Oliver Sacks, un explorateur passionné des mystères du cerveau humain



Emporté par le cancer à l’âge de 82 ans, le neurologue Oliver Sacks était aussi un fabuleux raconteur d’histoires et un médecin plein d’humanité. Il s’est fait connaître du grand public par la publication, en 1985, de « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau », un recueil de cas cliniques atypiques, traduit dans de nombreuses langues. Le Pr Emmanuel Broussolle, lui-même neurologue et clinicien, évoque l’homme, le chercheur et le vulgarisateur.




Le neurologue et écrivain Oliver Sacks est décédé chez lui le 30 août dernier des suites d’un cancer. Jusqu’au bout, l’auteur du célèbre « L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau », florilège de cas cliniques aussi rares qu’extraordinaires, aura cherché à explorer les mystères du cerveau et du comportement humains.

Né à Londres en 1933, Oliver Sacks fait des études de médecine au Queen’s College de l’université d’Oxford, qu’il complète par un doctorat aux Etats-Unis. Il s’installe à New York en 1965 et exerce comme neurologue dans différents établissements de soins. A partir des années 90, il enseigne la neurologie dans plusieurs universités de médecine (Albert Einstein, New York, Columbia). Il a notamment utilisé la musique pour soigner certains troubles psychiques.

Parallèlement à ses activités de clinicien et d’enseignant, il mène une carrière d’écrivain. Oliver Sacks a écrit une dizaine de livres dans lesquels il raconte son expérience avec ses patients. Parmi les plus connus : L’Éveil (1973), L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985), Des yeux pour entendre : voyage au pays des sourds (1989), Musicophilia (2008) ou son dernier, L’odeur du si bémol (2014), dans lequel il explore l’univers des hallucinations. Ses livres sont traduits à ce jour dans 25 langues. Oliver Sacks a en outre régulièrement collaboré aux magazines The New Yorker et The New York Review of Books, ainsi qu’à d’autres publications médicales, scientifiques ou généralistes.

Cortex Mag a demandé au Pr Emmanuel Broussolle, lui-même neurologue et clinicien, d’évoquer l’homme, le chercheur et le vulgarisateur.

Comment avez-vous découvert les travaux d’Oliver Sacks ?

C’était en 1986, j’étais jeune chercheur aux Etats-Unis. La lecture de « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau », son recueil de petites histoires décrivant des syndromes du type Gilles de La Tourette, Asperger, prosopagnosie [1], etc. m’a profondément marqué : je m’en souviens encore. Il y a eu aussi, au début des années 90, le film « Awakenings » inspiré de son livre « L’Eveil », formidablement interprété par Robin Williams et Robert de Niro. Un film admirable en ce qu’il reflète la profonde humanité d’Oliver Sacks et l’empathie dont il faisait preuve dans ses essais cliniques. Pour lui, le patient n’était pas d’abord un objet de recherche scientifique, mais une personne en souffrance qu’il voulait comprendre et soulager. Il instituait une relation très forte avec lui. Pour lui, le malade devait participer à la recherche et à sa guérison. En ce sens, les neurologues de ma génération lui doivent beaucoup.

Sur le plan neurologique, quels sont ses principaux objets de recherche ?

Oliver Sacks n’était pas seulement un humaniste et un vulgarisateur exceptionnel, il était aussi un chercheur de premier plan. Il a ainsi publié dans les meilleures revues de neurologie [2]. Il s’est notamment intéressé aux rescapés de l’épidémie d’encéphalite léthargique de von Economo (1915-1925), qui présentaient un syndrome parkinsonien proche de la maladie de Parkinson en testant les effets de la L-Dopa, molécule utilisée pour soigner les malades atteints de la maladie de Parkinson (c’est la trame du film « L’Eveil », (>lire l’encadré)). Il a mené des recherches sur l’autisme et le syndrome d’Asperger. Il a aussi travaillé sur les « slow virus diseases » ou « maladies à virus lents » (Prix Nobel de Médecine de Daniel Carleton Gajdusek en 1976), recherche qui a évolué ensuite vers le concept des « maladies à Prions » (Prix Nobel de Médecine de Stanley Prusiner en 1997). Parmi ses travaux, ceux qui rejoignent le plus mes propres recherches, outre la maladie de Parkinson, portent sur l’association de plusieurs processus dégénératifs dont la sclérose latérale amyotrophique (SLA). Oliver Sacks a étudié ce qu’on appelle le syndrome de Guam ou complexe de l’Ile de Guam. Il s’agit d’une maladie endémique d’une île de l’archipel des Mariannes dans le Pacifique. Elle se présente sous la forme d’une maladie dégénérative associant les symptômes de la SLA et de la démence parkinsonienne et touchant principalement des hommes dans la force de l’âge (>lire l’encadré).

Oliver Sacks, spécialiste des troubles de la communication, était aussi un homme de communication…

Cela ne fait aucun doute. A côté de ses ouvrages de vulgarisation, il n’a cessé de publier des articles dans la presse grand public et a entretenu un rapport direct avec lui via les nouveaux moyens de communication. Par-dessus tout, Oliver Sacks avait un don pour raconter des histoires. Il savait trouver les mots pour nous expliquer la singularité d’une personne souffrant d’un dysfonctionnement et nous rapprocher d’elle. Nul doute que ce talent a déclenché chez de nombreux jeunes gens le désir de devenir à leur tour médecin, psychologue ou neurologue.



