.pbio.3001253. PMID: 33970901; PMCID: PMC8136838.

2. VIDAL, Catherine. Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ? Le Pommier, 2007.

3. Steven J. Spencer, Claude M. Steele et Diane M. Quinn – Stereotype Threat and Women’s Math Performance – Journal of Experimental Social Psychology – janvier 1999 – vol. 35, no 1, p. 4-28.

4. Ruigrok, A. N., Salimi-Khorshidi, G., Lai, M. C., Baron-Cohen, S., Lombardo, M. V., Tait, R. J., & Suckling, J. (2014). A meta-analysis of sex differences in human brain structure. Neuroscience and biobehavioral reviews, 39(100), 34–50.

5. Goldstein, J. M., Seidman, L. J., Horton, N. J., Makris, N., Kennedy, D. N., Caviness Jr, V. S., … & Tsuang, M. T. (2001). Normal sexual dimorphism of the adult human brain assessed by in vivo magnetic resonance imaging. Cerebral cortex11(6), 490-497.

6. Witelson, S. F., Glezer, I. I., & Kigar, D. L. (1995). Women have greater density of neurons in posterior temporal cortex. The Journal of neuroscience : the official journal of the Society for Neuroscience15(5 Pt 1), 3418–3428.

Chercheur(s)

Clara Saleri

Doctorante au sein de l'équipe ImpAct au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Son sujet de thèse : «Rôle des ganglions de la base dans l’intégration des coûts temporels et énergétiques moteurs pendant la prise de décision», sous la supervision du Dr David Thura.

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Clara Saleri

Yves Rossetti

Professeur de physiologie à la faculté de médecine de Lyon. Ses recherches concernent la plasticité cérébrale liée à nos interactions avec notre environnement physique et social. Il anime l'équipe Trajectoires du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL) dont les thématiques concernent l'exploration des fonctions perceptives, motrices et cognitives, notamment en lien avec la rééducation fonctionnelle.

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Yves Rossetti

Laboratoire

Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL)

Le CNRL rassemble 14 équipes pluridisciplinaires appartenant à l’Inserm, au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat neuronal et moléculaire des fonctions cérébrales, des processus sensoriels et moteurs jusqu'à la cognition. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

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