« Awakenings » : le film qui montre l’empathie de Sacks pour ses patients
Affiche du film "Awakenings" avec Robin Williams et Robert De Niro.Réalisé par Penny Marshall, le film « Awakenings » est inspiré du livre « L’Eveil », premier recueil de cas cliniques publié en 1974 par Oliver Sacks. Le film retrace l’histoire d’un jeune chercheur, le Dr Malcom Sayer (Robin Willliams), à qui l’on confie un groupe de malades chroniques atteints de troubles psychiques profonds. Sayer découvre que la plupart sont des rescapés de l’épidémie d’encéphalite léthargique, une forme de « maladie du sommeil » qui a sévi au début du XXe siècle. Il va peu à peu les ramener à une vie normale en utilisant un médicament destiné aux patients parkinsoniens. Notamment, Leonard Lowe (Robert De Niro), qui deviendra son ami. Un film qui met en évidence la profonde humanité du Dr Oliver Sacks.
> Voir la bande-annonce sur AlloCiné.



Syndrome de Guam : l’hypothèse de Sacks
Plat à base de chauve-souris consommé à Manado, en Indonésie (Wikipedia)
Le neurologue Oliver Sacks a étudié de près une maladie neurologique affectant l’ethnie Chamorro de l’île de Guam, la plus grande île de l’archipel des Mariannes. Cette maladie neuro-dégénérative associe les symptômes de la sclérose latérale amyotrophique et ceux de la démence parkinsonienne. On parle aussi du complexe SLA-parkinsonisme-démence (ALS/PDC, ou lytico-bodig). Elle se traduit par une paralysie progressive accompagnée de manifestations de démence. Sacks a mis en avant le rôle d’une neurotoxine, la BMAA (béta-méthyl-amino-alanine). Selon lui, cette toxine serait produite par une cyanobactérie présente dans les graines d’un arbre à port de palmier, le cycas (Cycas rumphii). L’intoxication se ferait par la consommation alimentaire de ces graines ou de chauves-souris se nourrissant de ces graines (photo).
> Syndrome de Guam (Wikipedia).

 


«L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau» : un florilège de cas cliniques extraordinaires
Couverture du livre "L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau".Oliver Sacks s’est rendu célèbre par la publication, en 1985, de «L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau», recueil de cas cliniques hors du commun. Le point commun de ces histoires ? Des lésions cérébrales qui entrainent des troubles comportementaux à peine croyable. Ces récits montrent les difficultés que rencontrent parfois les neurologues face à des cas qui illustrent la complexité du cerveau humain.
> Présentation de 3 cas cliniques célèbres avec Sciences et avenir.

Pour aller plus loin

La bibliographie des ouvrages d’Oliver Sacks (au Seuil)
La notice d’Oliver Sacks sur Wikipedia
« Oliver Sacks, le voyant » : très bel article de Jean-Claude Ameisen (« Sur les épaules de Darwin ») dans Le Monde à l’occasion de la sortie de « L’Œil de l’esprit », en 2012


  • 1. Trouble de la reconnaissance des visages. La prosopagnosie peut être congénitale ou résulter d’une lésion cérébrale.

  • 2. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=Oliver+Sacks
  •  

    Chercheur(s)

    Emmanuel Broussolle

    Emmanuel Broussolle est chef de service à l’hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, enseignant à la faculté de médecine Lyon-Sud et membre de l’équipe de recherche « Physiopathologie des ganglions de la base » au sein du Centre de neurosciences cognitives (CNRS, UMR 5229). Ses recherches portent sur la maladie de Parkinson et les syndromes apparentés, les mouvements anormaux, la sclérose latérale amyotrophique et syndromes démentiels associés, la stimulation cérébrale profonde, l’imagerie cérébrale et l’histoire de la neurologie.

    Voir sa page

    Emmanuel Broussolle

    Laboratoire

    Institut des sciences cognitives (ISC) Marc-Jeannerod

    L'Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod rassemble six équipes pluridisciplinaires appartenant au CNRS et à l’Université Lyon. Elles travaillent sur le substrat et les mécanismes cérébraux à l'œuvre dans les processus sensoriels et cognitifs allant jusqu'à la cognition sociale. L’objectif est de relier les différents niveaux de compréhension du cerveau et de renforcer les échanges entre avancées conceptuelles fondamentales et défis cliniques.

    À lire également

    Autres articles

    Paralysie, maladie de Parkinson : réparer les neurones grâce aux cellules souches

    Faire marcher à nouveau une personne dont la moelle épinière a été touchée ou guérir les symptômes de la maladie de Parkinson. Ce sont deux des pistes ...... Lire la suite...

    Lire la suite ...
    Autour du film Vice-versa (©Disney)
    Le film «Vice-Versa» décrypté par un spécialiste des émotions

    Mateus Joffily, neuroscientifique spécialiste des émotions, décrypte le film d'animation des studios Pixar.... Lire la suite...

    Lire la suite ...
    Supporters du Botafogo, club de foot de Rio de Janeiro, Brésil (©Vítor Silva/SSPress/Botafogo)
    Motivation : ce qui se passe dans le cerveau des supporters

    De nombreuses études en psychologie sociale ont montré que nous avons naturellement tendance à favoriser les membres d’un groupe social auquel nous appartenons. Des chercheurs français et brésiliens ...... Lire la suite...

    Lire la suite ...